Si l’on ne compte plus les romances déséquilibrées où le protagoniste masculin est plus âgé que son love interest féminin, de Pretty Woman à Ariane, l’inverse est, sur les écrans comme dans la vie, beaucoup moins accepté et visibilisé. Selon Fiona Schmidt, journaliste, militante féministe et auteure de l’essai Vieille peau (éditions Belfond, 2023) qui décortique le double standard sexiste entre injonctions au bien vieillir et jeunisme, “l’écart d’âge entre un homme et une femme est érotisé depuis des milliers d’années, d’abord par la peinture et la littérature, puis par le cinéma. Dans les films, la différence d’âge d’un couple à l’écran est d’environ 20 ans alors que dans la vraie vie, elle est de 3 ans.”
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Mais récemment, dans l’univers des comédies romantiques américaines, la tendance semble, en apparence, vouloir s’inverser et devant la caméra, les actrices entretiennent désormais des relations amoureuses avec des hommes beaucoup plus jeunes. L’Idée d’être avec toi, Les Dessous de la famille, Lonely Planet, Bridget Jones 4, Carla et Moi : pourquoi les MILF envahissent-elles nos écrans ?
Objet, danger et nouvelle popularité : la MILF dans tous ses états
Au cinéma, l’image d’Épinal de la MILF — expression sexiste un peu datée qui n’a pas vraiment d’équivalent masculin aussi usité — s’incarne encore et toujours par Jennifer Coolidge dans American Pie, un film qui sexualisait et fétichisait la différence d’âge entre la mère de Stifler et ses copains de lycée puisque de tout temps, “les MILF ont davantage été l’objet que le sujet des films”, note un récent article de Vulture.
Mais la MILF ou la cougar (la différence entre ces deux termes se situerait dans le regard masculin, la cougar étant une femme d’âge mûr qui entretient des relations avec des hommes plus jeunes tandis que derrière l’acronyme de MILF, il y a également une notion d’attirance sexuelle) existait à l’écran bien American Pie, sorti en 1999. Déjà objectifiée, elle était souvent synonyme de danger, comme en 1967 dans Le Lauréat de Mike Nichols, film fondateur du genre où Dustin Hoffman incarnait un étudiant séduit par une femme plus âgée interprétée par Anne Bancroft et entretenait avec elle une liaison qu’il ne désirait par vraiment.
Un cas d’école également en ce qui concerne le rapport très conceptuel qu’entretient Hollywood à l’âge, dans un double standard une nouvelle fois sexiste : dans le film, Benjamin a 20 ans alors que Dustin Hoffman en avait déjà 30 au moment du tournage. Face à lui, Anne Bancroft qui incarne Ms Robinson, son amante supposée avoir le double de son âge, avait quant à elle tout juste 36 ans. Depuis, une multitude de films ont confié des rôles à des actrices beaucoup plus jeunes que le personnage qu’elles incarnent à l’écran, privant ainsi toute une frange d’actrices d’opportunités professionnelles.
Si l’on constate un regain récent pour ces romances May December — adjectif anglophone plus poétique pour qualifier ces histoires d’amour où la différence d’âge entre les deux protagonistes est notable et dont le dernier film de Todd Haynes tire d’ailleurs son titre et son sujet — elles sont un sous-genre qui a toujours existé dans l’univers de la comédie romantique hollywoodienne. Dans Trop jeune pour elle (2007), Michelle Pfeiffer s’interrogeait déjà au sujet de l’âge de Paul Rudd, dans Don Jon (2013), Joseph Gordon-Levitt préférait Julianne Moore à Scarlett Johansson et récemment, Charlize Theron renouait avec Seth Rogen dans Séduis-moi si tu peux ! (2019).
Mais ce sont les plateformes qui ont donné un véritable coup d’accélérateur au genre et en 2024 sont sortis presque coup sur coup sur Netflix L’Idée d’être avec toi de Michael Showalter, Les Dessous de la Famille de Richard LaGravenese et Lonely Planet de Susannah Grant, trois rom coms où Anne Hathaway, Nicole Kidman et Laura Dern incarnent des quadragénaires et quinquagénaires en relations avec des hommes beaucoup plus jeunes qu’elles. Un schéma qui était également récemment décliné en une pure comédie qui n’avait rien de romantique dans Le Challenge (2023) avec Jennifer Lawrence et bientôt dans des thrillers érotiques puisque Nicole Kidman sera également à l’affiche de Babygirl avec Harris Dickinson, et Olivia Wild à celle de I want your sex avec Cooper Hoffman.
Féministes, vraiment ?
