Le mois de juin 2020 a été synonyme d’angoisse et de colère pour Juliette Mottier. L’artiste découvre qu’un de ses nudes et son compte Instagram circulent dans un groupe Telegram de 10 000 personnes. “Je me suis renseignée et battue pour faire supprimer ce groupe, mais il en existe plein d’autres et je ne suis pas la seule à avoir subi ce genre d’agressions”, nous confie-t-elle.
À voir aussi sur Konbini
Face à cette injustice, elle décide, dans le cadre d’un projet d’école, de débuter une série de dessins sur le “nude féminin”, en proposant sur les réseaux sociaux à des femmes “de tout âge, toute origine, toute morphologie” de “redessiner les nudes” qu’elles voudraient bien lui envoyer. “Le revenge porn est un terme connu qui définit le fait de poster du contenu à caractère sexuel ou évoquant de la nudité sans le consentement de la personne concernée, en guise de vengeance. Seulement, dans ce cas, et dans bien d’autres, il n’y a aucun désir de vengeance, seulement la volonté de nuire ou d’objectifier la femme, et de créer un espace des plus glauques où figurent, comme dans un catalogue, des nudes, des discussions, des photos ou vidéos liées aux comptes Instagram de plusieurs femmes. Ce qui mène à de nombreuses demandes par message d’inconnus, qui se permettent parfois de commenter les photos, les stories et d’interagir directement avec la ‘proie’ qu’ils auront pris le temps et le soin de choisir.”
© Juliette Mottier
“Je voulais réunir toutes ces femmes et leur dire qu’elles n’étaient pas seules”
Derrière ce projet, Juliette Mottier voulait “dédiaboliser le nude”, “déculpabiliser les femmes” et “créer un espace sûr” pour toutes les personnes qui “aiment prendre des photos de leur corps et les partager ou pas”. “Car aux yeux de la société, c’est la femme présente sur la photo qui est jugée comme allumeuse, sans jamais se demander quelle est la violence subie par la victime qui s’est fait voler, trahir, abuser. Le véritable coupable, l’agresseur, lui, agit dans l’ombre, à l’abri de tout jugement”, explique l’étudiante qui dénonce les violences sexistes et sexuelles à travers son travail.
Avec bienveillance, l’artiste invite les femmes à se “réapproprier leur corps”, sous ses coups de feutres “spontanés”. Sans grands artifices, ce sont plus de 250 nudes qu’elle a redessinés dans le cadre de son projet aux couleurs vives. “La couleur apporte pour moi de la vie et de la positivité”, commente l’artiste qui refuse de vendre l’intimité de ses sujets à des galeries d’art intéressées. Les participantes ont pu s’exposer sans craindre les commentaires grossiers et sexualisants.
© Juliette Mottier
“Le fait de dessiner directement au feutre était aussi important pour moi afin de représenter l’aspect momentané que l’on peut retrouver dans la photographie, notamment lors d’un échange de nudes. Le fait de les redessiner ajoutait un filtre, l’art rend la nudité politiquement correcte. Ce que la société voit n’est plus ‘une vulgaire photo d’une femme dénuée de principes qui s’expose au monde comme un objet érotique’, ça devient de l’art”, nous explique-t-elle.
Toutes ces œuvres ont ensuite été rassemblées dans un carnet pour “rendre hommage à ces femmes qui ont le courage, malgré les risques, de se mettre à nu parce qu’elles le désirent et d’échanger ces photos si elles en ont l’envie”. “Je voulais réunir toutes ces femmes et leur dire qu’elles n’étaient pas seules, que ce n’est pas une honte, qu’elles ont le droit de faire ce qu’elles veulent de leur corps”, revendique-t-elle en rappelant que “la femme nue dans le monde de l’art est pourtant un grand classique, un grand paradoxe de notre société”.
© Juliette Mottier
Pour enrichir ce carnet et afin de refléter une grande diversité de profils, Juliette Mottier a demandé à des anonymes (qui ne voulaient pas forcément lui envoyer de nudes) de lui envoyer des textes, récits et poèmes autour de leur rapport à la nudité. Certaines voyaient le nude comme une “libre disposition de soi” et comme “un élan de désir irrépressible”.
D’autres lui partageaient le fait que les nudes ne les excitaient absolument pas et rappelaient des règles indispensables : il faut qu’ils soient volontaires, consentis et non forcés. “J’ai réalisé ce projet après avoir été utilisée, exposée et mise en scène sur ces groupes Telegram. Il me semblait donc ironique de dénaturer, exposer ou, pire, commercialiser le rendu final de cet hommage”, conclut Juliette Mottier.
© Juliette Mottier
© Juliette Mottier
© Juliette Mottier
© Juliette Mottier
© Juliette Mottier