Malcolm McLaren en 1992 (© Martyn Goodacre/Retna Pictures)
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En 1983, Malcolm McLaren délaisse le punk pour embrasser les sonorités hip-hop. En mélangeant sampling, scratches et musiques sud-africaines, il a marqué ce genre musical de son empreinte, tout en trompant tout le monde.
Lorsque Malcolm McLaren décède en 2010, ce sont les amoureux du punk qui lui rendent d’office hommage. Et pour cause. Durant les années 1970, l’Anglais fut l’une des figures esthétiques et médiatiques du mouvement punk naissant. En créant à Londres la boutique de fringues SEX avec sa compagne, la styliste Vivienne Westwood, mais aussi en devenant dès 1974 le manager du groupe New York Dolls, fer de lance avec les MC5 et les Stooges de la scène protopunk.
Malcolm McLaren était un businessman, un type qui sentait le vent tourner, mais pas seulement. Il était également, à son échelle, un sacré visionnaire et un faiseur d’images. Sous son impulsion, ses protégés adoptent une esthétique tirée des régimes totalitaires, communistes ou national-socialistes. Déjà, ça dérange.
Précurseur du mouvement world music
Mais c’est surtout en coachant les Sex Pistols dès 1975 qu’il est entré dans l’Histoire. C’est lui qui aide à la formation de ce groupe qui deviendra rapidement le groupe phare du punk, celui qui résume bien souvent ce mouvement dans l’inconscient collectif. Mais au début des années 1980, alors que le groupe est dissous depuis 1978 et que lui-même s’est installé aux États-Unis, Malcolm McLaren découvre le hip-hop. Grâce à son nez fin, il s’engouffre dans cette culture qui est déjà en train de contaminer tous les USA. Il commence alors à écrire une autre page, pas forcément la plus belle, d’ailleurs.
Posons les bases tout de suite : l’unique album rap de Malcolm McLaren, Duck Rock, sorti en 1983, n’est pas un indispensable, et ce malgré la grande inventivité qu’il déploie. Mais il a un mérite majeur : tenter d’insérer au cœur du hip-hop une dimension internationale. À l’époque, il sent que le monde appelle à une ouverture de l’Occident sur des rythmes qui lui sont alors pour la plupart inconnus. En fait, le bonhomme anticipe de quelques mois le grand mouvement pop world music qui fera éclore Johnny Clegg, Youssou N’Dour et consorts. Comment ? Avec un sens de l’autopromotion unique, et un culot dément.
Kool & The Gang en introduction
Avant la sortie de Duck Rock, Malcolm McLaren annonce : “Selon moi, ça va être l’événement le plus important de tous les temps. Je crois que ça va être le plus authentique. Et je pense que ça va créer une prise de conscience qui va réunir ce qui se fait au Zululand ou dans les Appalaches.” Comme quoi, Kanye West n’a rien inventé en termes d’intox. Quelques années plus tôt, il avait rencontré l’un des pionniers du hip-hop, Afrika Bambaataa, et avait été séduit par sa Zulu Nation, sorte de collectif précurseur prônant une quête spirituelle liée au hip-hop et un pacifisme face à la violence des gangs. Pour McLaren, l’aspect dangereux et dansant du rap montant était une aubaine.
Tout d’abord, il tente de réunir autour de lui les meilleurs DJs hip-hop new-yorkais. Mais sa démarche laisse des doutes sur ses intentions. Seule la World’s Famous Supreme Team accepte, et s’embarque dans une aventure musicale bâtarde qui démarre par un single, “Buffalo Gals”. C’est Trevor Horn, grand producteur ayant déjà travaillé avec le groupe de rock progressif Yes et son propre groupe Buggles (notamment auteurs du hit “Video Killed The Radio Star” en 1980) qui l’épaule.
Malcolm McLaren s’envole pour l’Afrique du Sud à la recherche de sons à collecter dans les townships, tentant d’en capter l’essence musicale. Le matériel sonore qu’il ramène est alors marié aux scratches, au rap et au sample. Dès les premières secondes de “Buffalo Gals”, on entend un échantillon de la version live de “Summer Madness” du groupe disco funk Kool & The Gang. De grandes orchestrations de cuivres, de Fender Rhodes, de basse et de batterie, pompeuses, annonçant le départ d’un morceau presque exclusivement instrumental, où chaque musicien du groupe dispose d’un temps défini pour s’exprimer librement.
Malcolm McLaren, voulant présenter son album à la manière d’un mix radiophonique, sample donc cet extrait grandiloquent, une introduction clé en main, et le place dès les premières mesures de “Buffalo Gals”. Par-dessus, les voix des membres de la World’s Famous Supreme Team teasent le titre de l’album Duck Rock, puisqu’il s’agira de la première piste du disque.
“Le vautour de la culture”
Le problème, c’est que dans sa quête de reconnaissance et de succès, Malcolm McLaren s’est un peu perdu. Il prétendait être allé conter aux Zoulous sud-africains ses exploits à l’époque des Sex Pistols, leur donnant alors l’inspiration pour lui fournir les musiques et les sons qu’il était venu chercher. En fait, ces chansons soi-disant folkloriques n’étaient que des tubes de pop locale qu’il avait fait rejouer à la note près par des musiciens de studio à Johannesburg puis à New York. Rien à voir avec un noble travail de collecteur, donc. Évidemment, il ne créditera aucun des musiciens ayant joué pour lui, et encore moins les auteurs des chansons qu’il leur fait reprendre.
Dans l’esthétique de cet album se lit un grand fourre-tout. Brésil, Caraïbes, Afrique du Sud, mambo, merengue, rock’n’roll. On est sur un joyeux bordel. Afrika Bambaataa, qui avait initié Malcolm McLaren à cet universalisme musical, constate alors que son ami Anglais n’est revenu de ses voyages qu’avec une portion infime de la richesse qu’il était censé ramener. D’autant que le livret de Duck Rock vante grandement la démarche artistique de son auteur. Et si, finalement, l’intention première de Malcolm McLaren n’était pas, justement, de créer une grande arnaque, de se faire prendre pour mieux se faire détester, et donc pour mieux vendre ? C’est totalement envisageable au vu du personnage. Ce qui est certain, c’est que des années plus tard, Afrika Bambaataa aura ces mots à son propos : “Malcolm McLaren est le vautour de la culture.”