Sorti depuis quelques mois de prison, le rappeur porte en lui le poids de nombreuses souffrances. Force et Honneur, son nouvel album, véhicule un message sincère et bat déjà des records de streaming. L’artiste lève le voile et aborde son quotidien en prison, son obsession pour la rue et son amour pour la musique.
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Un nouvel album et un nouveau record battu. Si Lacrim voulait revenir en toute discrétion, c’est raté. Force et Honneur, sorti le 31 mars, a comptabilisé pas moins de 2 378 231 streams réalisés en une journée. Il a ainsi dépassé PNL, et vient de devenir l’album le plus écouté sur Deezer. Comme les petits bonheurs n’arrivent jamais seuls, l’album est déjà disque d’or.
Sa réaction ? Un immense sourire et une fierté déconcertée. “Je suis super content, ça montre qu’il y a des gens loyaux qui aiment ma musique et je les remercie car sans eux je ne suis rien”, déclare-t-il en faisant référence à ceux qu’il appelle “les Chappas”. Ce nouvel opus faisait pourtant douter plus d’un. Un mois et demi pour écrire et enregistrer un album…
Sorti de prison le 28 novembre, après un an de détention, Lacrim n’avait qu’une envie : se remettre à la musique. Après avoir chéri sa famille, il a enchaîné écriture et studio. Si le rappeur est passé à la vitesse supérieure c’est parce qu’il en avait gros sur le cœur.
Prison et paternité
En prison, il écrivait pour oublier son quotidien, enfermé entre quatre murs et loin de ses proches. “Je ne restais pas en place, j’essayais de m’occuper au maximum. Alors je rédigeais des textes, je faisais du sport et je m’ouvrais à d’autres choses, comme le théâtre”, confie-t-il. Un nouvel art qui suscite d’ailleurs son intérêt et lui rappelle de bons souvenirs : “Nous étions les propres acteurs de la scène. On jouait des gens en réinsertion. Ils avaient tous un passif et devaient s’améliorer pour être acceptés dans la société.” Mécanicien, braqueur, fils de riche… Tous avaient un rôle et une mission. Un exercice vraiment “enrichissant et mené par des intervenants extraordinaires”, admet Lacrim.
Si les détenus cherchent à remplir leurs journées au maximum, il arrive forcément un moment où ils se retrouvent seuls, face à leurs pensées – des images qui taraudent l’esprit et qui questionnent. Si à l’extérieur Lacrim est l’un des rappeurs français les plus populaires, en prison il est Karim Zenoud, 31 ans, incarcéré pour possession d’arme. Il est aussi le père d’une petite fille qu’il rencontra pour la première fois au parloir, face à une vitre. “À quoi pouvait-elle ressembler ?”, se demandait-il.
Lorsqu’on lui demande ce qu’il a ressenti la première fois qu’il l’a vue, Lacrim ne répond pas. Il cherche ses mots. Ses yeux brillent. “C’est inexplicable, incroyable, beau. J’avais mon enfant devant les yeux. C’était enfin palpable. Mon visage était crispé”, avoue-t-il. “Après, j’ai vu son évolution, je la voyais chaque semaine”, renchérit-il comme pour masquer une émotion qu’un homme fort ne s’autorise pas.
En prison, il fait l’une des “meilleures rencontres” de sa vie
Un petit moment de bonheur et il était déjà l’heure d’y retourner. Là-bas, le rappeur se voulait comme tout le monde : “J’étais un détenu qui purgeait sa peine. Comme les autres.” Simple, accessible, ouvert… C’est de cette façon qu’il décrit Karim, l’homme qu’il est vraiment. La même personne qui lui a permis de faire la rencontre de Mohammed, l’un de ses codétenus. “C’est l’une des trois meilleures rencontres de ma vie”, révèle-t-il.
Lacrim rajoute : “Si je suis sorti stable, c’est à 80 % grâce à lui. J’ai puisé en lui de précieux conseils et il est devenu pour moi un véritable ami.” L’artiste a tissé des liens solides avec cet homme, plus âgé que lui, qui l’a pris sous son aile lorsqu’il en avait le plus besoin. Mohammed a encore de longues années à passer en prison, mais pas un jour ne passe sans que le rappeur ne prenne de ses nouvelles.
