L’œuvre Fuck Abstraction! de Miriam Cahn est accusée – hors contexte – de pédopornographie. Exposée depuis le 17 février au Palais de Tokyo, cette œuvre de l’artiste suisse représente une personne aux mains liées, contrainte à une fellation. Pour certain·e·s, comme l’association Juristes pour l’enfance, il s’agit d’un·e enfant.
À voir aussi sur Konbini
La peinture fait l’objet d’une pétition en ligne qui demande son retrait et a récolté à ce jour quelque 8 500 signatures. “Ce ne sont pas des enfants. Ce tableau traite de la façon dont la sexualité est utilisée comme arme de guerre, comme crime contre l’humanité”, selon l’artiste citée dans un communiqué du musée parisien.
Nous avons visité l’exposition le mois dernier, et un avertissement au public est annoncé avant d’entrer dans cette salle qui présente de la nudité, des scènes sexuelles et violentes. Il semble assez clair, en lisant les cartels et légendes, que l’artiste a représenté ici des adultes coupables et victimes de crime de guerre.
La petitesse du personnage exprime sa soumission, son corps décharné par la guerre, devant un bourreau grand et musclé. Mais comme l’art est libre d’interprétation, tout le monde y projette ce qu’il veut voir. Le 7 mars, le Palais de Tokyo s’était dit “conscient” que la démarche artistique de l’artiste peut “générer des malentendus” et annonçait renforcer son dispositif de médiation. Le tableau devrait rester exposé, et c’est tant mieux, car il s’insère dans un récit muséographique, et qu’il est important de le voir pour avoir une meilleure compréhension globale de cette salle et des autres œuvres exposées à ses côtés.
Sur le mur à droite, on peut voir le tableau “Fuck Abstraction!”. Vues d’exposition, Miriam Cahn “Ma pensée sérielle”, Palais de Tokyo, 17/02/2023 – 14/05/2023. (© Aurélien Mole)
Interrogée par la députée du RN Caroline Parmentier, la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak a d’abord appelé à ne pas tout “mélanger”. “Le combat pour la protection de l’enfance et contre toutes les formes de violence, on le mène tous collectivement au gouvernement”, a-t-elle dit. “Vous êtes allée faire votre coup de com’ et filmer ce tableau, mais avez-vous vu l’ensemble de l’exposition ? Avez-vous échangé avec les médiateurs ? Avez-vous lu les explications ? Parce qu’on ne peut pas sortir une œuvre de son contexte”, a-t-elle poursuivi, citant les propos de l’artiste elle-même.
“Oui, l’art peut choquer, peut questionner, peut parfois susciter du malaise, voire du dégoût. L’art n’est pas consensuel. Et la liberté d’expression et de création est garantie par la loi.” Et d’ajouter que ce n’est “ni à une ministre, ni à une parlementaire de qualifier une infraction pénale. C’est le rôle de la justice”.
Dans la foulée, l’Observatoire de la liberté de création publiait un communiqué soutenant l’artiste : “Les artistes doivent pouvoir dénoncer ces crimes en pleine liberté. Comme le disait George Sand à propos de la littérature : ‘L’écrivain n’est qu’un miroir qui reflète, une machine qui décalque, et qui n’a rien à se faire pardonner si ses empreintes sont exactes, si son reflet est fidèle.’ Il en va de même pour la peinture, et ce débat qui a traversé déjà deux siècles a toujours conclu à la déconsidération des censeurs.”
Avec AFP.