En salle, en ce moment, on peut aller voir Showing Up, un film signé Kelly Reichardt qui raconte les micro-événements empêchant Lizzie, une artiste quarantenaire, campée par Michelle Williams, de s’épanouir dans une vie qu’elle garde sous contrôle. Lizzie est sans cesse interrompue par un pigeon blessé à qui elle s’attache un peu trop, par une voisine (Hong Chau) très occupée à gérer son succès artistique, par une chaudière qui ne fonctionne plus depuis plusieurs jours, par un frère chaotique (John Magaro), par sa famille dysfonctionnelle.
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Tout le long, Lizzie crée et s’inspire des personnages qui jalonnent son banal quotidien partagé avec son chat. Sa vie manque de couleur mais ses œuvres, des céramiques satinées et des aquarelles délicates, en regorgent pourtant. Ces sculptures et dessins sont omniprésents dans le long-métrage de Reichardt : ils sont exposés à la fin lors d’un vernissage en petite pompe, ils envahissent son atelier au second ou au premier plan, ils sont manipulés avec soin et attention par tous les personnages, notamment par Eric (incarné par André 3000) qui s’occupe de les mettre au four.
Il est donc bon de rappeler que les créations qui figurent dans le film sont celles de Cynthia Lahti, une artiste de 60 ans vivant à Portland, émue d’avoir eu l’opportunité de prêter ses œuvres au grand écran, à l’histoire de Kelly Reichardt, aux mains de Michelle Williams et d’André 3000. Showing Up donne la part belle à ses œuvres : le film s’ouvre sur un long générique d’intro qui fait défiler ses aquarelles et Cynthia Lahti a dû produire pas moins de vingt sculptures. Elle avait carte blanche… à l’exception d’une œuvre : elle devait représenter le personnage de Hong Chau poussant un pneu, en référence à la scène d’ouverture.
“Je peux passer une demi-heure sur une oreille”
À l’origine, la réalisatrice et son scénariste Jon Raymond pensaient faire un biopic sur l’artiste canadienne Emily Carr, avant de se raviser car elle était trop connue. Une mention à Emily Carr est d’ailleurs faite dans le film, comme un clin d’œil à cette piste que le duo n’aura finalement pas exploitée au profit d’une artiste locale, de leur propre ville. Dans le film, nous voyons d’ailleurs les œuvres d’autres artistes, comme celles de Michelle Segre et Jessica Jackson Hutchins.
Mais parlons des œuvres de Cynthia Lahti. Comme elle le mentionne sur son site, la dessinatrice et plasticienne infuse dans son travail “ses expériences personnelles et ses émotions” mais aussi des “artefacts humains d’anciens temps et du présent”. “Le plus petit des artefacts peut évoquer de grands sentiments”, dit-elle. Elle présente des figures souvent féminines ou identifiées comme telles dans des formes “humbles”, “imparfaites”.
Loin des grandes sculptures grecques ultraréalistes, l’artiste préfère amener une certaine candeur et une sincérité à son ouvrage. Les textures débordent d’aspérités, tendent vers l’abstraction ; les couleurs sont rosées, leur surface est souvent émaillée ou fissurée – parfois même brûlée par le four à céramique, comme le montre la scène où Eric trouve de la beauté à une sculpture cramée pour apaiser la déception de Lizzie.
À Artnet, Cynthia Lahti explique qu’elle “aime les accidents” : “J’ai l’impression que mon travail est toujours une confrontation entre quelque chose de vraiment beau et… une énorme fissure. La rencontre de ces deux choses opposées est très, très intéressante.” “Ces personnages sont là où elle est capable d’incarner ce qu’elle veut, où elle n’est pas limitée à son moi physique, et où elle s’autorise à jouer dans ce lieu créatif et libre”, analyse l’actrice Michelle Williams, qui a dû passer du temps avec la sculptrice pour apprendre à mimer les gestes méticuleux propres à sa pratique explorant l’argile. “Je peux passer une demi-heure sur une oreille”, confie Lahti.