Le 21 octobre 1992 sortait SEX, un ouvrage photographique dans lequel Madonna s’exhibait sous toutes les coutures, à l’occasion de la sortie de son album Erotica. Le ton était donné à travers ces deux titres hautement explicites : il sera question de sexualité, de morceaux sulfureux et de photographies, mais façon Guy Bourdin, Robert Mapplethorpe, Brassaï et Helmut Newton. La presse qualifiera par la suite SEX d’“événement du siècle” mais aussi de “plus grande cascade kamikaze [exécutée par] Madonna”.
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Aux côtés des clichés de Steven Meisel (photographe favori de Vogue Italia) figuraient des images extraites d’un film de Fabien Baron, tourné en Super 8. Madonna a préféré signer le livre d’un pseudo, “Dita”, en hommage à l’actrice Dita Parlo. Elle y a fait participer la mannequin Naomi Campbell, la star du porno gay Joey Stefano, les rappeurs Big Daddy Kane et Vanilla Ice, ou encore l’actrice Isabella Rossellini.
Cette dernière confiera ensuite regretter cette collaboration : “Ce livre faisait la morale sur ‘comment être libres !’ et ça me révulsait.” De son côté, Naomi Campbell a admiré “la détermination [de Madonna] à sortir un livre aussi audacieux sur le sexe”, à aller au bout de son projet.
Madonna, New York, 1992. (© Steven Meisel/Christie’s/Saint Laurent)
Pour publier ce livre, Madonna a dû passer un accord avec Warner Bros. Records, qui la produisait à cette époque, à savoir : ne pas exhiber d’imagerie religieuse, de bestialité ou de pornographie infantile. Peu satisfaite par cette censure, elle défie alors son label en créant Maverick Records (une filiale de Warner Music) dans lequel elle a les pleins pouvoirs : son label devient ainsi l’éditeur officiel du bouquin.
Sans surprise, la chanteuse décide d’intégrer deux photos qui ne respectent pas les termes du contrat (devenu caduc) avec la Warner : un cliché d’elle attachée à une table en forme de croix religieuse, au côté d’un crucifix, et une image où elle pose à quatre pattes au-dessus d’un chien, laissant penser que l’animal lui prodiguait un cunnilingus.
© Orion Pictures Corporation/Getty Images
Sexualité féminine, images chocs et male gaze
À sa publication, le livre fait scandale (jusqu’au Vatican) : sur 128 pages, des scènes de sexe crues, du sadomasochisme à l’anulingus, se déploient. Les lecteur·rice·s y voient également des scènes simulées de viol et de bestialité. SEX choque non seulement à cause de sa violence sexuelle feinte et son male gaze (étant donné que les photographes intervenus n’étaient que des hommes), mais également parce que, dans l’Amérique puritaine des années 1990, l’étalage d’un éveil sexuel féminin et lesbien répugne. La presse réduit le livre censé être érotico-artistique à de la “simple pornographie” narcissique.
© Frans Schellekens/Redferns/Getty Images
La chanteuse dira plus tard que son intention était de “libérer l’Amérique”, de questionner les tabous autour de la sexualité : “Nous vivons dans une société de répression [sexuelle] et je parle de thèmes érotiques. Pourquoi devons-nous nous sentir honteux de notre sexualité ?”
L’ouvrage incluait de nombreuses scènes lesbiennes, à travers un male gaze évident qui a malheureusement bien imprégné l’imagerie “porno chic” de la publicité et des médias de cette période. Madonna était la figure de proue la plus controversée de l’univers pop des années 1990. Choquer était son fonds de commerce et elle défendait désespérément son projet : c’était son manifeste, sur sa sexualité et ses fantasmes, un hommage à sa “chatte” qu’elle considérait comme “un temple”. Pourtant, l’opinion publique disait qu’elle était “allée trop loin” cette fois-ci.
“Je ne dirais pas que je regrette. J’ai fait des erreurs et j’apprends de celles-ci. Beaucoup de personnes veulent m’entendre dire que je regrette d’avoir publié mon livre ‘SEX’. Je ne regrette pas. Le problème était de sortir mon album ‘Erotica’ en même temps. J’adorais cet album et il a été mal reçu. […] Je voulais tester des choses, être rebelle, malicieuse et briser les normes.”
