Aretha Franklin n’était pas seulement une diva. Militante, la chanteuse s’est engagée toute sa vie dans la défense des droits civils et des femmes.
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“Personne n’incarne mieux qu’elle la connexion entre le spirituel afro-américain, le blues, le R’n’B, le Rock’n’roll – la façon dont elle transforme les épreuves et le chagrin en une chose pleine de beauté, de vitalité et d’espoir.” Interrogé par le journaliste américain David Remnick, à l’occasion d’un portrait d’Aretha Franklin publié en 2016 dans le New Yorker, Barack Obama n’a pas caché pas son admiration et son respect pour la chanteuse soul.
Son talent musical était sans égal. À travers sa voix, Aretha Franklin parvenait à transmettre des émotions d’une précision et d’une subtilité extraordinaires. Mais la chanteuse était bien plus qu’une interprète remarquable : elle a aussi inspiré son public par sa personnalité, son engagement politique et son altruisme. Retour sur une vie hors norme en quelques anecdotes.
“Respect”, une révolution féministe
“Je ne pensais pas que mes chansons deviendraient des hymnes pour les femmes, déclarait la chanteuse l’an dernier, lors d’une interview au magazine Time. Mais j’en suis ravie. Les femmes s’identifient probablement aux paroles et ressentent de la compassion.”
Sortie en 1967 sur l’album I never loved a man the way I love you, la chanson “Respect” marque un avant et un après dans la carrière d’Aretha Franklin. À 25 ans, l’artiste originaire de Detroit est propulsée sur le devant de la scène internationale et remporte ses deux premiers Grammy Awards. Mais au-delà de son succès commercial, “Respect” a marqué la culture pop à jamais.
Le morceau original, composé par Otis Redding en 1965, parle d’un homme qui travaille durement et qui, le soir venu, demande à être respecté car il ramène l’argent du foyer. Aretha Franklin inverse alors les paroles : elle met les mots de cet homme dans la bouche de femmes indignées qui en ont marre de voir leur travail domestique sous-estimé. Ce n’est plus “tout ce que je demande, c’est un peu de respect quand je rentre à la maison”, comme chantait Otis Redding, mais “tout ce que je demande, c’est un peu de respect quand tu rentres à la maison”.
Dorénavant, plus personne n’oubliera comment écrire ce mot “respect”, qu’elle épelle et martèle à l’envi, et la chanson deviendra vite un hymne du mouvement pour la libération des femmes dans les années 1970.
Plus méconnu, “Sisters Are Doin’ It For Themselves”(1985) est un autre morceau du répertoire féministe de l’artiste. Accompagnée du groupe britannique Eurythmics, Aretha imagine un monde où les femmes se libèrent des contraintes d’une société sexiste :
“The ‘inferior sex’ got a new exterior
We got doctors, lawyers, politicians too.
Everybody – take a look around
Can you see – can you see – can you see
There’s a woman right next to you. ”“Le ‘sexe inférieur’ a un nouvel horizon
Nous avons des docteurs, des avocates, des politiciennes aussi.
Pouvez-vous voir – pouvez-vous voir – pouvez-vous voir
Tout le monde – jetez un coup d’œil autour de vous
Il y a une femme juste à côté de vous.”
Une reine qui ne se laisse pas faire
Aretha Franklin ne s’est pas contentée d’exiger du respect dans ses chansons. Lors des Grammy Awards de 2008, elle s’est indignée lorsque Beyoncé a qualifié Tina Turner de “reine”, alors qu’elle défendait farouchement son titre depuis des années. Aussi surprenant que cela puisse paraître, Aretha Franklin a mentionné l’affaire dans un communiqué de presse : “Je ne suis pas sûre de savoir sur quels pieds j’ai marché ou quel ego j’ai froissé.”
De même, la chanteuse américaine n’a jamais été indifférente aux remarques qui la visaient personnellement. En 1993, une journaliste du New York Post émet une critique — qui s’assimilerait aujourd’hui à du body shaming — sur la tenue qu’elle porte lors d’une cérémonie organisée par la chaîne Fox :
“[Aretha Franklin] devrait savoir qu’elle a une trop forte poitrine pour porter de tels vêtements, mais elle se fiche de ce que l’on pense, et c’est ce comportement qui sépare les simples étoiles des vraies divas.”
En réponse à cet avis qu’elle n’avait pas sollicité, Aretha a rétorqué dans un communiqué :
In 1993 NY Post columnist Liz Smith wrote: "[Aretha Franklin] must know she’s too bosomy to wear such clothing, but she just doesn't care what we think, and that attitude is what separates mere stars from true divas.”
