“Il était là, avec sa tête ingénue, innocente, et j’ai demandé au videur de le laisser rentrer et j’ai dit au patron : ‘Champagne pour Keith Haring.'” Le DJ Cesar de Melero mixait à l’Ars Studio Club de Barcelone le soir où il a rencontré le célèbre street artiste. C’était en 1989, a-t-il confié au Guardian, et cette année-là, Keith Haring a laissé un souvenir inestimable de sa venue en Espagne.
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Les deux hommes ont fait connaissance et se sont vite liés d’amitié. “Je l’aimais bien avant de le rencontrer et encore plus une fois que nous nous sommes vus”, se souvient De Melero. “C’était quelqu’un de si normal et appréciable, pas du tout prétentieux.”
Le soir même, Haring a donc décidé de peindre la cabine de DJ de son nouvel ami. Après lui avoir demandé de décrocher ses disques du mur, il s’est mis à dessiner une silhouette rouge vif, semblant vibrer au son d’une musique. Sa tête est une fleur, “en référence au mouvement flower power”, précise le DJ.
L’œuvre est restée intacte depuis, en souvenir de cette soirée mémorable. Et même lorsque la boîte de nuit a fermé en 1992 pour laisser place à une salle de billard, le mur a été conservé tel quel… Mais aujourd’hui, Gabriel Carral, le propriétaire de la salle, ne tient plus à la préserver.
“Si ça ne dépendait que de moi, je la ferais disparaître sous une couche de peinture”, aurait-il affirmé. Il souhaite faire démolir le bâtiment pour le remplacer par une maison de retraite. Il prétend avoir les droits de la fresque dans le contrat.
La Keith Haring Foundation s’est manifestée auprès de lui et a annoncé être prête à payer pour les frais de déplacement nécessaires à l’opération de sauvetage du mur. Le propriétaire n’a pas encore annoncé sa décision finale : d’un autre côté, il a fait estimer la fresque… et celle-ci aurait une valeur de 80 000 euros. Son choix se fait attendre, et son attitude est très critiquée. Selon De Melero par exemple, tout cela est contraire à l’esprit d’ouverture et de générosité de Haring et son œuvre.
“Cette peinture devrait rester où elle est. Au début, elle était dans une boîte de nuit, puis une salle de billard, maintenant, pourquoi pas dans une maison de retraite ?”, demande-t-il. Il affirme que Haring ne l’a pas peinte pour l’argent mais en gage de leur amitié, et de son amour des boîtes de nuit et de Barcelone. Personne ne peut prétendre en être son propriétaire.
“Nous avons garanti la protection de la fresque grâce à un plan d’urbanisation spécial et avons demandé à la Generalitat [le gouvernement régional catalan, ndlr] de le déclarer comme une partie de notre héritage culturel”, aurait annoncé un porte-parole de la mairie de Barcelone.
Un héritage culturel qui ne s’est d’ailleurs pas limité à un mur d’une boîte de nuit. Lors de son séjour, Haring avait créé plusieurs autres œuvres, sur d’autres surfaces. De Melero confie également au Guardian qu’il avait montré à l’artiste new-yorkais un frisbee peint par lui… Mais ce dernier lui a rétorqué que ce produit dérivé était une contrefaçon. Il a alors dessiné par-dessus en écrivant : “Ceci est un vrai Keith Haring, peint sur un faux.”
Le lendemain, l’artiste avait également peint un mur destiné à la démolition place Salvador Seguí, dans le quartier d’El Raval, réputé à l’époque pour ses toxicomanes et ses prostitué·e·s. L’artiste aurait représenté un serpent se mordant la queue accompagné du message d’espoir suivant : “Ensemble nous pouvons stopper le sida.” Et si ce mur a été démoli depuis, une copie a bien été conservée au MACBA, le musée d’art contemporain de Barcelone. Reste à espérer qu’il en sera de même pour sa fresque de l’Ars Studio Club.