© Ann Clifford/DMI/The LIFE Picture Collection/Getty Images
Bien plus tard, dans les années 2000-2010, une nouvelle lecture féministe se fait, analysant cet événement comme une phase déterminante dans la carrière de Madonna. SEX aura eu un impact pop-culturel certain et il sera même considéré par certain·e·s chercheur·se·s comme un document précieux et “honnête” issu du mouvement post-féministe : “Ce livre est intéressant dans le sens où il dépeint la sexualité en termes de domination et de pouvoir, comme beaucoup d’autres travaux de Madonna.”
Certaines journalistes reconnaissaient que Madonna “se réappropriait l’imagerie pornographique en la démythifiant en tant que femme”, notant qu’elle était scrutée par les médias à force de choquer et que cet ouvrage était la seule manière pour elle de réagir à cette suffocation, en se positionnant en grande figure de “renégate”.
Au sein de la communauté LGBTQI+, SEX a également divisé : on y voyait un ouvrage gay et lesbien assumé, un coming out bi de la part de Madonna, mais on lui reprochait aussi d’esquisser un piètre portrait des personnes queers et de “récupérer” leurs combats sous couvert de marketing.
La pochette de l’album “Erotica” de Madonna.
Une production semée d’embûches
Au cours de la conception du livre, Madonna revoit vite ses attentes à la baisse. Pour la forme de l’ouvrage, la pop star avait pensé imiter un préservatif, mais budget oblige, elle n’a pas pu mettre en œuvre cette idée. Initialement, la chanteuse américaine souhaitait intituler son livre X, mais la promotion imminente du film Malcolm X de Spike Lee (qui a mené à un merchandising de casquettes et T-shirts affichant “X” en hommage à l’activiste) a eu raison de ce nom. Elle s’est donc rabattue sur SEX, plus littéral, direct, en capitales, citant comme inspirations principales les œuvres d’Andy Warhol.
La Warner a par la suite rapporté que l’impression de ce livre avait été coûteuse et avait nécessité l’intervention de plusieurs imprimeries dans différents États. Plusieurs pages de photos sulfureuses ont été volées dans les multiples imprimeries participantes, ce qui a donné lieu à une enquête du FBI (oui, oui) pour les retrouver. Avec sarcasme, Madonna remercie d’ailleurs, à la fin de l’ouvrage, le FBI : “Merci d’avoir sauvé des photographies qui auraient émoustillé J. Edgar Hoover”, exprime-t-elle en clin d’œil aux rumeurs de travestissement, d’adultère et d’homosexualité qui pèsent sur le directeur du FBI.
© Dino De Laurentiis Company/Getty Images
Concernant l’impression brute, plusieurs pages présentaient différents types de papier, mettant en avant tantôt des collages, des négatifs, des pages de couleur uniforme, tantôt des photos agrafées ou de l’écriture manuscrite de couleurs et tailles variables. Une direction artistique quelque peu… chaotique.
Au total, environ 80 000 clichés ont été pris pour ce livre mais seulement une centaine a été publiée. Quinze jours ont été nécessaires pour l’impression des exemplaires. La couverture en aluminium, sur laquelle le titre a été gravé, demeure iconique et a requis 680 000 kilogrammes d’aluminium. En librairies, le livre n’a pas été censuré mais il était bien souvent vendu aux fans après vérification de leur majorité légale. L’ouvrage était emballé dans un sac fermé pour imiter les emballages de préservatifs, afin que les fans puissent jouir du plaisir de la destruction avant de découvrir l’œuvre.
Grâce au doux parfum de polémique, SEX a été traduit en huit langues et a connu un succès inédit pour un livre de promotion musicale : en effet, 1,4 million d’exemplaires ont été vendus dans le monde. Il fallait compter 50 dollars pour un ouvrage. Au Japon, toutes les représentations d’organes génitaux ont par ailleurs été floutées.
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Madonna et Saint Laurent organisent des enchères avec Christie’s, autour de SEX, qui mettent en vente une quarantaine de photos. La vente aura lieu à New York le 6 octobre 2023. Une partie de ses bénéfices ira à Raising Malawi, une association d’aide aux orphelin·e·s et enfants défavorisé·e·s du Malawi. Les images seront exposées du 27 juin au 6 juillet à Christie’s Paris et du 30 septembre au 6 octobre à Christie’s New York.