Si vous ne connaissez pas encore Kevin Abstract après tout ce qu’il a offert au sein du collectif hip-hop BROCKHAMPTON, vous êtes en retard. Mais on vous excuse, et on vous donne l’occasion de vous rattraper avec ce récapitulatif des raisons qui nous poussent à dire que l’artiste texan est l’un des plus captivants de sa génération.
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Après deux projets solo remarqués du côté de la pop et du hip-hop en 2016 et 2019, Kevin Abstract revient avec Blanket, son premier album depuis la séparation de BROCKHAMPTON en 2022, qui offre une réinvention totale et un vrai petit bijou d’indie rock. Portrait de votre prochaine obsession musicale.
BROCKHAMPTON, de fanclub de Kanye West à monument hip-hop
En 2017, on vous le présentait comme “le boys band le plus hype du hip-hop US” – et on n’arrête pas de pleurer sa dissolution en 2022. C’est Kevin Abstract qui, en 2014, fonde ce boys band d’un nouveau genre sur un forum destiné aux fans de Kanye West. De base, ce supergroupe compte près de trente membres comprenant des artistes de tout genre et s’appelle AliveSinceForever. En 2014, le groupe prend le nom de BROCKHAMPTON, en référence à la rue dans laquelle Kevin Abstract a grandi.
Leadé par Kevin Abstract et son ami de longue date Ameer Vann, il commence à attirer l’attention des médias et des fans de hip-hop avec la trilogie d’albums Saturation lancée en 2017. Au fil des disques, il prouve sa légitimité sur la scène rap avec des propositions toujours plus fortes et dans l’air du temps, accompagnées d’une esthétique dont seuls ses membres ont le secret.
En janvier 2022, affaiblis par le départ d’Ameer Vann (suite à de sombres histoires d’agressions) mais aussi envieux de se focaliser sur leurs carrières solo, les membres du groupe annoncent, durant leur set au festival Coachella, mettre fin à BROCKHAMPTON. En treize ans d’activité et plus de huit albums au compteur, le boys band continue d’inspirer la nouvelle scène hip-hop états-unienne (et d’ailleurs), et certains de ses membres continuent de faire parler d’eux, à commencer par son leader, Kevin Abstract.
Kevin Abstract en solo
Au travers de ses premiers projets solo, notamment American Boyfriend: A Suburban Love Story et Arizona Baby, Abstract s’est fait remarquer pour sa fibre provocatrice et rebelle, notamment dans le clip de son titre “Empty” qui traite d’un des sujets de prédilection de l’artiste : l’homosexualité. La sienne, celle des autres, celle qui fait du bien et celle qui fait du mal.
C’est l’occasion aussi de se pencher sur le sujet de l’homosexualité dans le rap masculin, connu pour son virilisme marqué, aux États-Unis comme chez nous. Dans “JUNKY”, morceau de BROCKHAMPTON sorti en 2017, Abstract explique d’ailleurs la présence du sujet dans la plupart de ses textes :
“‘Why you always rap about bein’ gay?’ / ‘Pourquoi tu rappes toujours sur le fait d’être gay ?’
‘Cause not enough n*ggas rap and be gay / Parce qu’il n’y a pas assez de n*ggas qui rappent et qui sont gays
Where I come from, n*ggas get called ‘faggot’ and killed / Là d’où je viens, les n*ggas se font traiter de ‘pédés’ et se font assassiner”
Blanket, la réinvention rock
Un peu plus d’un an après la rupture définitive de son bébé BROCKHAMPTON, Kevin Abstract revient avec un nouvel album qui cristallise son virage rock. “Je voulais faire un album du type Sunny Day Real Estate, Nirvana, Modest Mouse. Mais je voulais qu’il frappe comme un album de rap.” Et le premier morceau partagé, du même nom que le disque, le prouve : Abstract traduit la férocité et le flow incisif du hip-hop en langage rock avec une construction rock-punk fracassante qui donne rapidement le ton.
Le disque est porté par une forte identité visuelle, qui mêle un certain côté glauque (le visage masqué de la pochette, le visage ensanglanté de Kevin sur certains visuels) à l’esprit pop de ces monstres colorés à fourrure qui semblent symboliser les démons de l’artiste. Volontairement mystérieux, Kevin Abstract use d’allégories et de symboles qu’il nous reste à élucider, tout ça pour mieux nous parler une nouvelle fois d’amour, la plupart de ses textes étant généreusement nappés de romance.
“I know it’s crazy but I can’t deny / Je sais que c’est fou mais je ne peux pas le nier
The way I feel is hard to hide / Ce que je ressens est difficile à cacher
I’ve been tryna play it cool with you, boy / J’ai essayé de la jouer cool avec toi, mec
But I’m losing my mind on you, boy / Mais je perds vraiment la tête avec toi, mec”
(extrait de “Real 2 Me”)
Le disque est produit par les pointures du registre, de John Carroll Kirby (à l’œuvre pour Solange, Miley Cyrus et Steve Lacy) à Kid Harpoon (collaborateur récurrent de Harry Styles), en passant par Romil Hemnani, fidèle collaborateur de BROCKHAMPTON à l’époque. Les atmosphères se superposent en collage, avec une emo-rock pleine de sentiments sur “Running Out” et “Madonna”, une pop-rock plus rêveuse sur “The Greys” et “Scream”, et même des soupçons d’electropunk plus déstructuré sur le virulent “Mr. Edwards”.
Mais là où l’ancien leader de BROCKHAMPTON surprend et séduit le plus, c’est sur les virages indie-folk inattendus que prend le disque, sans prévenir. On pense aux délicats “Heights, Spiders, and the Dark”, “My Friend”, sur lequel s’invite la poétesse états-unienne Kara Jackson, et surtout à la douceur de “What Should I Do?”, notre coup de cœur de la collection.
Sur Blanket, Kevin Abstract ne s’interdit rien et décline l’instrument à gratte sous différentes coutures dans un album qui manque parfois de cohérence mais qui a le mérite de cultiver la pluralité de l’un des cool kids les plus captivants de sa génération.