Le cinéaste, accusé d’abus sexuels sur mineure, sera le président de la 42e cérémonie des César.
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Le cinéma français est une grande famille. Au sein de cette famille, tout semble rose, beau, bien entretenu. Une petite blague à propos de l’histoire de l’un de ses membres ? On appelle cela une erreur, un dérapage, une mauvaise “interprétation”.
11 mai 2016 : Laurent Laffite est le maître de cérémonie de la 69e édition du Festival de Cannes. L’humour du comédien a du mal à faire se mouvoir les visages crispés de la horde d’acteurs, réalisateurs et producteurs assis en rangs dans l’immense salle du palais des Festival. Face à lui, à quelques mètres, un certain Woody Allen, qui présente hors compétition son dernier film, Café Society.
Et Laurent Lafitte de mettre les pieds dans le plat, sur son passé douteux :
“Ça fait plaisir que vous soyez en France. Ces dernières années, vous avez beaucoup tourné en Europe alors que vous n’êtes même pas condamné pour viol aux États-Unis.”
Le réalisateur de 81 ans est en effet accusé d’avoir agressé sexuellement sa fille Dylan Farrow en 1993. Il n’a jamais été embêté par la justice ou les médias au sujet de ces accusations, tournant toujours aux États-Unis s’il le souhaite, avec les plus grandes stars du moment. Sa réputation est quasiment intacte.
Mais le lendemain, le maître de cérémonie fait machine arrière. En fait, on n’avait rien compris. La blague n’était pas supposée être liée à une tribune publiée le matin même par Ronan Farrow, frère de Dylan Farrow (la fille de Woody Allen qui l’accuse d’agression sexuelle), dénonçant le silence des médias à propos de l’affaire :
“J’ai appris que ma blague avait fait beaucoup réagir, pas dans la salle, mais après la cérémonie. Je n’ai su que ce matin que le fils de Woody Allen avait publié un communiqué hier qui accusait son père [d’agression sexuelle]. Je n’étais pas au courant.
Quand j’ai écrit cette blague, le but était plutôt de se moquer de l’Europe, et des raisons pour lesquelles l’un des plus grands réalisateurs américains y travaille depuis des années. Alors que Woody Allen n’y était pas obligé, puisqu’il n’a pas été accusé de viol dans son pays comme Roman Polanski.
C’était conçu comme un trait d’humour sur le puritanisme américain, et sur le fait qu’un réalisateur américain ait envie de faire tant de films en Europe. Je n’étais pas au courant du reste.”
Et Polanski devint président des César
Ce matin, la blague n’est cette fois-ci pas venue d’un comédien-humoriste, mais de l’Académie des César et de Canal+. L’institution et la chaîne cryptée ont ainsi annoncé que Roman Polanski serait le président de la 42e cérémonie des César, qui se tiendra le 24 février prochain.
Alain Terzian, le président de l’Académie des arts et techniques du cinéma, et en charge de la cérémonie des César, a ainsi déclaré à propos du réalisateur :
“Artiste, cinéaste, producteur, scénariste, comédien, metteur en scène, il existe bien des mots pour définir Roman Polanski mais un seul pour lui exprimer notre admiration et notre enchantement : merci, monsieur le Président.”
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Roman Polanski a aussi eu un passé (très) douteux. L’affaire remonte à 1977 : le cinéaste, alors âgé de 43 ans et aujourd’hui connu pour avoir façonné Le Pianiste comme Chinatown, est accusé d’avoir drogué puis violé une mineure, à l’époque âgée de 13 ans, Samantha Geimer. Incarcéré pendant 42 jours, le cinéaste plaide alors coupable pour “rapports sexuels illégaux” contre l’abandon des charges de viol et sodomie. Il sort de prison, libéré sous caution. Il n’attend pas le verdict et part aussitôt pour l’Europe, craignant une sanction, en ayant pourtant conclu un accord avec la justice américaine.
Pendant trente ans, la justice américaine va tenter de mettre la main sur lui, lors de ses différents voyages dans le monde, du Royaume-Uni (1978) à Israël (2007). Vainement. En 2008, pourtant, Roman Polanski est arrêté par la police suisse à Zurich alors qu’il se rend à un festival de cinéma. L’arrestation est réalisée dans le cadre d’un mandat d’arrêt international émis en 2005.
Un an plus tard, en novembre 2009, contre une caution de près de 3 millions d’euros, le Tribunal pénal fédéral accepte sa libération, avec assignation à résidence et port d’un bracelet électronique. Roman Polanski fait actuellement toujours figure de fugitif dans les États membres de l’Union européenne, selon Interpol, à la demande des États-Unis, qui représente 190 pays dans le monde. Il n’a droit de se déplacer qu’en France, Suisse et Pologne, pays qui a récemment refusé d’extrader le cinéaste vers les États-Unis;
À plusieurs reprises Samantha Geimer a demandé à ce que les poursuites soient abandonnées. Dans ses mémoires, elle précisait ainsi :
“Je ne lui ai pas pardonné pour lui, je l’ai fait pour moi.”
Sur Twitter, les internautes n’ont pas tardé à réagir, exprimant leur rejet de la nouvelle :
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Étonnement, Roman Polanski n’avait pas aimé la blague de Laurent Lafitte. Il avait ainsi déclaré, alors qu’il était invité sur le plateau d’Europe 1 :
“Je pense que la tirade de Laurent Lafitte était minable, pas seulement vis-à-vis de moi, mais surtout vis-à-vis de Woody Allen, qui était invité pour faire l’ouverture du Festival avec son nouveau film. C’était d’extrêmement mauvais goût.”
Ce qu’il y a sûrement de mauvais goût, et on peut l’affirmer sans ciller, c’est qu’une personne accusée de viol sur mineure, une personne ayant elle-même reconnu les faits, devienne la représentation symbolique, le visage du cinéma français, au cours d’une cérémonie récompensant ses meilleurs films de l’année. Ça, c’est plus que de mauvais goût, ça n’aurait jamais dû être entrepris.