Athena, le dernier film choc de Romain Gavras, est une sorte de tragédie grecque qui conte l’histoire de quatre frères issus d’un quartier populaire de banlieue parisienne qui va basculer dans le chaos après un drame : Idir, le benjamin, meurt après avoir subi des violences policières. Les destins de ses frères vont alors être liés : alors qu’Abdel est rappelé du front, Karim souhaite venger la vie volée de son frère. Moktar, dealer, est quant à lui dérangé par les soulèvements du quartier qui nuisent à ses affaires.
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Si le film Athena avait en amont été salué par la critique, acclamé à la Mostra de Venise et admiré entre autres par le rappeur Jay Z (Gavras a notamment réalisé son clip “No Church in the Wild”), et même au sein de notre rédaction, le film essuie de nombreuses critiques depuis sa sortie officielle sur Netflix. Un fossé se creuse sur sa réception, notamment entre une certaine sphère du cinéma et celles des personnes que le film est censé représenter.
Inès Seddiki, fondatrice de Ghett’up, une association qui travaille à la revalorisation de l’image des quartiers auprès du grand public, explique sur Twitter :
“Quand un film est adulé par la critique et détesté par les gens qu’il dépeint, il faut se poser des questions. On préfère ne pas être représenté au cinéma que défigurés dans vos films.”
Karim.Z, professeur en REP+ et également habitant d’un quartier populaire, se fait le porte-parole auprès de Konbini de la même critique :
“J’ai tout d’abord été pris par la beauté des scènes, notamment des plans-séquences filmés de manière à tomber ‘amoureux‘ du décor. Mais très vite, les innombrables clichés sur les banlieues, le fantasme de l’ultraviolence dans nos quartiers et la déshumanisation des acteurs m’a fait réfléchir sur l’impact que ce film pouvait avoir sur les plus jeunes. Ce film, sans réelle morale, ne semble véhiculer pas même l’ombre d’un espoir ou d’un avenir radieux.”
“Alimenter l’ignorance autour de la banlieue”
Pour Jamie, habitante d’Évry, là où a été tourné le film de Gavras, le film est “touchant” mais aussi “frustrant” et “décevant” :
“J’ai été touchée de voir Évry devant la caméra. J’ai trouvé que la mise en scène exploite très bien les méandres de la dalle du Parc aux lièvres. Venant d’Évry, visuellement c’était assez gratifiant de voir tous ces décors mis en place au quartier, car ça montre que c’est possible. Mais en ce qui concerne le scénario, j’ai été frustrée et déçue.
Évry c’est un vivier d’artistes et de jeunes réellement conscients et réalistes face à la France dans laquelle on évolue. Ça n’a pas du tout été exploité par le film. Mettre en scène la jeunesse d’Évry de cette manière-là, c’est alimenter l’ignorance autour de la banlieue.
Pour moi, c’est un film de ‘bandeurs‘ de cité parce que ça alimente tous les clichés qui existent déjà. On ne nous a montré que des casseurs et des personnes avec qui on ne prendrait pas le temps de discuter, des cités aux allures de châteaux forts infranchissables, des familles en grande précarité… Les banlieusards savent que nos quartiers sont beaucoup plus riches que ça.”
Sur Twitter encore, certains assurent également qu’Athena est un film de “bandeur de cités”, là où d’autres dénoncent un “ramassis de clichés”. Ce qui se dit en somme est qu’après Les Misérables, Bac Nord, La Haine ou encore Ma 6-T va crack-er, la représentation des quartiers populaires dans le cinéma français semblerait tourner en rond.
À la barre pour défendre Athena, certains avancent son esthétisme, sa technique indéniable et des plans-séquences sensationnels. Selon Romain Gavras, le décor est même “presque le personnage principal du film”.
D’autres, toujours à la défense, avancent son caractère fictif sur lequel il faudrait donc prendre du recul. Pour autant, les inspirations et les références peuvent troubler la lecture du film.
Dans l’une des scènes finales d’Athena, les jeunes sont sommés par la police de se déshabiller et de se mettre à genoux, les mains sur la tête, en rangs. Difficile de regarder cette séquence sans penser à l’interpellation collective des lycéens de Mantes-la-Jolie qui avait largement choqué et fait polémique en 2018. 151 jeunes avaient alors été humiliés, mis à genoux, les mains sur la tête puis filmés par un policier qui s’était réjoui en disant dans la vidéo :
“Voilà une classe qui se tient sage.”
Yessa Belkhodja, membre du collectif de Défense des Jeunes du Mantois s’est révoltée sur les réseaux sociaux :
“Gavras est allé fouiller dans l’imaginaire fantasmagorique le plus sordide des policiers. J’imagine ces mômes face à leurs écrans, face à cette scène, ceux qui ont subi ces moments atroces… Et ce n’était pas du cinéma.”
