Passer maître dans un domaine ne signifie pas n’avoir jamais commis d’erreurs dans celui-ci. Cela signifierait plutôt le contraire : ce n’est que grâce à l’expérimentation intensive et accompagnée de son lot de maladresses et de ratés qu’on parvient à la maîtrise de son art.
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C’est en partant de ce postulat que le Musée d’art moderne de la ville de San Francisco donne une place d’honneur à l’erreur en photographie dans une exposition intitulée “Don’t! Photography and the Art of Mistakes” (“À ne pas faire ! La photographie et l’art des erreurs” en français).
“Hyattsville, Maryland”, 2016. (© John Gossage)
L’exposition se concentre principalement sur le XXe siècle, une période particulièrement prolifique pour l’art photographique tant l’évolution du domaine y a été importante. Des chambres noires du XXIe siècle aux appareils plus rapides et compacts du siècle suivant, l’essor de nouvelles techniques a ouvert un champ d’expérimentation infini aux passionné·e·s.
C’est à ce moment-là que les artistes modernistes cherchent à se libérer du carcan que représentent les règles du passé et misent sur davantage d’irrévérence puisque, comme l’exprimait le photographe américain Edward Weston : “Consulter les règles de la composition avant de prendre une photo revient à consulter les lois de la gravité avant de marcher.”
“Girl from Contact Sheet (© Darkroom Manual)”, 2013. (Sara Cwynar)
Une expo sous forme de dictionnaire imagé
Au fil de ses pièces, le musée californien présente différents termes, chacun explicités grâce à des exemples visuels. Qu’il s’agisse de Lisette Model, Florence Henri ou Man Ray, les artistes exposé·e·s souhaitaient à leur époque exprimer le changement à grande vitesse qui s’opérait autour d’elles et eux.
Le flou cinétique (le flou causé par le mouvement) ou le hors-champ (lorsqu’un visage est coupé ou le personnage principal décentré par exemple) sont illustrés par des images de William Klein ou de Charles M. Taylor Jr., entre autres. Ces photographes figurent le développement du dynamisme urbain inhérent à la fin du deuxième millénaire.
“Black Coat and Shopper, New York”, 1954. (© William Klein/Saif, Paris/VAGA, New York/San Francisco Museum of Modern Art)
Le XXe siècle correspond également à la période du plein essor de la psychanalyse. Le procédé de double exposition (visible chez Maurice Tabard par exemple) et la présence d’ombres (chez Ilse Bing) permettent aux artistes de manifester des présences oniriques ou fantasmées. La solarisation (une inversion partielle ou totale des densités) permet également de créer des atmosphères surréalistes.
Popularisée grâce au travail de Man Ray, la technique aurait été découverte par accident après que Lee Miller, collaboratrice et compagne du photographe américain, a allumé la lumière dans leur chambre noire alors que les négatifs n’étaient pas encore développés.
“My Shadow with Dog Schubi”, 1948. (© Ilse Bing/San Francisco Museum of Modern Art)
L’exposition présentée à San Francisco pousse le public à ouvrir le champ des possibles, à refuser une seule acception du beau ou de l’artistique. Destinée aux adultes comme aux plus jeunes, elle pousse à prendre confiance en son goût et en sa pratique artistique et surtout, à encourager les erreurs, ciments de la création :
“Faire une erreur est normal. Faire deux fois la même erreur, c’est de la distraction. Faire trois fois la même erreur, c’est limite inexcusable. Mais faire la même erreur en boucle, c’est quasiment du génie”, affirmait d’ailleurs le photographe néerlandais Erik Kessels.
“Promenade des Anglais, Nice”, 1937. (© Lisette Mode/San Francisco Museum of Modern Art)
“Grand Prix du club automobile de France”. (© Jacques-Henri Lartigue/San Francisco Museum of Modern Art/Ministère de la Culture-France ; AAJHL)
“Essai”, 1929. (© Maurice Tabard/San Francisco Museum of Modern Art)
“Maria, Minneapolis, Minnesota”, 1966. (© Lee Friedlander/San Francisco Museum of Modern Art)
“Sans titre”, vers 1958. (© Ralph Eugene Meatyard/San Francisco Museum of Modern Art)
L’exposition “Don’t! Photography and the Art of Mistakes” est visible au San Francisco Museum of Modern Art jusqu’au 1er décembre 2019.