De passage à Paris, JPEGMAFIA nous a parlé de son dernier album Veteran et de l’évolution de son rap ultra-provocateur.
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© Johannes Roth
Paris, station Saint-Ambroise. Je retrouve le rappeur JPEGMAFIA dans un petit salon de tatouage, pas loin du Badaboum, où il a prévu de se produire le lendemain dans le cadre du festival Pitchfork Avant-Garde.
Peggy – diminutif de JPEG – veut se faire tatouer un gros cafard noir, mais il hésite sur l’emplacement : en dessous des côtes, sur le ventre, ou sur l’avant-bras droit ? Je lui demande la signification de ce cafard . “J’ai une relation particulière avec ces insectes, parce qu’il y en avait beaucoup dans ma maison. Je pense qu’ils survivront plus longtemps que nous [humains]“, me répond-il en riant.
Et de fait, le rappeur américain sourit et rit beaucoup. Comme quand il me raconte sa dernière virée dans un Burger King parisien : “C’est putain de bon ici ! C’est frais ! [Le personnel] se soucie de toi !” Son goût pour l’ironie se retrouve jusque dans sa musique, notamment lorsqu’il se moque de Donald Trump, de l’extrême droite ou encore des “yuppies” (l’équivalent américain de nos jeunes cadres dynamiques) qui peuplent les cafés de Brooklyn, à New York.
“Il rit pendant que le monde brûle”, confirme Graham Corrigan, l’éditeur de Pigeons and Planes, qui l’a vu en direct au festival SXSW en mars dernier. Veteran, son nouvel album a été salué par la critique américaine. “JPEG fournit une alternative viscérale au rap qui parle d’armes, de drogues, et d’argent”, salue Corrigan. Même le sacro-saint Pitchfork, prescripteur du cool et des tendances, a évoqué un “album à couper le souffle.”
Expérimental et engagé
Le terme “vétéran” fait autant référence aux quatre années que Peggy a passé dans l’armée, qu’à sa longue carrière dans la musique. À tout juste 29 ans, le rappeur a l’air d’avoir déjà vécu plusieurs vies, comme si chacun des tatouages qui ornent ses bras portaient le souvenir d’un moment passé, d’une autre existence.
En 2016, il sort Black Ben Carson, un album dystopique et enragé composé de sons dissonants, de punchlines politiques et d’un sens de l’humour absurde au possible, qui a pour ambition de “sortir le hip-hop de l’ère Drake”. Peggy veut choquer mais surtout appeler à la résistance, alors même que le candidat Donald Trump est sur le point de gagner la course à la Maison Blanche.
“Je regrette à peu près tout”, blague le rappeur en se remémorant cet opus controversé. “C’est ce que je voulais sortir à l’époque, une musique brutale. […] Je pense que [l’album] contient plein de choses intéressantes.” Avant d’ajouter : “Ce que je créé maintenant correspond à une version plus aboutie de moi-même.”
Sortir de sa zone de confort
En plus d’écrire, JPEG produit lui-même des instrus expérimentales qui regorgent de samples empruntant à Ol’ Dirty Bastard (Wu-Tang Clan) comme à Travis Scott, de sons tirés de jeux vidéos et de films anime, et même d’enregistrements improbables tel que le clic d’un stylo rétractable. “Si tu regardes tous les sons que j’ai fait, c’est juste bizarre… C’est un cauchemar pour les droits d’auteur”, plaisante-t-il. Un grand bric-à-brac donc, qui ne résulte d’aucune “vraie méthode de travail” autre que celle qui consiste à le faire “sortir de sa zone de confort”.
Peggy attribue sa passion pour la production à “Dead or Alive”, un titre du rappeur Cam’ron qu’il découvre très jeune, en 2001 ou 2002. C’est la première fois qu’il écoute un sample “chipmunk soul” (qui reprend des mélodies soul en les déformant avec une voix suraiguë, ndlr), un type d’instru popularisé par Kanye West dans College Dropout. “Si je n’avais pas entendu ce titre, je ne serais surement pas producteur aujourd’hui”, confie l’artiste.
Veteran contient également des références au rap de son enfance, passée dans le sud des États-Unis, et à la scène musicale de Baltimore, où il vivait avant de déménager à Los Angeles l’an dernier. Le premier titre de l’album, “1539 N. Calvert”, reprend l’adresse de the Bell Foundry, un espace créatif où se réunissait la communauté d’artistes de Baltimore, fermé en 2016.
© Johannes Roth
Peggy inséparable de ses fans
Côté public, son nouvel album a aussi fait l’unanimité. À Paris, lors du festival Pitchfork Avant-Garde, les fans ont repris en choeur les paroles du rappeur et, comme dans un concert de rock, des pogos déchaînés ont été lancés au moment de “Real Nega” et “Baby I’m Bleeding”. Après le concert, Peggy a pris le temps d’échanger quelques mots avec ses spectateurs.
Que ce soit dans la vie réelle ou sur internet, c’est important pour lui d’être proche de ses fans, de communiquer régulièrement avec eux sur les réseaux sociaux. “J’essaie de maintenir ce lien pour ne pas devenir fou et bizarre, et commencer à dire aux gens de ne pas me regarder dans les yeux et des merdes comme ça”, s’exclame-t-il. “Je pense que c’est une bonne idée de maintenir ce type de relations avec ceux qui paient tes factures. C’est la moindre des choses !”
Plus étonnant, il confie maintenir aussi cette connexion grâce à Google Translate, dont il s’est servi tout au long de sa tournée européenne pour communiquer avec son public. “Si j’ai quelque chose à dire, je l’écris ici, explique-t-il en désignant son téléphone portable, et je passe la traduction sur haut-parleur.”
Avant de conclure l’entretien, je l’interroge sur la meilleure façon de découvrir sa musique, pour celles et ceux qui ne le connaissent pas ou peu. Fidèle à son processus anarchique de composition, il me répond : “Comme tu veux. C’est ça qui est important dans ce que je fais. Ce n’est pas censé être ‘quelque chose’, c’est juste là. Tu peux en faire ce que tu veux.”