Avec son rap onirique aux lyrics crus, Tommy Genesis ouvre les portes d’un monde clair-obscur fascinant, qui nous confirme que le hip-hop canadien a de beaux jours devant lui.
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Dernière recrue du jeune et prometteur label Awful Records, dirigé d’une main de maître par le rappeur d’Atlanta Father, Tommy Genesis distille depuis un an, avec un flow nonchalant et des productions planantes, des morceaux sombres et ensorcelants dans lesquels la douleur, la religion et le sexe se heurtent – finissant par s’embras(s)er.
Sur son premier album World Vision, sorti à l’été 2015, ce petit bout de femme originaire de Vancouver fait des va-et-vient entre les thèmes d’une jeunesse en quête d’identité et une sexualité débridée, invoquant de temps à autres le tout-puissant Seigneur – des références bibliques permises par une éducation catholique qui résonne encore en elle, “bien [qu’elle ne soit] plus religieuse“.
Mais celle que l’on avait perçue, de par sa musique, comme une créature torturée et désinhibée se révèle finalement, dès le premier regard, un être pétillant et on ne peut plus poli, presque trop sage. “Écrire des textes noirs ne veut pas forcément dire que je suis moi-même obscure, analyse-t-elle dans un sourire. J’ai des vieux démons qui me hantent, bien sûr, mais je ne les nourris pas à travers ma musique.”
Le personnage Tommy
Le jour de notre rencontre, comme à son habitude, Genesis (qui souhaite rester secrète quant à son âge) est vêtue de son éternelle panoplie boots/mini-jupe/T-shirt découpé juste au-dessous de la poitrine. Une tenue de combat qui contribue à la création de son personnage, et qui lui permet de se sentir “plus puissante” :
“J’arborais déjà ce look il y a des années. Si tu regardes la jeune Tommy, elle ressemble à peu près à celle d’aujourd’hui. C’est est un peu devenu ma marque de fabrique. Parfois les gens se disent : ‘Oh, tu es habillée comme Tommy‘, c’est marrant.”
Cet ensemble de guerrière post-Internet, souvent enveloppé dans un large bomber noir, trouve ses racines quelque part entre le revival des années 1990 de son enfance et l’uniforme des héroïnes des ecchi, ces anime japonais lubriques que Tommy porte dans son cœur (comme en témoigne son compte Twitter ici, là ou encore là) :
“J’adore les ecchi ! Mais c’est surtout parce que j’aime les dessins et que j’ai toujours dessiné. Je m’habillais déjà de cette façon avant que je ne commence à en regarder. Mais c’est vrai qu’inconsciemment, ça m’a peut-être encouragée à développer ce style.”
“Ma musique ne définit pas ma sexualité”
Couplée à des textes souvent érotiques, cette apparence confère à Tommy Genesis l’image d’une jeune femme à la sexualité ultra-assumée, à l’instar de son explicite et dernier titre “They Cum They Go” (“Ils éjaculent et ils s’en vont”). Mais la réalité est tout autre.
“À cause de ses paroles, les gens se font une idée biaisée de moi, explique la rappeuse. Ils pensent que je suis une fille aux mœurs légères, ce qui est en fait tout l’inverse. Je suis très pointilleuse dans ma vie personnelle.” Elle précise :
“Bien sûr, j’écris sur ma vie, sur des évènements qui me sont vraiment arrivé ; mais il y a aussi beaucoup de fantasmes, d’imagination, comme chez beaucoup d’autres artistes. Ma musique ne définit pas ma sexualité.”
De l’importance du live
Passionnée de sculptures, un art qu’elle a longuement étudié à l’école, et adepte du concept du ready-made inventé par Marcel Duchamp, la Canadienne conçoit sa musique comme une œuvre globale, dans laquelle elle tient à s’immerger tout entière : de ses textes crus à son image dénuée de tout sourire en passant par ses clips léchés (qu’elle réalise et monte elle-même), Tommy Genesis tient à façonner chacune des parcelles de son projet.
Il n’est donc pas étonnant de constater que la jeune artiste pense ses concerts comme de véritables performances artistiques, au cours desquelles son lâcher-prise donne tantôt lieu à une ambiance ensorcelante… tantôt à de violents mosh pits :
“Il y a pas mal de jeunes punks qui sont venus à mes concerts. L’autre jour, il y a carrément eu un mosh pit sur ‘Hair Like Water’ [rires] ! J’apprécie vraiment le fait que les gens, peu importe leur culture, puissent s’identifier à ma musique.
J’apprécie énormément l’aspect ‘performance’ d’un concert, l’adrénaline que ça me procure. Et à ce moment-là, je n’en ai rien à faire de mon apparence, de transpirer. Je n’ai jamais été timide sur scène.”
Voilà ce qui nous fascine tant chez Tommy Genesis : un rap lancinant, un visage d’ange, une obsession pour la sexualité et quelque part, cachée sous son épais manteau de mystère, une attitude punk, reminiscence de ses années d’ado passées à jouer dans des groupes punk-rock. Un monde tout en contrastes, dont elle nous ouvrira un peu plus les portes avec son second album World Vision II, prévu à la rentrée.
En attendant, Tommy Genesis sera en concert à Paris le 23 juin prochain au Social Club (142, rue Montmartre, Paris 2e).