Pendant l’entre-deux-tours, le photographe Charles-Henry Bédué s’est fondu dans la foule des rassemblements et manifestations parisiens.
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Plutôt habitué aux coulisses de la mode, Charles Henry Bédué nous livre des images insolites, aux antipodes du reportage traditionnel où il fait parler les vêtements plutôt que les slogans. Rencontre avec un photographe qui questionne l’être et le paraître.
Cheese : Peux-tu me raconter quand et comment ces photos ont été prises ? Es-tu familier des foules et des rassemblements ? Comment te meus-tu dans ce genre d’environnement ?
Charles Henry Bédué : Ces photos ont été prises lors de quelques rassemblements entre les deux tours des élections françaises. Au-delà de toutes considérations partisanes, j’ai été attiré par l’énergie, la tension qui se dégageaient de ces rassemblements.
J’ai appris à me mouvoir en me laissant porter par la foule. Je n’offre aucune résistance pour ne pas me crisper ou être submergé par des émotions négatives, et ce qui pourrait être un cauchemar devient une rêverie. Cela me rend attentif, bienveillant et ouvert à l’égard de ceux qui m’entourent, quels qu’ils soient. Même lorsque je reçois une Flash-Ball dans la jambe ou me fais insulter par un paranoïaque superstitieux effrayé que je lui vole son âme.
Je me suis fait la main pendant quelques années sur les gens de la mode, eux ne demandent qu’à être photographiés ! Aujourd’hui, j’ai envie d’étendre ce sujet des foules et des rassemblements à l’ensemble de la vie parisienne toujours dans le cadre de ma série L’habit fait le moine.
Quand on regarde tes photos, on est tout de suite attiré par les compositions de couleurs et de matières qui se forment sur les gens plutôt que par les individus eux-mêmes. Que vois-tu dans une foule ?
Dans la foule, je nous perçois pris dans un courant invisible, ballotés comme une matière vivante, informe et colorée. De temps en temps, des éléments émergent qui me rappellent qu’au fond, nous sommes aussi humains, mais cette dimension-là vient souvent en dernier. Où que je sois, je ressens beaucoup de joie à prendre le maximum de recul sur notre condition, à tenter d’observer sans juger. Dans cet état-là, les images me saisissent par la beauté de leur langage abstrait.
On voit très peu les visages de tes sujets, pourquoi cela ?
Il m’est difficile de voir des visages dans la foule, car j’ai la sensation que notre part d’humanité s’amenuise à mesure que notre nombre augmente. Quand on est en société, notre masque, notre persona prend souvent le dessus sur ce que nous sommes.
Ce jeu de dissimulation collectif que l’on prend trop au sérieux ne m’intéresse pas. Je préfère, quand je peux, le temps d’une image au moins, m’en évader. Parfois, de vrais visages émergent naïvement, mais la plupart du temps, il m’est impossible de cadrer dans la masse sans défigurer les gens, donc je m’abstiens. Mais je ne dis pas que ce sera toujours comme ça.
Les fringues sont au cœur de tes images et l’une de tes séries principales s’appelle L’habit fait le moine. Que signifie le vêtement pour toi ?
J’aborde le thème de l’habit comme une métaphore qui me rappelle sans cesse que l’univers dissimule, derrière le voile des apparences, un mystère. Sentir la présence de ce mystère me vivifie, et à travers les motifs, les symboles qu’il compose sur son étoffe, comme un enfant, je peux rr
r à tour le rêver, l’imaginer, jouer à le déchiffrer.
En un sens, j’ai l’impression que ce que nous ne pouvons pas voir nous est conté en langage crypté sur ce voile. Sur un plan plus rapproché, plus social, j’aime m’aventurer dans tous types de groupements humains et peindre la vie moderne à partir de palettes de couleurs sans cesse renouvelées. Mais les lieux, les sujets, leurs codes sont avant tout un prétexte esthétique au service de ce langage hiéroglyphique.
Pourquoi Paris ?
Car c’est la ville où je vis, et qu’au fond, je ne connais pas dans sa diversité. J’ai beaucoup bougé entre la Chine et l’Europe pour composer L’habit fait le moine, centré sur le milieu de la mode. Cette fois-ci, j’aimerais approfondir le lieu que je crois connaître le mieux. Mais encore une fois, au fond, l’identité du lieu n’est pas à mes yeux l’essentiel.
Retrouvez l’intégralité de la série sur Tumblr.