Mean Streets, de Martin Scorsese (1973)
Après une série de courts-métrages, le jeune Martin s’est lancé dans les longs avec un film de boxe, puis un drame sur le monde du travail. C’est avec son troisième film, son premier considéré comme culte avant d’enchaîner les chefs-d’œuvre, qu’il s’attaque à ce qui sera l’ADN de sa filmographie : les films de gangsters. Sauf que Mean Streets a un arrière-goût de Godard à bien des égards.
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C’est un film qui regorge d’inspirations filmiques, parfois même jusqu’au montage – on pense à la séquence d’ouverture du film, où les trois jump cuts rappellent évidemment la structure d’À bout de souffle. Mais au-delà de ça, dans la manière qu’a Scorsese de briser les règles des films de mafieux, sur les caractéristiques même du personnage, il y a une prise de risque et une volonté de casser les codes que l’on retrouve chez Godard.
À noter que dans son deuxième film, Boxcar Bertha, Scorsese s’inspirait déjà d’un long-métrage du réalisateur franco-suisse – de Vivre sa vie, en l’occurrence. Et le cinéaste n’a jamais caché son amour pour le cinéma de Jean-Luc Godard.
Pulp Fiction, de Quentin Tarantino (1993)
Godard n’était pas fan de Tarantino, et il ne s’en cachait pas. Mais cela n’empêchait pas le cinéaste américain d’adorer son collègue franco-suisse, qu’il trouvait même révolutionnaire – contrairement à Truffaut, qu’il compare à un amateur maladroit. Un amour qui transpirait bien évidemment dans son quotidien, le cinéaste ayant nommé sa boîte de production A Band Apart en hommage au film de Godard Bande à part, mais surtout dans ses films, à commencer par, bien évidemment, Pulp Fiction.
D’abord d’un point de vue concret, où il copie rend hommage à une scène précise – celle où Mia (Uma Thurman) est chez elle, et où elle danse, lance un vinyle et traîne dans la maison en attendant que Vincent (John Travolta) sorte des toilettes – du film Vivre sa vie, de Godard, donc. On pourrait aussi citer la scène de danse de Claude Brasseur, Sami Frey et Anna Karina dans Bande à part, qui rappelle le célèbre twist de Pulp Fiction.
Mais aussi, de manière plus large, dans la manière qu’a Tarantino, comme pour Scorsese, de faire un commentaire sur le vieux cinéma, en innovant, en brisant le quatrième mur, avec une inventivité débordante. Un descendant direct, et assumé, du cinéma de Godard.
Chungking Express, de Wong Kar-wai
Ce n’est pas que par le prisme de l’intrigue du quatrième long-métrage du cinéaste hongkongais que le parallèle avec Godard se tient. Certes, Chungking Express nous fait le portrait de deux amants errants dans une ville en métamorphose. Évidemment que l’on pense à À bout de souffle.
Mais même plastiquement, ce chef-d’œuvre de Kar-wai, comme disait le coréalisateur de Everything Everywhere All at Once, va piocher dans le cinéma de Godard. Des ellipses à la voix off en passant par les ruptures narratives coupant la continuité et des références à tout va, Chungking Express est un enfant direct du cinéaste.
Mauvais sang, de Leos Carax
Dès son premier long-métrage, le réalisateur des Amants du Pont-Neuf ou, plus récemment, de l’incroyable Annette rappelait son héritage pour Godard. Après tout, Carax a démarré comme critique aux Cahiers du cinéma. Pas étonnant de retrouver dans Boy Meets Girl un plan serré sur l’œil du personnage féminin proche de la bouche du personnage masculin – soit l’un des plus beaux plans d’Une femme mariée.
Mais c’est bien dans Mauvais sang que l’on trouve la plus belle déclaration d’amour à Godard, et principalement à Alphaville. Pour cette interprétation de la SF dans un univers dystopique sans grandiloquence, dans une normalité. Dans un monde où les humains n’ont aucune once d’espoir. Le tout dans un enrobage, une ambiance, un montage infusé au cinéma de Godard.
Plus encore, à l’époque de la sortie du film, en 1986, Carax expliquait :
“Je ne me sens en rien contemporain des films qui sortent. […] Mauvais sang est un film qui a aimé le cinéma, mais qui n’aime pas le cinéma d’aujourd’hui. Et c’est important pour moi. Pas pour m’isoler ou que les autres réalisateurs pensent du mal de moi, mais pour que les personnes qui vont l’aimer le voient tel qu’il est.”
Stranger Than Paradise, de Jim Jarmusch
Le lien entre le deuxième long-métrage de Jim Jarmusch (Dead Man, Ghost Dog, Coffee and Cigarettes ou encore Only Lovers Left Alive) et Godard, c’est encore Jarmusch qui en parle le mien, comme ici, en 2017, dans les lignes du New York Times :
“À bout de souffle a été une réelle inspiration pour moi sur le plan formel. Avec ce film, il n’avait pas assez d’argent pour tourner avec le son. Tout est doublé a posteriori, pour qu’il puisse aller dans la rue et tourner comme s’il était en pleine guerre, un peu comme j’ai pu le faire à mes débuts. Et il a utilisé le système d’ellipses pour faciliter sa capacité à monter ce qu’il a filmé.
Quand j’ai fait Stranger Than Paradise, j’ai fait l’inverse de ça. J’avais si peu de pellicules pour tourner, et j’ai compris que si je faisais toutes les scènes en une prise, je pouvais faire un long avec la quantité de matériel que j’avais. Cela venait de l’inventivité qu’avait Godard et du fait de laisser la forme être influencée par les limites du tournage.”