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Dès les premières minutes de l’œuvre de Gavras, on y voit aussi Yassine Bouzrou, un avocat pénaliste français très médiatisé qui plaide notamment pour l’affaire d’Adama Traoré, jeune homme noir mort après une intervention de police, un drame encore une fois bien réel. Dans Athena, Yassine Bouzrou semble jouer son propre rôle. Ce qui interroge sur la fiction dans le récit de Gavras. Pourtant, c’est bien le souhait de Gavras qui explique qu’il n’a pas voulu faire un film sociologique et que son intention était de “sublimer le réel dans la mythologie”.
L’hyperviolence, les personnages représentés en meutes, cagoulés, en uniforme, visibles mais invisibles, leur incapacité à communiquer autrement que par des hurlements et des insultes… La journaliste et écrivaine Louisa Yousfi a dédié un post Instagram à ces accumulations de clichés, voire de caricatures, dans lequel elle écrit :
“[…] Dès la 3e minute, la 3e je ne plaisante pas : une nausée me monte du fond des tripes. Devant l’inanité scénaristique, la puanteur politique, la réalisation mise au pas d’un fantasme raciste millénaire dont le cinéma français se fait le relais depuis des décennies sans qu’on ne parvienne à opposer autre chose que le schéma opposé : les pauvres petits indigènes à sauver.
Cette putain d’alternative qui nous coince toujours : des larves ou des monstres.”
S’il s’agit bien d’une fiction, les enjeux politiques qui entourent ce genre de films sont loin d’être fictionnels. On ne peut donc nier leur dimension politique. Aussi, Lucile Commeaux a écrit pour France Culture : “Athena met en images un fantasme de la droite et de l’extrême droite, ce fameux ‘ensauvagement'”. Elle écrit également que ce film est “malhonnête et mauvais”.
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Mais Athena est-il vraiment du “pain béni” pour l’extrême droite et ses fantasmes ? La journaliste Sihame Assbague, qu’on a interrogée, n’est pas tout à fait du même avis :
“Dire que ce film c’est du ‘pain béni’ pour l’extrême droite, c’est un peu la critique facile. Ça part du postulat que l’extrême droite a besoin de ce genre de récits pour nourrir son imaginaire et son vote raciste alors que ce n’est, évidemment, pas du tout le cas.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que ces représentations et cette déshumanisation constante des non-blancs et des quartiers populaires n’est pas l’apanage de l’extrême droite. On les retrouve dans les discours d’une large partie de la classe politique et médiatique.
En fait, c’est simple : l’image de l’homme non blanc, déviant, dangereux, sauvage et incontrôlable, c’est une perception dominante en France. Elle est héritée de l’histoire coloniale de ce pays et elle continue d’habiter les esprits et de justifier certaines mesures d’exception. Il n’y a pas que l’extrême droite qui propage et se nourrit de cet imaginaire : c’est le récit dominant !”
On se souvient que pour Les Misérables de Ladj Ly, Emmanuel Macron avait été “bouleversé par sa justesse” et aurait “demandé au gouvernement de se dépêcher de trouver des idées et d’agir pour améliorer les conditions de vie dans les quartiers.”
Le président de la République avait été pointé du doigt pour ces propos, certains trouvant surprenant qu’un chef d’État découvre l’état de son pays après le visionnage d’une fiction — surtout qu’il avait, au final, refusé de se rendre à Montfermeil, où il avait été invité.
Pour Bac Nord, Marine Le Pen s’était empressée de récupérer le film dès sa sortie pour pousser son agenda politique :
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Pourtant, selon son réalisateur Cédric Jimenez, “un film reste un film”. Il dit ne pas avoir voulu que celui-ci serve aux campagnes d’extrême droite et a détesté voir son nom écrit à côté de ceux de Zemmour ou de Le Pen.
Jimenez pour Bac Nord et Gavras pour Athena : les deux réalisateurs semblent tous deux frappés par la même naïveté quant à l’impact politique de leurs films. Si Athena n’est pas spécialement du pain béni pour l’extrême droite, il nourrit quand même, aux yeux des personnes qui ne se déplacent pas ou peu dans les quartiers populaires, un imaginaire caricatural et frustrant pour les premiers concernés.
L’esthétisme pour lequel Athena est acclamé ne serait-il pas finalement de la poudre de perlimpinpin pour voiler le bien faible scénario recyclé d’un imaginaire fantasmagorique ? La représentation des quartiers populaires dans les films français : pourquoi pas, mais ne faudrait-il pas songer à changer de disque ?