Pour ne rien oublier, Lacrim s’est empressé d’ouvrir son cœur à son public dans Force et Honneur. La cover résume bien son état d’esprit : fort malgré les obstacles. L’artiste se tient assis sur une chaise, le dos droit, dans une salle dévastée. Dans ce chaos, on trouve un cadre, penché mais intact, avec la photo de ses enfants. Il prend le temps de la détailler : “Le cadre est en bascule car il y a des dommages collatéraux quand papa est absent, mais intact car ils représentent le soleil de ma vie et je les protège.”
Un album dans lequel il s’est entouré notamment de Booba – sur “Oh bah oui” – “parce qu’il apprécie beaucoup [son] travail”. On retrouve également SCH, Brulux, Rimkus et Ghalib. Ce qui compte pour lui, c’est l’authenticité. Le rappeur n’a rien à cacher à ses Chappas et beaucoup à leur confier. Il se dit loin des artistes qui chantent pour plaire : il rappe pour transmettre son message.
“La musique m’a sauvé de la rue”
Lacrim décrit la musique comme celle qui l’a sauvé, en l’éloignant de ses mauvais penchants. Quand il revient sur son adolescence dans le 94, il se remémore à quel point la rue l’appelait : “J’avais entre 13 et 16 ans, je partais toujours en cachette la nuit pour aller dans le quartier.“ Ses parents étaient sans cesse à ses trousses. Que pouvait faire un adolescent dehors la nuit ? Il comprenait leur désarroi quand il se faisait réprimander à 2 heures du matin.
Pourtant, cela ne l’empêchait pas d’escalader la fenêtre deux heures plus tard. Encore aujourd’hui, il ne comprend pas l’engouement que lui provoquait la street : “C’est inexplicable. C’est un peu comme quand tu aimes quelqu’un qui te fait du mal à en mourir. Tu fonces quand même car, au fond, t’aimes ça.”
Cet amour pour la cité, il essaye de le transmettre à bon escient, en vain. Il a contacté la mairie de Chevilly-Larue afin de financer des aménagements pour les jeunes mais son aide n’a visiblement pas été bien reçue : “Je n’ai pas été compris. Elle m’a donné des excuses, c’est vraiment dommage.”
Lacrim veut faire le pont entre les petits de son quartier et l’État. “On a besoin d’être considérés et encouragés”, lâche-t-il. Malgré une carrière musicale qui lui permet de très bien vivre sa vie, il dit encore “on”. “Pour moi, je suis au même niveau qu’eux, car on a vécu les mêmes choses”, se justifie Karim.
Si les cités sont beaucoup critiquées, elles sont pourtant marquées par une solidarité et une entraide inégalable entre ses habitants. C’est la galère qui provoque ça ? “Clairement, oui”, répond Lacrim avant de renchérir : “Parfois je me lie d’amitié très vite avec des gens car on a partagé les mêmes choses, on a des points communs, on a l’impression d’avoir vécu les mêmes problèmes au même moment.”
Père, mari et citoyen
Après tous ces obstacles, Lacrim ressent un besoin de stabilité, d’être entouré des siens. Trois ans et demi en Espagne, cinq à Marseille, de nombreux voyages… Au-delà d’un bracelet à la cheville qu’il doit garder encore trois mois et demi, l’artiste dévoile une réelle volonté de se poser. Devenir un papa et un mari à temps plein, c’est peut-être tout ce dont il avait rêvé.
Fan de cinéma et de la série Narcos, le rappeur s’est également découvert une nouvelle passion : la réalisation d’une websérie. “On avait à cœur de bien faire, c’était un réel challenge pour mon équipe et moi-même”, explique-t-il. En tant qu’acteur, il joue la carte de l’entière transparence, pour le plus grand plaisir de son public.
Acteur dans sa série Force et Honneur, il est aussi un vrai citoyen. À l’approche des présidentielles, il attend des candidats de réelles propositions : “Nouvelles ou anciennes idées, ce que veut le peuple c’est surtout que les promesses soient respectées.”
Force et honneur est sorti le 31 mars.