Chaque semaine, Aurélien Chapuis alias Le Captain Nemo revient sur l’actualité du rap avec ses coups de cœur, ses découvertes et les enjeux du moment.
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Quand on inspecte les morceaux les plus streamés en France, on a de moins de moins d’artistes internationaux. La musique et surtout le rap français se prennent la part du lion. Le décalage devient de plus en plus grand avec le Billboard américain, notamment sur la pop, mais aussi et surtout sur le rap. La France n’écoute plus de rap américain.
Il y a quelques années, entre 2015 et 2019, des artistes américains se sont taillé des énormes réputations parmi les auditeurs de rap en France. C’était le moment de gloire de Future, Travis Scott, Migos, Young Thug, Kendrick Lamar, Gunna. Les tubes pleuvaient et le rap américain restait le style musical le plus joué en soirée, en club ou dans les voitures. Mais, déjà, les artistes plus jeunes, comme Lil Uzi Vert ou Lil Baby, mégastars de l’autre côté de l’Atlantique, deviennent plus difficilement identifiables en France, un étau se resserre. Plus récemment, Dababy, tête d’affiche indéniable de ses dernières années, n’a pas réussi à remplir le festival HOT97 Summer Jam. Ils ont du annuler.
Tout s’est accélérer début 2020 avec le confinement, la fermeture des frontières, la fin des shows. Le rap français prend alors de plus en plus de place. Le rap américain se divise, redevient plus niché. Travis Scott est remplacé par Damso, Future par Gazo, Gunna par Hamza. Les superstars actuelles du rap américain sont de plus en plus invisibles en France.
C’est le cas de YoungBoy NBA (pour Never Broke Again). Le rappeur originaire de Bâton-Rouge en Louisiane a actuellement trois albums dans le Top 30 américain. Ses scores sur les plateformes de streaming et sur YouTube sont démentiels. Pourtant, en France, peu de gens, même fans de rap, peuvent citer plus d’un morceau ou d’un album.
Cette semaine, YoungBoy vient de sortir 3800 degrees, un album qui revient aux sources du son très bounce de la Louisiane, reprenant les codes du Cash Money fin 1990 et début 2000. Sur la pochette comme pour le titre, la référence à l’album 400 degreez de Juvenile fait très plaisir. Le rappeur ressort même les légendes Mouse On Tha Track et E-40 ainsi que le beaucoup trop rare Shy Glizzy pour compléter un véritable sans faute.
En moins de 40 minutes, YoungBoy balaye tout ce qu’il sait faire de mieux sur des productions parfaitement adaptées. Son univers proche des rappeurs de sa région comme Kevin Gates, Boosie ou Webbie prend encore plus d’ampleur, rendant hommage à ses aînés tout en développant un style personnel profond. Rappel : il a seulement 22 ans.
YoungBoy est souvent considéré comme un artiste à fleur de peau, bien au-dessus du rap, avec des fans qui le comparent facilement à 2Pac pour son rapport à l’émotion et son âme de leader d’opinion. Extrêmement productif, YoungBoy sort ainsi son cinquième projet en moins d’un an. C’est même le septième, si on compte les projets communs. Abonné au Billboard américain, il est totalement absent des charts français. Pourtant, son style musical n’est pas si éloigné des Young Thug, Gunna et autres Future. Qu’est-ce qui fait que l’auditeur français de rap ne s’y intéresse pas du tout ?
Le rap de YoungBoy est très régional, c’est de la musique de proximité, on te parle à l’oreille. Justement, la proximité, le public français la trouve maintenant entièrement avec tout le large panorama du rap en français. Seule exception à la règle : le succès incroyable de Central Cee qui cartonne partout avec “Doja” jusqu’en France où il est disque d’or. C’est d’ailleurs le premier rappeur anglais à obtenir cette certification en France, un marqueur fort.
Mais Central Cee est une figure emblématique de la drill anglaise actuelle, un genre musical qui a vraiment imprégné totalement le rap en France et niveau proximité, Londres est plus proche que Bâton-Rouge. Finalement, le rap britannique a plus d’avenir en France que le rap américain, une tendance qu’on n’aurait vraiment pas imaginée il y a quelques années.
Le 5 majeur de la semaine
Lil Yachty – Poland
Yachty revient à ses premiers amours, une petite balade sous l’eau avec Bob l’éponge. Produit par F1lthy, un des architectes du son de Playboi Carti, ce court moment viral est sorti sur les plateformes avec une vidéo signée Cole Bennett en prime, forcément tourné en Pologne. C’est bizarre, c’est chelou, c’est Yachty, donc c’est un peu du génie. Allez, tous ensemble, “I took the woooock to Pooooooland”.
MIG – Haut Parleur
Une semaine et demie après la sortie, l’album de Mig montre qu’il en a toujours sous le capot. Plus musical qu’on ne pouvait s’y attendre, Toujours + contient son lot de morceaux qui grandissent doucement au fil des écoutes. C’est le cas du dernier, “Haut Parleur” avec son sample vocal intéressant, ses lignes de piano filtrées et les paroles simples mais très appuyées du rappeur du 91. On y revient souvent, jamais avec le même sentiment.
Cormega & Nas – Glorious
Très difficile de résister à cette réconciliation entre Nas et Cormega. On repense au morceau “One Love”, au début de The Firm, à ce lien si tendu qu’il y avait entre ces deux génies de Queensbridge. Le morceau produit par Alchemist est à la hauteur et nous permet de dire que c’est plus facile d’être fan de Nas ces dernières années. Les beats sont meilleurs, les prises de parole sont fédératrices, les rimes sont toujours au niveau. S’il ne faut écouter qu’un morceau de vieux cette semaine, c’est celui-là.
Quavo & Takeoff – Bars into Captions
Encore une marque profonde du désintéressement de la France pour le rap américain : Les deux tiers des Migos sortent un bon disque et tout le monde s’en fout. Mention spéciale pour cet hommage à la Dungeon Family et au “So Fresh, So Clean” d’OutKast. Si on ajoute le clin d’œil à Raekwon et Ghostface sur le nom de l’album et la pochette, on a peut-être l’album le plus réflectif des Migos. C’est efficace, concis, les invités sont choisis judicieusement comme le Graal. Amis français, écoutez cet album, il vous le rendra bien.
YG – LA Leakers freestyle 2022
Je pense que je serais toujours indulgent avec YG car il continue de représenter un rap californien immuable, une continuité gangsta qui vieillit bien malgré les albums de plus en plus mous. Mais là, sur un freestyle chez les immuables LA Leakers sur l’instru de “Hussle in The House” du regretté Nipsey, tous les voyants sont au vert.
Ligne Nostalgique :
Il y a 25 ans, Janet Jackson sortait Velvet Rope avec ce morceau ultime qui combine Q-Tip, J. Dilla et Joni Mitchell. Bonne semaine !