Dans l’histoire de la musique, il y a des artistes dont le succès semble logique. Que ce soit par leurs innovations sonores, leurs mélanges des styles, leur créativité, une voix unique ou encore un talent d’écriture indéniable, leur reconnaissance apparaît toujours comme justifiée et légitime. Et puis il y a ceux qui, même des années plus tard, continuent d’être des “anomalies” de l’industrie musicale, des réussites que personne ou presque n’avaient envisagées.
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Scatman John fait clairement partie de cette seconde catégorie. Il y a vingt-cinq ans, le 10 juillet 1995, l’artiste américain sortait à 52 ans (!) le premier album de sa courte carrière : Scatman’s World. Un disque qui, porté par le succès de l’étonnant tube “Scatman (ski-ba-bop-ba-dop-bop)” paru quelques mois plus tôt, est resté gravé dans les années 1990 et a été écouté aux quatre coins du monde.
Rien ne laissait présager un tel succès. John Paul Larkin, de son vrai nom, a une formation plutôt classique. Il apprend à jouer du piano à douze ans. Deux ans plus tard, il découvre le scat, cette pratique qui vient tout droit des onomatopées improvisées par les jazzmen américains au milieu de leur morceau ou de leur show. Un registre dans lequel le chanteur californien excelle, bien malgré lui.
Scatman est en effet sujet à des bégaiements systématiques depuis son plus jeune âge et ses premiers mots. La légende (ou du moins Wikipédia) raconte que même au sommet de sa carrière, lors de cette fameuse année 1995, il répétait chacune de ses phrases six à sept fois avant de les terminer. Une contrainte de la vie de tous les jours que le chanteur va réussir à transformer en véritable force.
Pourtant le cheminement ne sera pas des plus évidents. Il commence sa carrière dans le jazz au début des années 1960, mais la reconnaissance tant espérée tarde à venir. Amoureux du jazz et de son piano, il n’arrive pas à vivre de la musique et doit avoir des petits boulots à côté de son activité de musicien pour joindre les deux bouts. Il compose déjà lui-même des morceaux, mais aucune maison de disques ne lui fait assez confiance pour tenter le pari et enregistrer ses titres.
Après ces années à se cacher derrière son piano, il n’en démord pas. Alors pianiste dans un bar depuis 1976, il comprend que son handicap peut lui permettre d’effectuer des prouesses vocales impossibles pour le commun des mortels. Il n’en fallait pas plus pour qu’il se lance avec un premier morceau à la fin de l’année 1994 : “Scatman (ski-ba-bop-ba-dop-bop).”
Le titre commence par être diffusé sur les ondes allemandes, avant de conquérir peu à peu le monde entier et de devenir une chanson culte du second millénaire. Il est même remixé par de nombreux artistes reconnus de l’époque, rendant “Scatman (ski-ba-bop-ba-dop-bop)” quasi-universel. Avec sa mélodie efficace, une bonne (over)dose d’onomatopées et un son de dance music bien propre à l’époque, le morceau s’écoule à plus de six millions d’exemplaires.
Fort de ce succès, c’est tout un album mettant à l’honneur le scat et la dance music que conçoit le bien nommé Scatman – à son grand dam. Lui aurait aimé faire du jazz, mais le monde a changé. La logique industrielle du marché de la musique a pris le pas sur la passion, et il l’a bien compris. L’important est ailleurs. Il tient enfin sa revanche sur ceux qui pendant des décennies ont refusé de lui accorder la moindre chance. Et quelle revanche.
Son premier single continue de truster les charts. Au moment de la sortie de son premier disque, sobrement nommé Scatman’s World, il était encore numéro un en France (et un peu partout dans le monde entier en fait), se livrant à une redoutable bataille avec Céline Dion (quelle époque). Son album lui rapporte un total incroyable de quatorze disques d’or et dix-huit disques de platine, et s’écoule à plus de trois millions d’exemplaires dans le monde. Son second single, “Scatman’s World”, connaît lui aussi une belle réussite, sans pour autant égaler celle du premier.
Malgré ces chiffres mirobolants, le succès sera bien éphémère. Devenu une sorte de mème avant l’heure, un phénomène coincé dans une époque qui avance trop vite, la hype autour de Scatman commence à redescendre. Voulant profiter de sa nouvelle notoriété, il sort un second opus dès l’année suivante, en 1996. Mais il ne retrouvera jamais la même réussite que son tout premier morceau.
Nommé Everybody Jam!, le disque ne rencontre pas le même succès que le précédent. Il tente de refaire un nouveau tube planétaire, en vain. La patte Scatman commence à sérieusement s’essouffler. John Paul Larkin aussi. Trois ans plus tard, on lui diagnostique un cancer des poumons. Il faut dire qu’avant sa reconnaissance tardive, ce féru de jazz n’avait connu que les clubs imprégnés d’épaisses fumées de tabac.
Déjà sérieusement atteint par la maladie, il sort en 1999 son troisième et dernier album Take Your Time – un titre qui résume parfaitement sa carrière. L’intérêt du public est assez minime, tandis que les métastases le rongent un peu plus chaque jour. Le 3 décembre de la même année, il décède à l’âge de 57 ans, cinq années seulement après un succès mondial qu’il aura attendu toute sa carrière. Rappeur à son insu, le débit le plus rapide du game n’est plus.
Il reste tout de même l’une des curiosités musicales les plus plébiscitées de l’histoire, et gardera toujours son statut d’artiste culte. Et ce malgré une musique aussi simpliste que loufoque, faite de beats électro et d’innombrables onomatopées. Comme le disait si bien Orelsan dans le morceau “Jimmy Punchline”, “si t’as du flow et pas d’parole, tu seras jamais plus fort que Scatman.”