Depuis les années 1990, la complexe restitution d’œuvres d’art dont les Juif·ve·s furent spolié·e·s par l’Allemagne nazie s’est accélérée. Ce mardi 23 mai, le Sénat a examiné un projet de loi sur le sujet. Durant la Seconde Guerre mondiale, les nazis pillent méthodiquement les œuvres d’art détenues par les personnes juives. Elles sont revendues, collectionnées par les hauts dignitaires, ou destinées au mégaprojet de “Führermuseum” à Linz.
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Des spécialistes dépêché·e·s par les États-Unien·ne·s, ainsi que les programmes de restitution mis en place dans les ex-pays occupés, permettent de rendre à leurs propriétaires une majorité des pièces peu de temps après la fin de la guerre. Mais sur les 650 000 œuvres volées, 100 000 environ n’avaient toujours pas été restituées en 2009, selon les chiffres publiés lors d’une conférence internationale à Terezin, en République tchèque.
Les notes de Rose Valland
En France occupée, les œuvres pillées transitaient par le Jeu de Paume à Paris avant d’être envoyées en Allemagne. Grâce aux notes clandestines prises par une attachée de conservation, Rose Valland, quelque 60 000 œuvres et objets ont été récupérés en Allemagne et renvoyés en France, sur 100 000 spoliés. Les deux tiers d’entre eux, environ 45 000, ont été restitués à leurs propriétaires avant 1950. La plupart des autres pièces a été vendue, à l’exception de 2 200 non réclamées, confiées à titre provisoire à la garde des musées nationaux.
Au total depuis 1950, 199 œuvres et objets conservés par des institutions publiques françaises ont été restitués aux ayants droit de leurs propriétaires. 15 d’entre eux issus des collections publiques, dont le tableau Rosiers sous les arbres de Gustav Klimt, ont nécessité une loi spécifique promulguée le 21 février 2022. La loi-cadre examinée mardi 23 mai au Sénat vise à simplifier et accélérer la procédure.
Gustav Klimt, Rosiers sous les arbres, 1905. (© Musée d’Orsay/Peter Nathan)
La déclaration de Washington
Après l’inertie encouragée par un contexte de guerre froide, les années 1990 ont réveillé le processus. En décembre 1998, 44 États signent la “déclaration de Washington” par laquelle ils s’engagent à “retrouver”, et dans la mesure du possible restituer, les œuvres volées par les nazis, des principes réaffirmés en 2009 à Terezin. Aux États-Unis, la loi “Hear” de 2016 prolonge le délai pour réclamer la restitution d’une œuvre.
L’Autriche estime avoir rendu quelque 10 000 œuvres issues de ses collections publiques depuis une loi de 1998. Parmi celles-ci, cinq chefs-d’œuvre de Gustav Klimt provenant de la collection Bloch-Bauer ont fait l’objet d’une longue et âpre bataille judiciaire. Les Klimt ont fini par être restitués en 2006 aux ayants droit et revendus par la suite à New York pour un montant total alors record de 328 millions de dollars.
Autre affaire emblématique, la douane allemande découvre en 2012, à Munich et en Autriche, 1 500 dessins, tableaux et gravures du collectionneur Cornelius Gurlitt, dont le père fut un marchand d’art ayant servi le régime hitlérien. À sa mort en 2014, Gurlitt désigne le musée d’arts de Berne comme l’héritier de sa collection, mais 500 pièces à l’origine litigieuse sont conservées en Allemagne. En janvier 2021, le gouvernement allemand a annoncé que l’ensemble des 14 œuvres d’art de Gurlitt identifiées comme ayant été volées à des Juif·ve·s avaient été restituées à leurs propriétaires. Le musée suisse a pour sa part annoncé en décembre 2021 renoncer à 38 œuvres volées ou jugées suspectes.
Malgré les efforts de restitution, les conflits sont fréquents entre ancien·ne·s et aspirant·e·s propriétaires. Les tribunaux des deux côtés de l’Atlantique sont régulièrement appelés à trancher, parfois sur les conditions d’acquisition d’une œuvre à l’époque. Les héritier·ère·s d’un couple de Juif·ve·s allemand·e·s qui avait vendu en 1938 un Picasso pour financer sa fuite face au régime nazi ont par exemple déposé plainte au civil en janvier contre le musée new-yorkais Solomon R. Guggenheim, pour récupérer le tableau La Repasseuse. Les plaignant·e·s invoquent une vente “forcée” et à un prix dérisoire à Justin Thannhauser, dont la collection fut donnée à sa mort à ce musée.