L’album Banger 3 de Mac Tyer a failli ne jamais arriver, mais il est finalement disponible depuis le 21 avril. La street, les collaborations surprenantes, la perte de son frère… Mac Tyer aborde avec sensibilité les étapes qui ont marqué sa vie.
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Bang Bang. Non, là on parle plutôt de Banger 3. Deux ans après la sortie de Je suis une légende, Mac Tyer revient avec son sixième album (plus deux street albums). Un opus qui a failli ne jamais voir le jour. Il l’appelle le projet de “reconstruction”. En 2015, la cover de Je suis une légende montrait l’artiste stable, assis à l’intérieur d’un cadre. Pour ce nouveau projet, le cadre fait encore partie du décor mais n’est pas utilisé de la même façon. Fifou, son photographe, a très bien compris l’état d’esprit de Mac Tyer, Socrate Petteng de son vrai nom. Sur cette pochette, il se présente de dos, comme en route vers une destinée qu’on ne peut définir. Le fond est blanc, symbole de pureté et de douceur. Sur lui, de nombreuses éclaboussures de peintures. L’artiste commente ainsi cette cover où aucun élément n’est posé au hasard : “Pour moi, c’était important d’être debout. Les éclaboussures représentent les problèmes qui te touchent mais ne te noient pas. Banger 3 était une façon de montrer que je relevais la tête.” L’interview commence et on sent que Mac Tyer n’a pas perdu son esprit taquin : “Alors, tu as bien préparé tes questions j’espère ?”, lance-t-il avec un sourire en coin presque mignon.
Untouchable, sa marque de vêtements mais aussi un état d’esprit
Si Socrate a réussi à lever la tête, c’est en grande partie grâce à ses followers, plus communément appelés “les Untouchable Soldats”. Ce surnom vient de la marque de vêtements qu’il a créé.
“Untouchable, c’est plus qu’un T-shirt ou une casquette, c’est un état d’esprit. Les gens me connaissent pour ma persévérance à entreprendre des choses. Participer au développement de la marque, c’est se motiver à se donner des buts aussi”, raconte Socrate, fier de porter une casquette kaki qu’il a lui-même conçue.
Il se dit fier de porter une “communauté” et rappelle à de nombreuses reprises que “ceux qui le savent [l’]écoutent”, reprenant le titre de l’un des morceaux du groupe Tandem au sein duquel il officiait.
Un rôle de grand frère
En leader de troupe, Socrate se fait appeler depuis une dizaine d’années “le Général” par ses proches ou son public. Un surnom qui lui colle à la peau : “Je suis l’ainé de la famille, et puis je suis quelqu’un de droit, je veux toujours montrer le bon exemple.” Le rôle du grand frère, il l’a un peu avec tout le monde, même avec les inconnus qu’il peut croiser dans la rue.
“Parfois, les gens vont venir me parler mais pas forcément pour venir me demander un autographe ou se dire ‘tiens c’est Mac Tyer’. Ils viennent discuter. On va se poser autour d’un café et rentrer dans de vrais débats. Ils me parlent de leurs problèmes et je les conseille.”
Aimer la rue, combattre ses clichés
Originaire d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), Socrate est l’exemple typique du rappeur qui vient de la rue, mais sans les clichés qui y sont associés. Il vient de banlieue, il sait ce qu’il s’y passe mais il porte des valeurs éducatives. S’il se veut précurseur pour les jeunes, c’est parce qu’il “aime la rue et ne veut pas qu’on la salisse. La meilleure façon de combattre les clichés c’est de ne pas en être un”. Le “bendo” – le quartier –, il l’aborde dans “93 se débrouille”. Un morceau triste et mélancolique abordant entre autres la vente de drogue, devenue un métier presque aussi courant que celui de caissier chez carrefour. Il a reçu de nombreuses critiques de la part du public pour avoir abordé ce sujet, du haut de ses 37 ans. Il explique alors son choix :
“Ce que les gens ne savent pas c’est qu’énormément de personnes nourrissent leur famille de cette façon. Je ne parle pas de gangsters ou de dealers, certains sont juste de petits bicraveurs. Mais c’est une réalité que je ne peux pas omettre.”
Le sujet le révolte un peu : “Vous pensez qu’en prison il n’y a que des gens de 20 ans ? Je ne suis pas là pour fermer les yeux. Et malheureusement, il y a une démocratisation de la vente de drogue, et ne pas en parler ce serait incohérent.” Lui aussi avoue être tombé dedans plus jeune. Il ne s’en dit pas fier ni honteux, c’est “juste arrivé”.
Mac Tyer et Gradur
Aujourd’hui, il est loin de tout ça et voit la rue d’un autre œil, avec un certain recul. En plus de quinze ans, il a vu le monde évoluer à la vitesse de l’éclair et a décidé de s’exprimer sur le sujet en compagnie de Gradur sur “Stevie Wonder”. Les deux rappeurs – aux styles très différents – dénoncent un univers rempli de capitalisme, de voyous et d’escorts. Gradur ne nous avait pas vraiment habitués à ce genre de discours dans ses chansons. Mac Tyer aurait-il eu une influence sur l’auteur de “Rosa” ? Socrate réfléchit à sa manière de répondre. Il admet “ne pas avoir grandi dans un monde où les femmes se comportaient comme des voyous, où il était possible que ta voisine soit escort à ses heures perdues.” Quant à Gradur, Socrate explique qu’il a compris le morceau et qu’il s’est adapté au sujet : “C’est comme un petit frère pour moi. Il me respecte beaucoup. Et je pense que ça va montrer une facette plus mature de cet artiste.”
