Découvert dans Entre les murs à 14 ans, révélé dans Papa was not a Rolling Stone, Rabah Naït Oufella a lâché le rap pour le cinéma. Rencontre furtive avec une des étoiles de Grave, qui a joué les petites frappes pendant dix ans.
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Rabah Naït Oufella est très en retard le jour de l’interview. La pétillante Garance Marillier qui lui donne la réplique dans Grave me rassure en plaisantant : “C’est Rabah, comme d’habitude !” Il finit par arriver en trombe, un peu gêné et s’excuse. Il prend le temps de saluer tout le monde, un par un. Cette petite gueule du cinéma, encore inconnue de beaucoup, fête pourtant cette année ses dix ans de carrière.
Rien que depuis janvier 2017, Rabah squatte le grand écran pour la troisième fois. Après L’Ascension, où il jouait le pote d’Ahmed Sylla et Patients, toujours à l’affiche, il enchaîne maintenant les interviews pour Grave, le bijou de Julia Ducournau, à découvrir dès le 15 mars. Coloc’ de l’héroïne cannibale, l’ex-rappeur campe un étudiant véto gay. Juste et pas cliché, ce rôle lumineux est très loin de ce à quoi il nous avait habitué en jouant les jeunes de banlieue, souvent dans les mauvais coups.
Du rap au cinéma
Rabah Naït Oufella a commencé à jouer à 14 ans. À l’époque, Laurent Cantet voulait raconter pour Entre les murs, l’histoire intense d’un professeur sous pression, exerçant dans une classe difficile. Une décennie plus tard, après Papa was not a Rolling Stone, Nocturama ou Braqueurs, l’ado qui a regardé en boucle Taxi, La Haine ou La Tour Montparnasse infernale est devenu un jeune homme qui aime dire que c’est le cinéma qui lui est tombé dessus :
“Pour mon premier film, ce n’était pas vraiment un casting. J’ai toujours eu l’impression que c’était un atelier théâtre de mon collège. J’étais avec mes potes, je connaissais tout le monde. Au Voleur, c’était donc officiellement ma deuxième première fois. Mais comme je suis dans le rap depuis que je sais parler, j’étais très à l’aise avec la caméra et le micro. Le fait d’avoir rappé pendant longtemps, d’avoir fait des studios, des clips, ça m’a donné une certaine aisance. J’en suis fier et je suis content de l’avoir fait.”
Mais depuis deux ans, cette première passion s’est éteinte, étouffée par le cinéma. Il préfère écouter Vald ou MHD, des artistes jeunes et singuliers, plutôt que continuer dans cette voie où il sentait qu’il deviendrait peut-être un rappeur lambda.
Dans sa jeunesse, il était plus dans la rue à taper dans un ballon rond qu’enfermé dans une salle de cinéma. Mais Rabah est maintenant curieux et fasciné par le septième art. Dernièrement touché par le Lion de Garth Davis et le docu Et les Mistrals gagnants d’Anne-Dauphine Julliand, il préfère cultiver sa cinéphilie dans les salles obscures. Il s’interdit pourtant de trop rêver et de prendre pour acquise sa nouvelle profession d’acteur.
“Quand je suis né, on habitait à six dans un 20 mètres carré”
Pourtant, le gosse des quartiers du nord de Paris a déjà parcouru un long chemin en jouant avec les frenchies les plus réputés du cinéma d’auteur contemporain : Bertrand Bonello (dont il parle avec admiration), Céline Sciamma et la petite nouvelle Julia Ducournau, venue bousculer le septième art et son conformisme. Rabah leur a fait confiance, sans forcément savoir ce qu’ils symbolisaient et réalise aujourd’hui la chance qu’il a eue.
Mais la chance, ça se provoque : il n’y a qu’à regarder ses films, qui ont traversé les plus grands festivals pour s’apercevoir qu’il n’a peut-être pas un doctorat mais qu’il sait faire les bons choix :
“Quand je suis né, on habitait à six dans un 20 mètres carré. Ma mère était femme de ménage. Mes parents se sont battus pour mes deux grands frères, ma grande sœur et moi jusqu’à ce que l’on déménage dans le 20e arrondissement de Paris et que l’on soit bien. Aujourd’hui, je gagne bien ma vie, je fais ce que j’aime, ma mère travaille avec des enfants, elle est heureuse. Quand on veut, on peut.”
Le parcours de Rabah Naït Oufella est une belle histoire. Celle d’un petit agité au regard pointu sur le monde qui nous entoure, que le cinéma a élevé. Il est conscient qu’il a encore des lacunes à combler comme l’anglais et des maîtres à découvrir. Mais ces carences ne sont pas un handicap, plutôt une force qui le pousse à sortir de sa zone de confort et à viser la lune.
Fils de parents d’origine algérienne, Rabah est le reflet d’une génération qui veut faire bouger les choses. Au départ, son arme était son micro et son débit, maintenant il joue avec son corps pour faire passer des messages en s’engageant dans le cinéma social.