C’est l’arrivée d’un train entrant en gare de la Ciota filmée par Louis Lumière en 1895 qui constitue l’un des tout premiers plans du cinéma et esquissera les contours de ce qui deviendra le septième art. La scène la plus chère de l’histoire du cinéma muet est également celle d’un accident de train dans The General de Buster Keaton, en 1926, filmée en une seule prise avec une vraie locomotive. Première preuve, s’il en faut, que le train est indissociable du cinéma.
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On a vu les gares du monde entier sur grand écran, qu’elles soient bondées ou désertes, que les personnages s’y fuient ou – plus souvent – s’y retrouvent. Ainsi, la gare, lieu de croisement, est un haut lieu sentimental au cinéma, qu’elle soit le théâtre d’adieux déchirants, comme dans Les Parapluies de Cherbourg et Call Me by Your Name, ou de retrouvailles passionnées, comme dans Un homme et une femme et La Boom.
Mais on peut aussi y tuer, comme dans Les Incorruptibles ou Nikita, ou même y danser, comme dans Slumdog Millionaire ou Sexe entre amis. Parfois, la gare peut même transformer le film, comme dans Le Hasard de Krzysztof Kieślowski, où le personnage principal voit son destin changer en fonction d’un train qu’il loupe ou qu’il attrape.
Propices à la rêverie du passager, les voyages en train sont eux aussi hautement cinégéniques. À l’approche des grandes vacances, on a eu envie de classer, subjectivement, les meilleures scènes de cinéma à bord d’un train. Que l’action se situe entièrement sur les rails ou que le voyage soit temporaire, voici celles qui nous ont bercés ou fait rire, voyager ou rêver. Prenez garde à la fermeture automatique des portes, attention au départ !
Le train sur l’eau du Voyage de Chihiro
Voyage dans le voyage, le train à sens unique en direction de la gare “du fond du lac” qu’emprunte la petite Chihiro est le plus poétique de tous les trains du cinéma. Accompagnée du hamster, de la mouche et du Sans visage victimes de la sorcière Yubaba, entourée de travailleurs fantomatiques, tristes et absents mais bercée par le piano de Joe Hisaishi, elle semble survoler la mer tandis que défilent des paysages dignes d’une peinture romantique.
À l’intérieur de ce wagon, objet de notre quotidien, le récit retrouve un peu de réalisme et c’est dans ce train sans retour possible qu’elle a emprunté seule que le voyage de Chihiro prend fin. Elle a grandi et, contemplative, elle fixe l’horizon, symbole du futur. Par cette célèbre scène du train, Hayao Miyazaki offre au spectateur un moment de poésie délicate qui apaise le rythme très enlevé de son récit et suspend le temps durant trois minutes de pure mélancolie.
Le train bruyant de Nos jours heureux
Pilier de la comédie française, le deuxième film du tandem Toledano et Nakache s’ouvre gare Montparnasse à Paris. En une séquence ferroviaire de pure régalade, les réalisateurs posaient les bases de leur récit. Tour à tour, les petits et grands protagonistes du film nous sont introduits et c’est par le biais de ce vieil Intercité que leurs principaux traits de personnalité, sur lesquels se construira tout le comique du film, sont esquissés. Parents anxieux, enfants survoltés et animateurs dépassés, on rit déjà beaucoup.
En se remémorant à notre micro leurs souvenirs de tournage, Éric Toledano et Olivier Nakache déclaraient qu’au cinéma, “les trains, les enfants et les animaux sont les plus difficiles à filmer”. Dans Nos jours heureux, ils cochaient deux cases sur trois, et ce, pour notre plus grand bonheur.
Le train romantique de Before Sunrise
C’est un voyage en train en direction de Vienne qui sera le théâtre du coup de foudre amoureux entre Céline et Jesse dans le premier volet de cette trilogie romantique en temps réel, devenue aussi précieuse qu’intemporelle. Une rencontre amoureuse supposée éphémère qui faisait la part belle à la parole dans des dialogues sur la vie, la mort et l’amour, tantôt profonds, souvent innocents, écrits par Julie Delpy et Ethan Hawke dans la fleur de leur vingtaine.
Le premier volet de ce film fleuve a été tourné au jour le jour et dans l’ordre chronologique, chaque week-end étant consacré à travailler le script de la semaine suivante. Au final, vingt-cinq jours, 2,5 millions de budget et de nombreux allers-retours entre Vienne et Salzbourg suffiront à mettre en boîte cette œuvre de jeunesse, sur les idéaux et les questionnements inhérents à cette période si particulière.
Le train couchettes de Compartiment numéro 6
“Ce n’est pas où tu vas l’importance quand tu fuis, mais d’où tu pars.” C’est en méditant cette citation et au son de “Voyage voyage” de Desireless que Laura, une jeune Finlandaise, va embarquer à bord d’un train en direction de la région de Mourmansk en Russie, pour un road trip glacial. Le voyage en compagnie de son colocataire de wagon, un jeune homme porté sur l’alcool et à l’hygiène douteuse, s’annonce long et inconfortable. Mais, au fur et à mesure de leur périple, leur relation va s’apaiser et ira là où on ne l’attend pas.
De Moscou à Saint-Pétersbourg, de leurs discussions à leurs dîners en tête à tête dans un wagon-bar qui a plus de charme que ceux de nos Ouigo, les échanges entre ces protagonistes que tout oppose illustrent comment les voyages nous ouvrent l’esprit. Même à bord d’un tout petit compartiment cracra, les rêveurs y trouveront leur compte.
Le train coloré d’À bord du Darjeeling Limited
Certainement pas le meilleur de Wes Anderson, mais une nouvelle intrigue familiale compartimentée après l’hôtel de La Famille Tenenbaum et le bateau de La Vie aquatique, où voyage et dépaysement sont eux aussi au rendez-vous. Respectant la bien connue méticulosité du réalisateur, le train qui accueille la fratrie Whitman, disloquée et en quête spirituelle, est un véritable train reconstitué qui, pour les besoins du tournage, circula en grande majorité dans le désert du Rajasthan, excluant un tournage en studio malgré toutes les difficultés logistiques inhérentes à un tel exercice.
Du train alliant le style indien et le luxe d’un Orient-Express – où tout a été fait à la main dans la plus pure tradition indienne – aux bagages des trois frères conçus par Marc Jacobs, le voyage à bord du Darjeeling Limited tout droit sorti de l’imagination débordante de Wes Anderson est un régal pour les yeux.
On pourrait continuer la liste des trains mythiques du cinéma à l’infini – du Poudlard Express au Pôle Express, du Snowpiercer au Dernier train pour Busan, du train métaphorique de La Mort aux trousses à celui ingénieusement filmé d’Incassable –, mais on a nous aussi un train à prendre !