Pour dompter la douleur sourde de l’endométriose, Yaziame crée des œuvres cathartiques

Pour dompter la douleur sourde de l’endométriose, Yaziame crée des œuvres cathartiques

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© Yaziame

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Par Lise Lanot

Publié le

L’artiste a trouvé grâce à l’art "une manière d’être active face à la douleur qui se trouve au creux de [ses] entrailles".

Comment donner une présence au corps dans la création artistique, sachant qu’il est déjà difficile de l’appréhender au quotidien ? Comment donner une présence au corps, d’autant plus quand ce dernier porte en lui une souffrance ? Comment représenter “le corps féminin”, quand celui-ci a “trop longtemps été perçu dans l’histoire de l’art comme objet de désir [et] n’a que très peu été représenté dans son intimité biologique et pathologique” ? Ces questions, l’artiste Yaziame y répond grâce à un projet cathartique, intitulé Remain Silent, Hear Me Out, pensé en collaboration avec Chaymae, spécialisée dans le marché de l’art contemporain.

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C’est la cohabitation de longue durée de Yaziame avec la douleur, avec une maladie chronique diagnostiquée au bout de “douze ans d’errance médicale”, son endométriose, qui a initié son besoin de donner corps à l’indicible, à ce qu’elle pouvait difficilement mettre en mots et ce qui était difficilement audible par les médecins.

© Yaziame

C’est un “projet qui donne matière à réfléchir sur la force violente d’un corps malade et les conséquences que celle-ci peut avoir sur la création de sa propre identité et dans la construction d’une vie”, détaille la photographe qui a été forcée à l’introspection et la solitude à cause de son endométriose : “Longtemps isolée avec ma propre douleur, je voulais pouvoir penser et créer avec des personnes qui ressentent aussi cette douleur dans leur propre corps.”

“Je me souviens du visage du médecin m’expliquant ce que j’avais depuis mes 14 ans. Moi, étant devenue une grande dame maintenant, assise devant elle, j’ai paradoxalement ressenti une grande joie ce jour-là. Comme si connaître le nom de ce qui habitait une partie de mon corps, dix jours par mois, et psychiquement trente jours par mois me rendait heureuse. C’était avoir un visage sur ce colocataire que je pensais alors jusqu’ici halluciné.

J’ai cru devenir folle, mais je ne l’étais pas, c’était bien ici, caché, au fin fond de moi. Une envie d’utiliser le corps comme médium, lui qui m’utilise comme terrain de je(u). C’est durant une crise, que j’ai eu cette envie de ne plus juste la subir passivement mais aussi de la penser, activement. C’est une manière pour moi d’être active face à la douleur qui se trouve au creux de mes entrailles.”

“Pétrir la douleur en retour”

Pour se guérir et guérir celles et ceux qui souffrent d’une douleur sourde, que l’artiste a imaginé des œuvres protéiformes : des photographies, “grandes, symbolisant l’infiniment grand et la place importante de cette maladie dans le corps des personnes menstruées” ; des cadres en céramique, “minuscules, symbolisant l’infiniment petit, le tabou et cette pathologie invisible de l’extérieur” ; et enfin, une “œuvre collective en céramique pétrie” par le public venu visiter son exposition. Les visiteur·se·s avaient la liberté d’y laisser “leurs empreintes et leurs douleurs” puisque, tel que s’interroge Yaziame : “Cette douleur qui nous pétrit le corps, ne pourrions-nous pas la pétrir en retour ?”

Le projet est une “ode à la fragilité, la fragilité d’une âme face à la violence d’un corps”. Il donne corps à la douleur et permet une réappropriation de son corps et de ses sensations en même temps qu’il interroge les failles itératives de l’écoute médicale face à certaines voix et/ou symptômes et ses conséquences physiques et psychologiques.

© Yaziame