Depuis de nombreuses années, le criminel français a une fascination pour le film culte de Michael Mann.
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Ceux qui suivent les faits divers connaissent bien le nom de Redoine Faïd. Le criminel originaire de Creil, dans l’Oise, est connu pour ses braquages de grande envergure (dont un ayant causé la mort d’une policière en 2014), ses sorties médiatiques, mais plus encore pour ses évasions de prison et son parcours unique.
Le 1er juillet, Redoine Faïd s’est évadé pour la seconde fois de manière spectaculaire, cette fois du centre pénitentiaire de Réau, en Seine-et-Marne. En moins de 10 minutes, ses complices ont kidnappé un pilote d’hélicoptère, ont posé le véhicule dans la cour de la prison et ont balancé des bombes fumigènes pour distraire les gardes, tandis que des hommes masqués sont allés récupérer Faïd avant de s’enfuir par les airs.
Un scénario digne d’un blockbuster hollywoodien, comme on en voit que rarement dans les colonnes des faits divers. Et pour cause : le criminel est fan du septième art, et plus particulièrement des films de gangsters. Un long-métrage revient beaucoup dans ses diverses interviews : Heat, de Michael Mann. Ce chef-d’œuvre, sorti en 1995 aux États-Unis, est son film de référence.
“Heat m’a donné le mode d’emploi”
Le braqueur a déclaré avoir vu sept fois Heat au cinéma et “une centaine de fois en DVD”, comme le rappellent nos confrères du Point. Presque une fois par jour pendant plusieurs mois…
Néanmoins, cette fascination n’est pas purement cinématographique. Pour Redoine Faïd, ce film est un cours amélioré de braquage. Il aborde ce film comme un documentaire, un tuto sur comment commettre un braquage sans se faire choper.
Il raconte ainsi :
“Je rêvais de me faire un fourgon. Il m’a donné le mode d’emploi. J’ai compris qu’on n’avait pas besoin d’y aller à douze, que quatre suffisaient.”
S’il regarde autant ce long-métrage, c’est entre autres pour une scène importante, celle du hold-up du fourgon. Il s’en est inspiré pour sa première attaque d’un convoyeur de fonds, en 1997, à Villepinte (Seine-Saint-Denis). Au-delà de la stratégie élaborée, il est même allé jusqu’à arborer un masque de hockey pour cacher son visage, à la manière de De Niro et sa clique dans le film de Michael Mann.
Une fascination qu’il a bien décrite dans son espèce d’autobiographie, Braqueur : des cités au grand banditisme, publiée en 2010 par La Manufacture de livres. Mais l’épisode le plus dingue concernant son amour pour Heat a eu lieu un an avant la sortie du livre, lorsque le braqueur, alors repenti, a rencontré Michael Mann lors d’une session de questions et réponses à la Cinémathèque française.
Nous sommes en 2009. Redoine Faïd vient d’être libéré en conditionnelle pour bonne conduite, après plus de 10 ans de rétention. De nouveau libre, il réussit à se trouver une place pour la master class du célèbre réalisateur américain, venu faire la promo de Public Enemies, avec Johnny Depp et Marion Cotillard.
Il réussit alors à choper le micro mis à disposition du public pour lui déclarer son admiration. Une question foutrement déplacée qui nous a donné une séquence surréaliste, ou quand la fiction rencontre la réalité :
“Heat demeure la référence absolue du grand banditisme. Il s’inspire de la vie, de personnes qui font des faits divers réels, il essaie de les transmettre dans son cinéma. Moi, personnellement, je suis un ancien gangster, malheureusement, je ne m’en vante pas. Je viens de faire une dizaine d’années de prison. J’ai attaqué des fourgons blindés, des bijouteries. […]
Depuis 20 ans je connais Michael Mann, je l’ai découvert avec Thief et avec une bande de copains, on a regardé un peu ses films comme des reportages, comme des documentaires, et parfois même… Bon, récemment des journalistes m’ont demandé : ‘Tu sais, tu as fait une grande carrière criminelle, et tu t’es fait tout seul, t’es un autodidacte.’ Je leur ai répondu que non, j’avais un conseiller technique, un prof de fac, une sorte de mentor, et il s’appelle Michael Mann. […]
Ma question est simple : est-ce qu’il a conscience qu’il y a des gangsters qui puissent s’inspirer de son cinéma, puisque moi ça m’est arrivé. Ma femme le déteste, elle voudrait lui demander des dommages et des intérêts. Et donc quand je lui ai dit avant-hier que j’allais réaliser un rêve, que j’allais rencontrer quelqu’un qui a fait partie de ma vie pendant vingt ans, elle m’a dit : ‘C’est qui, c’est Beyoncé ?’ Je lui ai dit : ‘Non, c’est Michael Mann’.”
Vous vous en doutez, Michael Mann n’a pu réagir à cette drôle de question. Difficile pour le cinéaste d’être flatté par ce genre de déclaration. Mi-amusé, mi-gêné, il a ainsi déclaré : “Merci, je ne sais pas trop quoi répondre.”
Véritable cinéphile
Heat n’est pas le seul film que Faïd cite comme référence. D’autres longs-métrages ont forgé sa carrière de criminel, à commencer par Sleepers, de Barry Levinson (Rain Man), dans lequel trois potes rentrent à un moment dans une boutique. L’un des trois vole quelque chose pour que le patron le poursuive, permettant aux deux autres de dévaliser le magasin. Une tactique que Faïd appliquera par la suite à Creil, alors qu’il n’est encore qu’un lycéen.
Sa fascination pour les films de braquages se ressent. Assez rapidement, on le surnommera McCoy, en hommage au personnage de Steve McQueen dans Guet-Apens. On l’entendra aussi une fois, les bras en l’air en sortant d’une banque qu’il vient de dévaliser, crier :
“Merci, merci beaucoup d’avoir voté pour moi !”
À peu près comme dans Point Break de Kathryn Bigelow.
Pour le célèbre braquage de la bijouterie de Chantilly en 1997, ses acolytes et lui-même ne s’appellent pas par leurs prénoms, mais par des couleurs. Au-delà du clin d’œil évident à Reservoir Dogs de Quentin Tarantino (sorti en 1992), on comprend assez rapidement que Faïd se sert du cinéma pour mettre ses plans à exécution.
Le braquage se terminera par des coups de feu de la police, tandis que la clique tentait de s’enfuir en traversant un lac gelé, comme dans le film Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville, que Faïd adore également – le criminel aime tout autant le cinéma français, notamment les films de gangsters avec Jean Gabin, Jean-Paul Belmondo ou encore Lino Ventura.
Mais sa cinéphilie ne lui sert pas que pour ses crimes. Avec l’argent de ses premiers braquages, il s’est ainsi payé un voyage à Las Vegas, où il a loué la fameuse suite que Dustin Hoffman et Tom Cruise prennent dans Rain Man. De même, il connaît des passages entiers de Scarface par cœur, qu’il a d’ailleurs vu dix fois au cinéma.
C’est encore l’intéressé qui en parle le mieux. Dans son livre, il balance notamment une phrase lourde de sens :
“Tu enlèves le cinéma, tu te retrouves avec cinquante pour cent de délinquance en moins.”
Une excuse des plus bancales pour justifier ses crimes.