— Letters of Note (@LettersOfNote) August 16, 2018
Aretha wrote to her... pic.twitter.com/wpm6JlbqDa
“Comment osez-vous être si présomptueuse de croire que vous pouvez connaître mes opinions dans un quelconque domaine autre que celui de la musique. Évidemment que j’ai bien plus qu’il n’en faut pour porter un bustier et je n’ai reçu aucune plainte. Quand vous serez une éditrice de mode respectée et réputée, vous pourrez nous le faire savoir. — Aretha Franklin
P.S. : Vous n’êtes guère dans une position de déterminer ce qui distingue une simple étoile d’une vraie diva, n’étant aucune des deux, ni une référence en la matière.”
Bim.
Une militante du mouvement pour les droits civiques
“Nos légendes disparaissent. Aretha Franklin a été audacieuse et brillante tout au long de sa carrière. On ne se souvient pas d’elle comme d’une activiste, mais elle l’était. Elle n’a pas seulement soutenu le mouvement des droits civils, mais aussi celui des Black Panthers et d’autres activistes, toutes générations confondues. Plus encore, elle a créé une musique qu’elle puisait dans une saine confiance en elle et dans la culture noire en général. Elle va tant nous manquer !”
Outre sa portée féministe, “Respect” a ainsi été repris par le mouvement pour les droits civiques. Dès son plus jeune âge, Aretha Franklin a côtoyé des figures clefs de ce mouvement, dont le révérend Martin Luther King, qui rendait visite fréquemment à ses parents dans la maison familiale de Detroit, dans le Michigan.
La chanteuse a permis de cristalliser l’idée qu’une star de son envergure peut avoir un fort engagement politique et un réel impact sur ses pairs. Sa célébrité n’a jamais été incompatible avec son militantisme. Lors d’une interview publiée en 2016 dans Elle magazine, Aretha fait remarquer que son contrat d’artiste stipule qu’elle ne chantera jamais devant un public victime de ségrégation raciale — au début de sa carrière, il existait encore des salles de concert où Blancs et Noirs étaient séparés.
D’après l’activiste Jesse Jackson, Aretha Franklin finançait régulièrement les campagnes du mouvement et chantait gratuitement lors de ses événements. En 1970, elle propose même de payer la caution d’Angela Davis, une militante noire qualifiée de “terroriste dangereuse” par le président d’alors, Nixon, parce qu’accusée d’avoir organisé une prise d’otage qui a fait quatre morts dans un tribunal. D’après le magazine Jet, la chanteuse était prête à payer, “que ce soit 100 000 ou 250 000 dollars” pour que la jeune femme de 26 ans soit libérée. “J’ai l’argent. Je l’ai grâce aux Noirs — ils m’ont permis de l’avoir financièrement — et je veux l’utiliser pour aider nos gens”, a-t-elle déclaré.
Au final, la caution d’Angela Davis sera payée en 1972 par le fermier Roger McAfee, selon un rapport du New York Times.
Même si elle ne s’est jamais revendiquée femme politique ou théoricienne, Aretha Franklin a apporté sa pierre à l’édifice en contribuant au soutien financier et en étant porte-parole du mouvement antiracisme.
Des billets de 100 dollars entassés dans son sac à main
Aretha Franklin ne venait pas d’une famille pauvre. D’après plusieurs biographies et interviews, son père gagnait plutôt bien sa vie en tant que pasteur, ce qui a permis à la famille Franklin de vivre confortablement dans une maisonnette du nord de Detroit. Pour autant, la chanteuse n’a jamais fait confiance à personne concernant les questions d’argent.
D’après le portrait de David Remnick, Aretha a vu tellement d’artistes se faire arnaquer au cours de sa jeunesse qu’elle a toujours demandé à être payée en espèces avant chaque concert. Elle enfouissait des liasses de billets de cent dollars dans son sac à main, qu’elle donnait ensuite à ses gardes du corps. Parfois, elle gardait même le sac avec elle et l’emmenait sur scène, placé sous son piano, à la vue de toutes et tous. Tavis Smiley, un ami proche, a ainsi témoigné : “Il y a souvent le sentiment chez elle que les gens sont prêts à faire du mal. Mais elle, elle ne tombera pas dans le panneau. Vous n’allez pas lui manquer de respect.”
Une diva altruiste
Au total, Aretha Franklin aurait accumulé une fortune de 80 millions de dollars au cours de sa vie. Mais l’argent ne l’a pas changée, comme dit sa chanson, et elle a toujours mis un point d’honneur à participer aux activités de charité organisées par l’église où prêchait son père. D’après Detroit News, elle donnait même tous les ans de grandes quantités de nourriture lors des vacances de Noël.
Tout au long de sa carrière, Aretha a tenu à contribuer à la vie de sa communauté. “Être la reine, ça ne concerne pas seulement la musique, et être une diva, ce n’est pas seulement chanter non plus”, a-t-elle déclaré au Washington Post en 2008. C’est aussi rendre service aux gens.” À ce titre, souffrant de diabète, la chanteuse s’est toujours assurée que d’autres personnes, moins privilégiées qu’elle, aient accès aux soins et aliments dont elles avaient besoin.