Le souvenir de la muse éclipse souvent l’œuvre d’une artiste complète et toute une vie dédiée à la recherche esthétique. Une omission que vient corriger le Centre Pompidou en accueillant jusqu’au 29 juillet, la toute première rétrospective d’ampleur consacrée à Dora Maar qui fut l’une des seules femmes surréalistes à être reconnue par ses contemporains.
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Dora Maar, “Autoportrait au ventilateur”, début 1930. (© Adagp/Centre Pompidou, MNAM-CCI/Dist. RMN-GP)
Une émancipation par la photo
Dora Maar, de son vrai nom “Henriette Théodora Markovich”, naît en 1907 d’une mère française et d’un père croate. Elle est modiste, il est architecte. La famille déménage en Argentine en 1910 pour une série de commandes adressées au père, et y vit jusqu’en 1926.
De retour en France, Théodora entreprend des études à l’Union centrale des arts décoratifs et à l’École de photographie. Elle choisit son pseudonyme au début des années 1930. L’entre-deux-guerres est une période d’émancipation féminine et Dora Maar devient indépendante grâce à l’essor de la photographie, notamment dans la presse féminine et la réclame.
Dora Maar, “Assia”, 1934. (© Adagp/Centre Pompidou, MNAM-CCI/Dist. RMN-GP/G. Meguerditchian)
En 1932, elle ouvre un studio avec un décorateur de cinéma. Même si l’entreprise est à leurs deux noms, elle réalise la plupart des portraits. Femme indépendante, elle voyage seule en Espagne. Très tôt elle s’intéresse à la matière photographique et tente la double exposition.
Un parcours intellectuel surréaliste
Dans les années 1930, elle multiplie les engagements et les réalisations expérimentales. Quel que soit le médium, les œuvres de Dora Maar semblent subtilement reliées. Dans les ombres dramatiques de certaines de ses photos de mode ou de nu, on peut deviner un questionnement, un œil qui cherche l’étrange au-delà de la forme. C’est en 1933 qu’elle se rapproche véritablement du mouvement surréaliste, lequel va de pair avec un engagement politique à l’extrême gauche pour elle.
Dora Maar, “Mannequin-étoile”, 1936. (© Adagp/Centre Pompidou, MNAM-CCI/Dist. RMN-GP)
De ses voyages en Angleterre et en Espagne, elle rapporte des images de misère saisissantes. Ce regard sur le réel ne l’empêche pas d’explorer les méthodes surréalistes de création, comme le hasard objectif. Elle crée également des photomontages perturbants, un exercice prisé du mouvement.
Ces différents aspects de son travail sont exposés et reconnus par ses confrères, ce qui lui confère une place à part entière parmi les surréalistes qui laissent souvent la seule place de muse à leur compagne. En 1936, elle signe même Le portrait d’Ubu (d’après la pièce absurde d’Alfred Jarry), œuvre considérée comme emblématique du mouvement surréaliste… Dora Maar a d’ailleurs toujours refusé de confirmer s’il s’agissait d’un bébé tapir ou d’une autre créature.
Dora Maar, “Portrait d’Ubu” 1936. (© Adagp/Centre Pompidou, MNAM-CCI/Dist. RMN-GP/P. Migeat)
De la figuration à l’abstraction
Sa rencontre avec Picasso en 1936 est déterminante, c’est l’histoire d’une fascination mutuelle et d’un échange artistique intense qui durera huit ans. Dora Maar est la première à photographier le peintre espagnol, et ses portraits sont saisissants de vitalité. Elle documente le travail de Guernica : ensemble, ils cherchent de nouvelles techniques picturales. Dora se remet à la peinture et progressivement, elle bascule de l’image photographique aux pinceaux.
La séparation avec Picasso en 1946 est douloureuse, mais est-ce la seule raison qui pousse Dora Maar à se retirer de la vie artistique dès 1950 ? L’exposition ne le dit pas, se concentrant sur la valorisation d’une recherche esthétique montrée pour la première fois. Dora Maar mène le reste de sa vie en solitaire, et continue ses recherches esthétiques.
Dora Maar “Pablo Picasso”, 1936. (© Adagp/The Museum of Fine Arts, Houston)
Du cubisme elle en arrive à l’abstraction, à une production centrée uniquement sur la matière. Elle travaille notamment les négatifs de manière obsessionnelle. Sa palette reste majoritairement sombre. On a peu de traces écrites des réflexions de l’artiste sur son travail ou sa vie. Si l’ensemble de son œuvre est mis en lumière et peut connaître une reconnaissance posthume, le mystère de ses pensées reste entier.
Dora Maar, “Londres”, 1934. (© Adagp/The J. Paul Getty Museum, Los Angeles)
Dora Maar, “29 rue d’Astorg”, vers 1936. (© Adagp/Centre Pompidou, MNAM-CCI/Dist. RMN-GP)
Dora Maar, “Nature morte”, 1941. (© Adagp/Centre Pompidou, MNAM-CCI/Dist. RMN-GP)
“Dora Maar”, du 5 juin au 29 juillet 2019 au Centre Pompidou (Paris).