Rencontre : May Lin Le Goff unit féminisme et mode fantasque dans ses collages

Rencontre : May Lin Le Goff unit féminisme et mode fantasque dans ses collages

Photographe et collagiste, May Lin Le Goff nous enchante avec ses créations surréalistes et délicieuses, alliant féminisme et mode fantasque.

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Née en France, élevée à Singapour et installée à New York, May Lin Le Goff se sert généreusement dans la pléthore de références culturelles qui l’influencent. Ses collages sont aussi séduisants visuellement qu’ils sont exaltants. Ils représentent avec puissance la diversité de la beauté féminine, loin des stéréotypes.

Diplômée de l’école des Arts visuels, Le Goff a exposé à Photoville ainsi qu’à de nombreux autres festivals internationaux de photographie. En plus de sa propre pratique artistique, Le Goff collabore avec des magazines et des professionnels de la mode afin de produire des visuels hyper-stylisés et anticonformistes.

Cheese | La couleur, le fantasque et le surréalisme semblent être au cœur de ton travail. Peux-tu m’en dire plus sur ton esthétique onirique ?

May Lin Le Goff | Depuis mon plus jeune âge, je m’intéresse au monde fantastique, à la science-fiction ainsi qu’aux mangas et animes japonais et cela s’est, sans aucun doute, infiltré dans mon travail. Adolescente, j’étais attirée par la photographie de mode car d’une certaine façon, c’est aussi une représentation visuelle d’une histoire fantastique.

Bien que j’aime toujours autant l’imagerie de la mode, j’explore désormais l’art plus conceptuel. Par exemple, dans mes portraits, j’ajoute un collage minimaliste. Dans certaines de mes œuvres, je joue sur la multidimensionnalité en créant une image 3D avec plusieurs couches, puis en la prenant en photo à nouveau pour ainsi la retransformer en 2D. Mes autres œuvres sont plus directes, et je les photographie plutôt comme des images commerciales, en me concentrant sur la beauté des imperfections du sujet et en ajoutant une touche de surréalisme “onirique”.

Le collage est omniprésent dans ta pratique. Quelle liberté t’offre-t-il ?

Lorsque j’étudiais à l’école des Arts visuels, le collage m’intriguait fortement. J’ai appris le dadaïsme et le surréalisme en cours d’histoire de l’art et j’ai commencé à jouer avec différents médiums dans mes images. L’utilisation du collage était une représentation plutôt troublante de ma vie à cette époque – arriver à New York depuis Singapour m’a vraiment ouvert les yeux sur les possibilités d’expression et d’exploration de notre identité personnelle, sans peur ni jugement. Je me suis alors rendue compte que, peut-être, je pouvais devenir artiste et être prise au sérieux.

Mon travail était extrêmement coloré et débridé au début, un mélange d’images de mode et de beauté que je photographiais et avec lesquelles je jouais sans cesse. À cette époque, j’utilisais de la peinture, des paillettes, des feuilles d’or et toutes sortes de matériaux. Après un certain temps, j’ai simplifié ma technique en utilisant du papier pour mes collages, en me servant de magazines, en les découpant et en les collant sur mes images. Finalement, je me suis rendue compte que ce que j’aimais le plus était de juxtaposer du papier coloré en plusieurs couches, avec des formes minimalistes et des couleurs contrastées. C’est dans cette phase que je suis pour le moment.

J’adore le travail analogique : le fait de découper et de coller, de faire des essais et des erreurs. De belles erreurs. J’aime être au studio seule avec moi-même à découper, à une heure tardive, avec de la musique en fond. C’est devenu une pratique méditative, et c’est à ce moment-là que la magie opère.

Tes œuvres portent également un message fort sur les femmes et leur image, leur corps et les normes de beauté. Que partages-tu avec ton public ? 

