Depuis ses tout débuts, Rone a toujours aimé l’expérimentation et les créations hybrides. Jamais figé dans un seul genre, étant de ceux prêts à explorer tout ce qu’il peut. Autant dire que quand le Théâtre du Châtelet a annoncé un spectacle de danse de La Horde mis en musique par le compositeur français, cela semblait intrigant, mais somme toute logique.
À voir aussi sur Konbini
Sauf que comme d’habitude, c’est plus compliqué que ça en a l’air. L’idée vient en réalité du musicien, qui a contacté tout le monde, et a composé son album au fur et à mesure que le show se construisait. Un acte artistique complet, qui détonne et va faire parler.
Avant la première, et bien avant la sortie de son nouvel album, nous avons passé un petit coup de fil à l’intéressé, histoire d’en savoir plus et de comprendre la démarche qui se cache derrière !
Konbini | Comment tout a commencé ?
Rone | Ça remonte à la fin de la tournée de Mirapolis. J’avais tourné deux ans et j’arrivais à la fin donc je savais que j’allais m’enfermer pour faire un nouvel album. Et c’est à ce moment-là qu’il y a eu la proposition du Théâtre du Châtelet.
J’ai bu un café, on a discuté, et ils ont décidé de m’offrir une carte blanche pendant deux semaines. On m’a dit qu’on voulait me faire confiance. Je pense que ça découlait de la carte blanche que j’avais eue à la Philharmonie, sauf que ce n’était qu’une soirée.
J’ai trouvé l’idée géniale mais deux choses : j’avais envie de faire un album concept qui soit lié à ce spectacle, parce que je voulais faire un album mais autant faire d’une pierre deux coups. Et puis, très rapidement, j’avais envie de travailler avec des danseurs. Le Châtelet, c’est une des plus grandes salles de Paris, je me voyais mal seul sur scène.
Et puis, ça fait très longtemps que j’avais envie de bosser avec des danseurs. J’y pensais au départ pour des clips, mais là c’était idéal.
Rone et sa troupe (© Alice Gavin)
Du coup, une fois l’idée en tête, tu as contacté La Horde. Pourquoi eux en particulier ?
Disons que j’ai eu cette impression que j’avais une responsabilité, que je ne pouvais pas me contenter de faire un simple concert instrumental qui fait un peu rêver. J’avais envie d’avoir du fond, un message, d’exprimer des choses.
Et c’est là que j’ai pensé à La Horde. Des gens qui sont des danseurs mais qui ont un discours très politique. J’avais vu pas mal d’interviews d’eux là-dessus. Je les ai donc contactés, et rencontrés il y a presque un an maintenant, et sans surprise, cela a été gros coup de cœur. On a vite décidé de bosser ensemble.
Comment cela s’est fait concrètement ?
Peu de temps après qu’on se soit topé la main, ils ont eu la direction du ballet national de Marseille. Ce qui est dingue quand on y pense, les grosses institutions devaient être choquées que des jeunes prennent la direction. En tout cas, le lieu est génial, on a passé beaucoup de temps là-bas.
Tout s’est aligné au final, car c’est le premier projet qu’ils font depuis le début de leur prise de fonction, donc le Ballet national de Marseille est coproducteur. Ils ont cherché 18 danseurs, du monde entier (il n’y a que deux Français).
Par la suite, je suis allé les rencontrer à Marseille avec presque rien, deux-trois maquettes. Et ça s’est développé comme ça, entre Marseille et Montreuil, où j’avais mon studio pour l’album. Là-bas, en fonction de ce qui se passait, de comment les danseurs bougeaient sur ma musique, je changeais mes sons.
On a beaucoup échangé avec La Horde sur la mise en scène. C’était hyper fluide, très agréable.
Du coup, tu as composé ton album avec le spectacle et les danseurs en tête en permanence, ou tu essayais de composer et leur proposais ?
La première fois que je suis allé à Marseille, je suis revenu avec une photo de tous les danseurs. Je les ai toutes mises sur un mur du studio. Du coup, j’ai composé en pensant à eux, en les regardant, en pensant qu’ils bougeraient dessus.
Et puis, il y avait une narration où on voulait raconter quelque chose. L’effondrement, climatique mais aussi d’une civilisation. Ce qui est, on ne va pas se mentir, un peu casse-gueule parce qu’on ne voulait surtout pas faire du greenwashing, être moralisateur.
Le propos, c’est plus comme si on était des observateurs, avec nos arts respectifs, avec les infos qu’on a. D’où le titre, Room with a View, car on observe tout ça par la fenêtre du monde qu’est notre smartphone, en gros.
J’imagine que l’exercice devait être bien plus contraignant et difficile que sur tes albums précédents.
Pas vraiment. Quand tu fais un album et que t’es libre et que tu n’as pas de contraintes, tu peux te perdre. Je le sais. Là, on avait écrit un déroulé, ça commence par une teuf, il y a un effondrement, et tout le truc permet de raconter comment les danseurs se réinventent.
Je voulais quelque chose de noir, de dur. En même temps, je me suis demandé comment je voulais que les gens sortent du spectacle. Je ne voulais pas qu’ils soient écrasés, mais plutôt avec plein de force. Le spectacle est joyeux, solaire. Il y a des moments très doux, très durs, calmes, explosifs. Donc ça m’a guidé. “Là, tu dois faire un morceau doux, un morceau vénère”.
Ça a été rapide ?
Carrément ! J’étais tellement rempli de choses que j’ai dû les exprimer très vite, j’avais besoin de les expulser. Je dirais qu’en comptant les allers et retours, ça m’a pris deux ou trois mois.
L’autre coup de chance, c’est qu’avant que le Châtelet ne me contacte, il y a le Centre des monuments nationaux qui m’a proposé une résidence dans la maison de George Sand où j’ai pu bosser sur ce qui allait devenir l’album. J’avais donc déjà un peu de matière.
Oui car le but malgré tout, c’était de pouvoir sortir l’album après, et que ce ne soit pas “juste” la BO du spectacle ?
Exactement. Moi, dès le début, j’avais dit à La Horde : “je ne veux surtout pas qu’il s’agisse de faire un concert de Rone avec des danseurs qui s’ambiancent. ET non plus une BO pour un spectacle.” Cela doit être une fusion, une rencontre. Moi dans le spectacle, je suis sur scène, il y a des interactions avec les danseurs tu vois. Donc c’est un spectacle total.
Et un mois plus tard sort l’album avec la musique du spectacle. Sur le spectacle, on a utilisé la moitié de l’album. Il y a plein de morceaux qui ne sont pas exploités. Bon, c’est cohérent, et ça en fait partie pour moi mais on ne les a pas tous utilisés. Je ne voulais pas que ce soit un enchaînement de tracks. Je voulais jouer avec des silences. Encore une fois, ce n’est pas un concert où on enchaîne les morceaux. Mais s’il n’y en a pas besoin, il n’y en a pas besoin.
Et l’album aura une autre vie puisque je vais tourner avec. Mais c’est marrant, je t’avoue parce qu’il y aura le spectre des danseurs autour de moi.
Tu fais d’autres dates avec la troupe avant de te lancer dans ta tournée en solo ?
Oui, aux Nuits de Fourvières cet été, et on aimerait le jouer à l’étranger. On a envie de le sortir du Châtelet et qu’il vive sa vie. Je ferai ma tournée solo en parallèle. C’est schizo mais ça me plaît.
Room With a View, du 5 au 14 mars au Théâtre du Châtelet. L’album sortira quant à lui le 24 avril prochain.