Jacques Doillon est en compétition à Cannes pour son adaptation à l’écran d’une partie de la vie du sculpteur Auguste Rodin, qu’incarne Vincent Lindon. Verdict !
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L’année 2017 marque le 100e anniversaire de la mort d’Auguste Rodin. Alors que le Grand Palais consacre une imposante exposition à son œuvre prolifique, voilà que le cinéma lui rend hommage à travers le regard du cinéaste Jacques Doillon. Considéré comme l’un des fondateurs de la sculpture moderne, cet artiste majeur, papa du Penseur, avait déjà connu par le passé les faveurs du septième art sous les traits de Gérard Depardieu dans Camille Claudel de Bruno Nuytten. Cette fois, c’est à Vincent Lindon qu’incombe la tâche ardue de faire revivre l’homme et son génie, non pas sur la base d’un biopic linéaire et littéral, mais plutôt sur un segment de vie déterminant et révélateur de la personnalité sondée.
Regrettable désincarnation
Nous nous retrouvons donc à Paris, en 1880. Rodin a 40 ans et reçoit sa première commande de l’État : La porte de l’Enfer, création magistrale qui totalise et clavette tout son spectre créatif. Dès l’entame, l’atmosphère est posée dans un minimalisme et une nudité de circonstance. On comprend instantanément que Doillon va s’attacher à une dissection en règle, médicale, minutieuse, de l’acte créatif. La lumière qui baigne le véritable atelier de Rodin, utilisé pour le tournage, libère une forme de vérité immanente. Le sculpteur touche, palpe, travaille. Il plisse les yeux, se contorsionne afin d’insuffler réalisme et magie. Il réfléchit, murmure derrière sa barbe hirsute. L’observation des corps, l’aiguisement des sens, la force de l’instinct : combinaison d’une passionnante mécanique artistique. Sur ce terrain précis, où la caméra investit l’impénétrable, Rodin est une réussite.
Doillon se montre hélas moins convaincant quand il est question de s’intéresser à l’homme et à ses interactions, notamment avec sa muse et maîtresse Camille Claudel (Izïa Higelin peu crédible) ou sa femme Rose (Séverine Caneele). En effet, tandis que la caméra s’attarde constamment sur la chair, sur la matière – surtout la terre –, les portant aux nimbes, les célébrant dans un éclairage lactescent, il est regrettable que le héros n’en soit jamais vraiment le dépositaire. Désincarné, peu touchant, le Rodin de Lindon paraît souvent, à l’exception de petits moments épicuriens, vidé et inapte à réverbérer le message façonné. En clair : lui-même manque de cette chair tant et tant filmée et magnifiée. Ses atours, lorsqu’il ne se trouve pas face à son art, deviennent dès lors aussi sibyllins que ses propres mots, prisonniers et séquentiellement inaudibles. Ce Rodin ressemble en définitive à une sculpture prometteuse mais inachevée.