Sur la photo de profil du compte Instagram Renoir Sucks at Painting (“Renoir est nul en peinture”), on voit un homme tenir une pancarte sur laquelle est inscrite, en larges lettres majuscules, la phrase “Dieu déteste Renoir”. Suivi par plus de 18 000 personnes, le compte ouvert le 10 février 2015 a posté 385 publications visant à prouver que le célèbre peintre français Auguste Renoir (né en 1841 et décédé en 1922) était effectivement… super nul en peinture.
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Le compte Instagram pullule d’œuvres de Renoir agrémentées de légendes cinglantes telles que : “Non, il ne s’agit pas d’une photo floue, Renoir est juste vraiment nul en peinture” ; “Regardez comment Renoir a utilisé des sharpies pour les yeux du bébé. Regardez ses mains horribles. Regardez les teintes de peau. Puis, regardez l’arrière-plan”, mais aussi des photos de doigts d’honneur tournés vers les œuvres du peintre accrochées au musée. Dans la section commentaires, les internautes s’écharpent, débattent et s’offensent.
En mai 2015, l’arrière-arrière-petite-fille d’Auguste Renoir, Geneviève Renoir, avait commenté une des publications du compte, s’agaçant, à grand renfort d’emojis dollars, diamant et palette de peinture : “Quand votre arrière-arrière-grand-père peindra quoi que ce soit d’une valeur de 78,1 millions de dollars (ce qui représente 143,9 millions de dollars aujourd’hui), alors vous pourrez critiquer. En attendant, il est préférable de dire que le libre marché a parlé et que Renoir n’était PAS nul en peinture.”
Critique du capitalisme
Tout cela ressemble à une vaste mascarade, on est d’accord. Pourtant, le mouvement est bien réel et est même sorti des murs virtuels d’Instagram puisque ses membres allaient régulièrement au musée manifester devant les œuvres de l’artiste français. Plus que l’absence de talent revendiqué par les militant·e·s, le groupe dénonce le fait que les musées exposent toujours les mêmes artistes (“des hommes blancs”) et ne remettent pas assez en question ce qu’ils accrochent et, plus largement, ce qu’on considère comme des chefs-d’œuvre. En bref, le mouvement souhaite interroger tout ce qu’il nous reste à déconstruire de ce que l’Histoire nous a légué.
Le créateur du compte, Max Geller, avait d’ailleurs répondu à Geneviève Renoir que son “marché libre”, elle pouvait se le mettre où il pensait puisque ce dernier avait aussi donné lieu “au changement climatique, au système carcéral, à l’esclavage, à la colonisation, à la destruction de l’habitat des loutres de mer, à l’éviscération du prolétariat, aux publicités télé […] et, oui, à l’exaltation de ton arrière-arrière-papi, le Baron Von Mélasse lui-même”.
Artnet souligne que la haine anti-Renoir ne date cependant pas de Max Geller et que “les gens détestent Renoir depuis longtemps”, pour des raisons “morales et esthétiques” : “Les innombrables nus féminins peu flatteurs et aux visages mornes de Renoir lui ont valu d’être accusé, de façon posthume, de sexisme. S’ajoute à cette ignominie son antisémitisme crasse, tel que l’a prouvé sa position dans l’Affaire Dreyfus.”
Depuis 2015, le mouvement “Renoir Sucks at Painting” se fait plus discret, à l’exception d’une photo publiée en 2020, montrant des activistes tenant des pancartes “Stop treacle and zionism” au musée d’art de Tel Aviv. Ici encore, la haine anti-Renoir servait presque de prétexte à des positions politiques et sociales afin de dénoncer un musée “bâti par des colonisateurs européens sur une terre volée et ayant fait l’objet d’un nettoyage ethnique”, selon la légende du post.