Scandale au château de Versailles : un procès pour tromperie à cause de fausses antiquités acquises

Scandale au château de Versailles : un procès pour tromperie à cause de fausses antiquités acquises

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© Frédéric Soltan/Corbis/Getty Images

C’est une affaire embarrassante pour le château de Versailles. Pendant des années, malgré quelques alertes, le subterfuge est passé globalement "comme une lettre à la Poste".

Après huit ans d’enquête, la justice a renvoyé en procès l’expert de l’art Bill Pallot, sommité mondiale du mobilier français du XVIIIe siècle, pour la fabrication de faux meubles d’époque acquis par le château de Versailles entre 2008 et 2015, l’un des plus grands scandales de faux de ces dernières années. D’après une ordonnance du juge d’instruction, que l’AFP a consultée, six personnes physiques et une prestigieuse galerie d’antiquaires parisienne comparaîtront devant le tribunal correctionnel de Pontoise pour cette affaire qui a secoué le microcosme feutré des antiquaires et des monuments historiques.

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À l’origine de ce dossier, se trouve le “pari” de deux hommes enivrés par leur capacité à duper les plus grands spécialistes et acquéreur·se·s de l’art français du XVIIIe siècle. Au centre de l’affaire, le “Père La Chaise” à savoir Bill Pallot, 59 ans, notamment renvoyé pour tromperie. Jusqu’alors spécialiste français incontesté du mobilier royal du XVIIIe, il a écrit l’ouvrage de référence mondial sur le sujet. À ses côtés, Bruno Desnoues, un ébéniste et meilleur ouvrier de France du Faubourg Saint-Antoine, quartier historique du travail du bois à Paris. À partir de 2007-2008, le duo produit et vend une poignée de faux sièges présentés comme de rarissimes meubles d’époque qui auraient orné le salon de Madame du Barry, ou le cabinet de la reine Marie-Antoinette. C’est une supercherie “grisante”, de leur propre aveu, qui leur rapportera des centaines de milliers d’euros.

Acquises par des galeries ayant pignon sur rue, les fausses antiquités sont ensuite revendues par ces dernières à de prestigieux client·e·s, à l’instar d’un prince qatari, avec des marges faramineuses. “Il y en a qui se sont bien gavés au passage”, commentera en interrogatoire l’ébéniste en apprenant les prix pratiqués. Au premier plan des destinataires finaux, figure le château de Versailles qui s’est ainsi porté acquéreur de fausses chaises estampillées Louis Delanois, d’une chaise Georges Jacob et d’une bergère Jean-Baptiste Claude Sené – des ébénistes du XVIIIe siècle aux œuvres parmi les plus chères et recherchées. Pendant des années, malgré quelques alertes, le subterfuge passe globalement “comme une lettre à la Poste”, se félicitera Bill Pallot devant le juge d’instruction.

“Dysfonctionnements” à Versailles

Leur chute viendra d’un endroit inattendu. En 2014, la cellule antiblanchiment Tracfin détecte des opérations financières et immobilières dans le Val-d’Oise d’un couple de Portugais·es, un chauffeur et une coiffeuse, qui semblent sans commune mesure avec leurs revenus déclarés. En remontant le fil, les enquêteur·rice·s découvrent que le mari est en lien avec l’ébéniste du Faubourg Saint-Antoine et finissent par mettre au jour cet incroyable trafic de meubles XVIIIe, particulièrement embarrassant pour le prestige du château de Versailles.

Contactés par l’AFP, le Domaine national – partie civile dans le dossier aux côtés de la maison d’enchères Sotheby’s – et la défense de Bill Pallot n’ont pas souhaité faire de commentaire. Au terme de huit ans de procédure, le juge d’instruction a décrété un non-lieu pour un expert de l’art réputé qui servait d’intermédiaire entre Pallot et les galeries, ainsi qu’un doreur qui travaillait sur les faux sièges. Il a estimé que ceux-ci avaient été dupés par la renommée de l’expert. Il a en revanche renvoyé devant le tribunal la galerie d’antiquaires Kraemer, l’une des plus luxueuses de Paris et fréquentée par nombre de milliardaires, et l’un des frères qui la dirige, Laurent Kraemer.

Si le juge a abandonné l’accusation initiale d’escroquerie en bande organisée et reconnu que les Kraemer n’étaient pas “de connivence” avec les faussaires, il leur est reproché de “ne pas avoir procédé à des vérifications suffisamment poussées” sur les meubles incriminés. “La galerie Kraemer a été trompée et avec elle, tous les plus grands experts français des meubles XVIIIe […]. Nous attendons l’audience avec impatience pour démontrer que les Kraemer n’ont aucune autre place dans ce dossier que celle de victimes”, ont réagi auprès de l’AFP leurs avocats Mauricia Courrégé et Martin Reynaud, en dénonçant des “charges [qui] n’ont fait que fondre comme neige au soleil”.

L’instruction a aussi finalement écarté certains meubles initialement visés par l’enquête, comme une seconde paire de chaises “du Barry” achetée par Versailles et une veilleuse à la turque. Face au scandale provoqué par la révélation de cette affaire en 2016, le ministère de la Culture avait ordonné une inspection sur les procédures d’acquisitions du château de Versailles. Dans un rapport rendu l’année suivante et versé à l’instruction, l’administration y fustigeait “des dysfonctionnements” et un “défaut de vigilance” de la part de l’établissement public et l’appelait à “réviser dans les meilleurs délais et en profondeur” ses procédures.