Les Époux Arnolfini est un incontournable de la peinture flamande. Peint en 1434 par Jan van Eyck, le tableau représente Giovanni Arnolfini, un marchand toscan de Bruges, demandant la main de sa dulcinée Giovanna Cenami, qui semble enceinte. Derrière le couple, une chambre à coucher rouge comme l’amour. Au-dessus, une bougie qui se consume pour évoquer sa noce nuptiale. À ses pieds, un chien qui symbolise la fidélité conjugale, et une paire de souliers qu’il faut toujours enlever quand on s’adonne à un acte sacré.
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Les interprétations divergent sur ce tableau : le chercheur Erwin Panofsky y voit une scène de mariage célébré en privé car la femme est déjà enceinte depuis plusieurs mois. Elle a d’ailleurs sa main posée sur son ventre arrondi, et le lit, les bougies et la fenêtre rappellent les scènes religieuses d’Annonciation. Toutefois, d’autres n’y voient pas une scène de mariage faite à l’abri des regards et pensent que la protubérance de son ventre a plus à voir avec une mode vestimentaire de l’époque. De plus, sur le tableau derrière, il est écrit en mauvais latin : “Johannes van Eyck fut ici, 1434″, qui constitue un témoin de ce mariage. Le contrat de mariage est souvent remis en question, dans des analyses d’historien·ne·s de l’art, car les deux se sont marié·e·s bien après la réalisation de ce tableau, en 1447, après la mort du peintre en 1441.
Une histoire d’infidélité…
Ce qui nous intéresse réellement, c’est ce qui se trouve dans ce “miroir de sorcière”, comme quand nous analysions le tableau de Diego Vélasquez, qui avait beaucoup de choses à nous dire. L’image reflétée par le miroir représente tous les éléments de la chambre, le couple, un homme en bleu et le peintre qui s’attelle à sa tâche et qui semble vêtu de rouge. Il n’y a qu’un seul élément qui est éclipsé dans le reflet du miroir et il s’agit du chien.
Jan van Eyck, Les Époux Arnolfini, 1434. (© National Gallery, Londres)
Cette suppression en dit long sur l’état de ce couple, qui fait un mariage accéléré pour éviter la mauvaise réputation qu’une union hors mariage pourrait provoquer, mais qui, peut-être, se trompe. En effet, ce chien, rappelons-le, symbolise la fidélité. Le miroir est bombé, comme le ventre de la femme, mais aussi comme ceux qu’on trouve à cette époque dans les boutiques et les banques pour surveiller les malotrus. La forme du miroir sous-entend un doute, une méfiance, un vice présent dans le couple, et ce pourrait être l’adultère, au vu de l’absence du chien.
Autre détail qui pointe la distance qui se creuse entre les deux protagonistes principaux : dans le miroir, les époux ne se tiennent pas la main. Le miroir se fait ainsi reflet de l’envers du décor et de la difficile réalité d’une union qui ne devrait pas avoir lieu, qui se bâtit sur le mensonge et la trahison. L’atmosphère très solennelle de la scène peut être vue comme ironique : le peintre se représente sur le tableau, comme un clin d’œil au regard subjectif qu’il peut porter en tant que témoin d’un mariage acté à la va-vite. Il incarne à la fois son jugement et le nôtre. Finalement, ne serait-ce pas nous qui sommes reflété·e·s par ce miroir ? En effet, l’objet est placé à l’exact centre où le public se positionne pour admirer la toile au musée. Et comme le peintre, nous regardons avec perplexité ces deux personnes qui se marient sans s’aimer réellement.
… ou de deuil ?
Une autre théorie, étayée par la spécialiste Margaret Koster, analyse cette peinture autrement : plutôt qu’une simple histoire d’adultère, elle serait un hommage funèbre. Le protagoniste masculin est en noir et violet, couleurs que l’on porte lors d’un deuil. Les dix médaillons autour du miroir racontent les scènes de la Passion, et celles sur la mort de Jésus sont positionnées du côté droit, celui de la femme.
Sur la tête de lit, on peut voir une sculpture de sainte Marguerite, patronne des femmes en couches. À gauche du miroir, figure un collier de perles, évoquant un chapelet qu’on peut utiliser pour prier une âme perdue. Au-dessus du mari, une bougie allumée, comme une lueur de vie restante. Margaret Koster explique que le commanditaire de la toile ne serait pas l’époux peint par Jan van Eyck mais son cousin, Giovanni di Nicolao Arnolfini, qui venait de perdre sa femme, Costanza Trenta, un an plus tôt des suites d’un accouchement qui leur fut fatal. Comme Les Ménines, ce tableau serait un hommage posthume et regorge de secrets non élucidés. Si vous voulez admirer ce tableau en vrai, direction la National Gallery de Londres.