C’était l’un des rendez-vous les plus attendus de cette 76e édition du Festival de Cannes, qui approche doucement de sa fin : le grand Quentin Tarantino à la Quinzaine des cinéastes ce jeudi 25 mai, pour une projection secrète suivi d’une discussion, plus ou moins liée à la sortie de son dernier livre, Cinéma Spéculations (aux éditions Flammarion). Une espèce de rattrapage à un rendez-vous manqué, lui qui avait tant voulu être sélectionné pour Reservoir Dogs.
À voir aussi sur Konbini
Des gens faisaient le pied de grue depuis 7 heures du matin, la queue s’étendait sur des dizaines de mètres, et avec assez peu de retard (ce qui est un exploit cette année), Quentin Tarantino est monté sur la scène du Théâtre Croisette pour dire aux centaines de spectateurs quel était le film surprise que la foule allait découvrir, avant qu’il raconte son amour et sa relation avec le long-métrage : Légitime violence, de John Flynn.
Et comme 95 % des personnes présentes sur place, on a découvert le film. On vous raconte.
Une histoire de vengeance très Tarantinesque, et importante pour l’auteur
Légitime violence donc, raconte la vengeance d’un ancien militaire, de retour, après sept ans passés au Vietnam, dans son Texas natal, dont l’ex-femme et le fils sont massacrés par une bande de truands (mexicains, ça a son importance) venus voler une mallette avec quelques milliers de dollars.
C’est un film classique des années 1970 sans sou, avec une construction lente et timide qui se conclut par un final explosif — un massacre en bonne et due forme. Si on avait un doute tout du long sur ce que Tarantino pouvait aimer dans le récit, tout s’est évaporé dans les 30 dernières minutes.
Quentin Tarantino découvre ce film par hasard, dans un double programme. Au départ, il venait pour le premier film, Opération Dragon. Le jeune Quentin a 13, 14 ans et veut voir le film dont tout le monde parle à la cour de récré, imitant Bruce Lee. Sauf qu’une fois le film terminé, l’adolescent est un peu déçu du spectacle. Il ne sait pas que le deuxième film qui suit est celui de Flynn et que sa cinéphilie en sera bouleversée.
À partir de ce visionnage, Tarantino deviendra un aficionado des films Grindhouse, ces séries B violentes et parfois débiles. C’est Légitime violence qui fera de son amour du cinéma ce qu’il est aujourd’hui. En voyant le long-métrage, on comprend la résolution d’absolument tous les films de Tarantino.
Sur scène pendant plus d’une heure après la fin de la projection, le cinéaste est revenu sur son livre, mais a surtout, dans le premier tiers de l’échange, commenté le film — c’était sans doute la partie la plus intéressante. L’encyclopédie sur pattes a raconté devant une foule particulièrement attentive qu’elle a vu le film des dizaines et des dizaines de fois, à chaque fois découvrant un détail.
L’anecdote la plus intéressante concerne l’écriture du film fraîchement visionné. Le scénario est signé Paul Schrader et reproduit le récit d’un ancien militaire qui vrille, à peine un an après la sortie de Taxi Driver de Martin Scorsese (qu’il a aussi scénarisé). Sauf que ce dernier déteste le film maintenant et considère qu’il est à des kilomètres de ce qu’il avait créé au départ.
En effet, dans la version de Schrader, le personnage principal est raciste, enchaîne les saillies contre les Mexicains et vrille complètement sur la fin — il massacre tout le monde dans le bordel, les truands comme les prostituées et les clients. Les producteurs ont aseptisé le script, gardant une vision racialement biaisée (le Mexique est sale, comme ses habitants, contrairement aux États-Uniens bien propres sur eux), mais enlevant les réflexions racistes et une fin plus soft.
Schrader avait écrit un film qui critiquait la vengeance fasciste et le produit fini n’est qu’un film de vengeance fasciste. Ce sont les termes utilisés par ce dernier, auxquels répond Tarantino “Oui, mais le meilleur film de vengeance fasciste”.
C’est l’une des nombreuses anecdotes présentes dans le film et racontées sur scène par un Quentin Tarantino en grande forme, qui n’a rien voulu dire sur son prochain projet. Il a en revanche régalé par une tranche de cinéma comme on en voit peu à Cannes — avec un film de patrimoine, mais pas en Cannes Classics, pas en version restaurée, comprendre une copie 35 millimètres bien abîmée.
Ça fait du bien.