Selon moi, aussi modernes que nous soyons, nous vivons dans une structure socioculturelle qui traite le corps féminin comme un objet sexuel, et qui rabaisse la valeur des femmes à leur apparence physique et à leur fonction sexuelle. Ce qui est tordu, c’est qu’à l’heure actuelle, cette objectification sexuelle des femmes est glorifiée comme étant une forme d’émancipation. Prenez Instagram par exemple, où tout y est exposé : nous sommes encouragées à nous objectifier nous-mêmes.

Pourquoi admirons-nous les célébrités telles que les Kardashian, les Jenner ou les Hadid ? Elles représentent une certaine forme de perfection, et cela devient évident quand on voit le nombre d’admirateurs qui les suivent. Pour moi, il est important de se demander quel est le prix à payer pour atteindre cette perfection. Et, plus important encore, qui définit cette perfection ? Pour la plupart des femmes, la réponse est claire : ce sont les médias, l’opinion publique et la société.

Nous sommes constamment bombardées d’images de ce soit-disant idéal à atteindre : le corps, le visage, le tempérament… la liste est longue. C’est tout simplement irréaliste. Ce portrait me semble totalement déséquilibré, les hommes sont considérés comme des sujets, et les femmes comme des objets. Cette dichotomie sujet-objet est très frustrante.

Je suppose que ce que j’essaye de partager avec mon public à travers mes images, c’est qu’il n’y a pas de normes de beauté. Ce qui est réellement beau c’est l’expression unique de la personnalité de chaque femme, à l’intérieur comme à l’extérieur. La vraie émancipation n’est pas de se modeler sur quelqu’un d’autre, mais d’atteindre notre fort intérieur et de comprendre qui nous sommes en apprenant à nous aimer.

On peut voir d’importantes références à l’histoire de l’art dans tes œuvres : Magritte, Frida Kahlo et Andy Warhol. Dans quelle mesure ces artistes te parlent ?

Il y a tellement à apprendre de ces grands artistes. Esthétiquement, j’avoue avoir un peu des trois dans mes œuvres. Picasso a dit un jour : “Les bons artistes copient, les grands artistes volent.” Magritte est l’artiste qui me parle le plus. Il décrivait ses peintures comme des images visibles qui ne dissimulaient rien, qui évoquaient le mystère, et lorsqu’on les admire, on se pose cette question simple : qu’est-ce que cela signifie ?

Pour lui, elles ne signifiaient rien, car le mystère ne signifie rien, il est inexplicable. Dans beaucoup de mes portraits actuels figure la lueur d’un effet dont la cause particulière est inconnue du public. Cependant, rien ne lui est caché, tout est parfaitement visible.

Selon toi, comment une capitale de la mode telle que New York peut influencer tes œuvres ?

Vivre à New York, où il y a tellement de personnes qui repoussent les limites et transcendent le domaine de la mode, c’est extraordinaire. Je travaille également dans la production photo, pour l’industrie de la mode, et j’ai un accès illimité aux coulisses car je fais partie de l’équipe qui crée toutes les images de mode que l’on voit dans les magazines et les campagnes.

Je suis toujours épatée par l’esprit de collaboration qui se se crée si facilement dans cette ville entre les stylistes, les coiffeurs, les maquilleurs… Et c’est parce qu’ici, les gens sont prêts à explorer de nouveaux concepts et à suivre les jeunes artistes que nous sommes capables de créer ces merveilleux projets. Il est vrai que rien n’est impossible à New York. Tout récemment, j’ai eu la chance de travailler avec une personnalité du monde de la nuit et de la communauté transsexuelle : la célèbre Amanda Lepore, sur un portrait surréaliste pour Posture Magazine.

Elle est depuis longtemps la muse de David LaChapelle, et elle est connue par tous ceux qui sont familiers avec son travail. C’est incroyable de pouvoir photographier et créer de l’art avec quelqu’un qui a collaboré avec l’un de mes héros artistiques ! Cela n’arrive qu’à New York.