Sur cet album de 21 titres, on retrouve également Socrate aux côtés de Jok’Air sur “Elle m’a fait ça”. Pour lui, c’est plus qu’un featuring, c’est une “réelle collaboration”. L’ancienne génération se lie une fois de plus à la nouvelle avec KeBlack, sur “Fais-les danser”, déjà disponible à l’écoute, un morceau qui fait remuer les hanches en club. Mac Tyer est très fier de ce titre, d’autant que ce morceau a été enregistré l’été dernier, avant le grand succès de l’artiste. Il avait écouté son album et a tout de suite repéré son talent.
Des collaborations riches de sens pour Socrate
Mac Tyer s’est entouré des petits nouveaux de la scène musicale, mais il y a un an on pouvait l’entendre reprocher à la nouvelle génération d’être dans “l’inculture”. Coup commercial ? “Loin de là”, répond Mac Tyer.
“KeBlack, c’est un chanteur. Il a une vraie voix. Certains pensent que c’est un artiste de chicha mais c’est tout sauf de l’inculture. Sur le chant de la guitare on l’entend vraiment et on comprend que ce n’est pas un artiste dans la tendance”, déclare-t-il.
Quant à Jok’Air, il note ses influences années 1990 et une voix incroyable. Gradur a tapé dans l’œil de l’artiste pour une tout autre raison : “Pour moi, c’est le premier qui a ramené la paix dans le rap game. C’est le leader de la paix dans le rap. Il nous a unifiés.” Tous ses feats sont alors sélectionnés pour de bonnes raisons : “Soit je les choisis pour leur culture musicale, soit parce que ce sont des artistes fédérateurs.” Socrate rend également hommage à celui qu’il appelle “petit frère” dans “Le Loup solitaire”. “La musique c’est rien, ne vous prenez pas la tête, faites comme Gradur”, fredonne-t-il.
La perte de son petit frère et son combat contre la clinique du Mont-Louis
Ce morceau est également le seul où il aborde le décès de son petit frère, Bigou. Il chante : “Si je continue, c’est pour faire hommage à mon frère.“ Hospitalisé pour une hernie abdominale, le jeune rappeur a perdu la vie, selon son frère, en raison d’une erreur médicale lors de son opération à la clinique du Mont-Louis, à Paris. Socrate n’a pas abordé le sujet dans cet album car c’était trop dur. Bloqué devant la feuille, il a préféré se raconter pour tenter de se reconstruire. Ainé du trio, il dit pouvoir toujours compter sur son autre frère avec qui il continue de travailler. “Avant on faisait tout à trois, maintenant…”, l’artiste ne parvient pas à finir sa phrase.
Dans son communiqué de presse pour annoncer les causes du décès, Mac Tyer écrit qu’habituellement “les familles modestes auraient tendance à laisser couler, à ne pas chercher les raisons d’une mort suspecte”. Est-ce que lorsqu’on a peu d’argent, on a plus de difficulté à se battre ? “C’est ce que les pauvres pensent, oui”, répond-t-il. Il laisse 30 secondes de silence et reprend : “Ils arrivent à accepter la fatalité plus facilement. Sur le combat qu’on mène pour rendre hommage à mon frère on va leur montrer que ça ne va pas se passer comme ça.“ La gorge nouée, on sent sa précipitation à vouloir changer de sujet, trop personnel pour en parler de façon détachée. L’enquête et le procès sur la mort de Bigou sont en bonne voie, Socrate ne peut en dire plus.
Premier rappeur à démocratiser l’amour dans les chansons
L’amour pour un frère, l’amour pour une femme, l’amour tout court. Mac Tyer n’a pas peur d’exprimer ses sentiments, malgré son allure de bad boy. Il se dit fier d’avoir mis “l’amour à la mode” avec “Un jour peut-être” et “Laisse-moi te dire” avec Maître Gims en featuring. Ce titre lui a permis de passer en radio pour la première fois en 2015. Aborder le thème des sentiments mais aussi, à l’époque, s’essayer au chant ou à la trap, Mac Tyer s’est toujours montré précurseur. Il adore tenter de nouvelles choses et être en avance. Aujourd’hui, il arrête sa course contre la montre et vit avec son temps. “Le feat avec Jok’Air, on n’aurait pas pu le sortir il y a dix ans, les gens n’auraient pas compris. Là je suis en adéquation avec mon temps”, avoue-t-il.
Pour clore cette interview, Socrate termine sur un texte qu’il affectionne particulièrement : “N’oublie jamais le combat que tu mènes, même s’il te mène à ta perte.” Avant d’ajouter : “Quand t’as pas de but, t’as pas de vie. Tu planes. Avoir des objectifs, c’est rendre hommage à la vie. Rappeler pourquoi tu es venue sur cette terre.”
L’album Banger 3 de Mac Tyer est sorti le 21 avril 2017.