Tropic a notamment été remarqué aux festivals de Gérardmer en France et de Sitges en Espagne, tous deux dédiés à la mise en lumière des nouveaux talents du cinéma fantastique. Premier long-métrage d’Édouard Salier, jusqu’alors principalement connu dans le milieu du clip, Tropic est en effet un authentique mélange de genres et de styles qui détonne dans le paysage cinématographique français.
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Le film suit le parcours de frères jumeaux, Lázaro et Tristán. Ensemble, ils s’entraînent avec ardeur pour intégrer une mission spatiale de grande envergure, susceptible d’impacter l’avenir de l’Humanité. Mais lorsqu’un parasite mystérieux infecte Tristán, modifie son apparence et altère ses capacités intellectuelles, Lázaro se retrouve seul dans la course aux étoiles.
Entre l’intime, le naturalisme et le fantastique
Le lien particulier qui unit les frères jumeaux, c’est là la thématique centrale de l’intrigue. Pourtant, les premières versions du script n’abordaient pas ce sujet, comme nous l’explique Édouard Salier :
“L’idée originale du film vient de l’auteur chilien Mauricio Carrasco, mais elle était bien différente du résultat final : au départ, les personnages n’étaient donc pas du tout jumeaux. Ils avaient entre 8 et 10 ans et toute la dimension spatiale était bien sûr absente. C’est en collaborant avec lui que nous avons changé de direction. Je voulais installer le film dans un univers dystopique à la fois crédible et imaginaire, pour ouvrir le film vers le genre du fantastique.”
L’ajout de la gémellité a d’ailleurs failli mettre le film en danger, tant il était difficile de trouver deux comédiens suffisamment proches physiquement. Ce sont finalement Pablo Cobo (Lázaro) et Louis Peres (Tristán) qui ont été retenus :
“Le motif des frères jumeaux me tenait à cœur parce qu’il s’inspire indirectement du parcours d’amis à moi, mais aussi car j’étais intéressé à l’idée de filmer deux personnages “photocopiés”, semblables physiquement mais dont les caractères vont différer.”
Par son goût pour les transformations physiques et ses deux personnages-miroirs, le film évoque forcément le cinéma de David Cronenberg, et tout particulièrement Faux-semblants, sorti en 1988, dans lequel Jeremy Irons se dédouble pour incarner les frères Mantle. Une influence que le réalisateur reconnaît, même si elle est longtemps restée inconsciente :
“Mauricio et moi n’avons pas travaillé en ayant ce film-là en tête. Mais je reconnais avoir été profondément marqué par le cinéma de Cronenberg, notamment La Mouche, que j’ai découvert enfant. J’aime comment Cronenberg traite le personnage de Seth Brundle [le personnage principal du film, joué par Jeff Goldblum, ndlr], comment sa folie devient de plus en plus palpable au fil de sa transformation.”
Tropic semble s’inscrire en décalage par rapport aux précédentes réalisations d’Édouard Salier. Là où un film comme Flesh (court-métrage réalisé en 2005) conjugue un pitch expérimental et un usage des technologies numériques très audacieux pour l’époque, Tropic renoue avec une narration plus riche, en se reposant au maximum sur les effets pratiques. Cela se ressent particulièrement dans la mise en scène de la difformité corporelle de Tristán. Édouard Salier nous explique son approche :
“Il y a d’abord eu un gros travail de maquillage, parce qu’il fallait que le public croie toujours dans cette transformation et dans la réalité de ce qui reste une prothèse. C’est dans ce but-là que j’ai opté pour un tournage en pellicule 16 mm, parce que le grain de l’image permet d’atténuer un peu les détails des effets spéciaux, afin que ne subsistent que l’interprétation de l’acteur et les émotions du personnage.”
Quant aux effets spéciaux numériques, Édouard Salier assume complètement cette rupture stylistique :
“J’ai commencé à travailler avec les CGI au début de leur avènement. À l’époque, j’étais très excité par ces nouveaux outils qui faisaient qu’il était maintenant possible de tout représenter. C’était pour moi le moyen d’ouvrir de nouvelles portes vers de nouveaux univers. Mais aujourd’hui, leur omniprésence fait que l’œil du public s’est aguerri. Avec les effets spéciaux numériques, on finit par perdre en émotion et en sensibilité. En me débarrassant d’eux sur Tropic, j’ai voulu revenir à l’essentiel.”
Outre sa dimension horrifique et gore, Tropic témoigne d’une recherche esthétique remarquable et d’un réel appétit pour l’imaginaire. Le film évoque, dans ses moments les plus contemplatifs, les travaux d’Andreï Tarkovski ou d’Alejandro González Iñárritu. Pour figurer le parcours des astronautes et donner vie à leur camp d’entraînement, le film emprunte aussi beaucoup au cinéma américain de science-fiction et d’aventure — on pense tantôt à L’Étoffe des héros de Philip Kaufman, tantôt à Interstellar de Christopher Nolan.
Dernier aspect essentiel à la réussite du film : sa bande originale électronique de grande qualité, signée par le musicien et producteur français SebastiAn. Comme dit précédemment, Édouard Salier a d’abord travaillé dans le vidéoclip, collaborant notamment avec de prestigieux groupes internationaux comme Massive Attack ou Thirty Seconds To Mars. Il nous explique comment cette rencontre a eu lieu et comment SebastiAn a su accompagner ce film de la meilleure manière :
“En tant que réalisateur de clips, j’ai souvent travaillé avec l’entourage de SebastiAn, notamment Justice et Metronomy, sans jamais collaborer directement avec lui. Je savais que SebastiAn refuse beaucoup de propositions de ce genre, mais il a dit oui après avoir lu le scénario, étant lui-même passionné par l’espace et la science-fiction. Je voulais que la bande-son de mon film renoue avec l’imaginaire des séries animées des années 1980 (Albator, Capitaine Flam, etc.) et leurs génériques, dont les sonorités sont à la fois épiques et populaires. Il m’a proposé énormément de choses, et j’ai très vite été séduit et convaincu par la direction qu’il avait prise.”
Tropic sort en salle en France ce 2 août. C’est un premier film audacieux et original à ne pas rater.