Après avoir connu ses grandes heures aux confins des années 2000, la rom com (diminutif assigné à cette période, pour la différencier de son ancêtre plus prestigieuse de l’âge d’or d’Hollywood) ne fait plus vraiment rêver et appartient désormais à cette tranche un peu ingrate de longs-métrages au budget moyen, entre 20 et 30 millions d’euros, qui ont déserté les salles de cinéma pour migrer vers les plateformes.
Outre un miroir tendu aux évolutions de la société sur les questions de représentation, l’évolution vers plus de progressisme des scénarios de rom coms très polissés est aussi une opportunité marketing pour les plateformes de draguer une Gen Z sensibilisée à l’inclusivité et moins biberonnée aux classiques de la comédie romantique, qui déserte peu à peu les plateformes, selon les chiffres du CNC.
Mais il s’agit aussi certainement de pallier un manque du côté des acteurs et actrices puisque les grandes figures titulaires de la comédie romantique, comme l’ont été Julia Roberts, Hugh Grant ou Meg Ryan, n’existent plus. Désormais, ceux qui forment la jeune garde d’Hollywood — Timothée Chalamet, Zendaya, Florence Pugh ou Anya Taylor-Joy — préfèrent passer par la case blockbuster pour propulser leur carrière et fuient les rom coms. À défaut de faire émerger les nouveaux visages de la comédie romantique, cette tendance aux romances May December constitue donc un twist scénaristique pour tenter de faire renaître ces anciennes gloires romantiques. Ainsi, dans le quatrième opus de ses (més)aventures, Bridget Jones nous reviendra en mère célibataire, courtisée par un Leo Woodall de vingt ans son cadet.
Mais au-delà de la simple opération de réhabilitation, ces comédies romantiques nouvelle génération vont plus loin dans la normalisation de la différence d’âge et choisissent de ne pas en faire le véritable sujet. Dans L’Idée d’être avec toi, Solene, la galeriste incarnée par Anne Hathaway entame une romance avec Hayes, chanteur d’un célèbre boys band tandis que dans Les Dessous de la famille, Brooke, l’autrice interprétée par Nicole Kidman, tombe sous le charme (et réciproquement) de Chris, une star de blockbusters. Ici, c’est donc davantage la célébrité que la jeunesse de ces hommes qui crée le déséquilibre et vient se mettre en travers de l’amour, leur notoriété publique étant presque antinomique aux activités intellectuelles auxquelles s’emploient ces héroïnes discrètes dans leur vie professionnelle.
Côté pile, ces femmes de plus de 40 ans peuvent donc être sexuellement actives et attractives sans même que ce soit questionné mais côté face, la célébrité et l’argent que possèdent ces jeunes étalons leur offrent une forme de contre-pouvoir à la jeunesse et le rapport de force n’est, dès lors, pas tout à fait renversé. Si une nouvelle ère de la MILF à l’écran, en apparence réjouissante, est définitivement en marche, les films cités précédemment nous arrivent tous d’Hollywood et d’une industrie qui pratique le jeunisme envers ses actrices sans aucun scrupule ou presque. Ainsi, toutes ces héroïnes MILF ont un point commun : elles sont blanches, elles sont minces, elles sont riches et surtout, elles ne font pas leur âge.
Si leurs années supplémentaires sont inscrites au scénario, elles n’imprègnent jamais l’écran, renversant ainsi les effets positifs de ces nouvelles représentations. Dans son article “Smoothing the wrinkles: Hollywood, old age femininity and the pathological gaze”, Josephine Dolan soulève que par leurs importantes capacités de normalisation, “ces célébrités offrent un mécanisme très efficace par lequel elles font de ce bien vieillir le nouveau statu quo”, imposant ainsi, sous couvert de progressisme, un nouveau standard difficilement atteignable pour les femmes.
Notre planche de salut nous arrivera-t-elle du cinéma indépendant américain ? Cette semaine est sortie en salle en France Carla et Moi, une jolie comédie, davantage mélancolique que romantique, de Nathan Silver avec Jason Schwartzman et Carol Kane. Lui y est un chantre en dépression, qui a perdu sa voix et sa foi à la suite du décès de son épouse, elle est son ancienne professeure de musique qui veut organiser sa bat-mitsvah tardive et athée. Si l’on ne saisit pas vraiment la nature de leur relation, du moins jusqu’à un très beau dénouement, ce long-métrage est une bulle poétique et excentrique qui vient s’inscrire, tant dans son scénario, ses dynamiques et ses représentations, en opposition aux tropes précédemment cités.
Mais le film qui s’empare véritablement de l’éléphant au milieu de la pièce, celui des ravages du jeunisme à Hollywood, sans aucun détour, nous vient de la française Coralie Fargeat. Dans The Substance, Demi Moore ne s’embarrasse d’aucune politesse ni prétexte romantique pour revenir sur le devant des écrans qui l’avaient un peu oubliée et forcera l’industrie à se regarder, elle aussi, dans le miroir.