Après celles du Bataclan, l’Australienne fera vibrer les planches du Casino de Paris le 7 novembre avec son nouvel opus, Tell Me How You Really Feel.
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Affalée sur le canapé de sa loge, Courtney Barnett semble épuisée. En pleine promotion de son deuxième album solo – Tell Me How You Really Feel, sorti le 18 mai dernier –, l’artiste australienne enchaîne les dates d’une tournée bien chargée. On culpabiliserait presque de lui voler encore un peu de son temps… Mais ce serait oublier que la chanteuse est aux antipodes de la diva. “Je me sens juste tellement chanceuse de pouvoir partager et promouvoir ma musique à travers le monde”, rassure-t-elle. “Je n’avais jamais vraiment voyagé avant.”
L’avant ? C’était à l’autre bout du monde, dans la banlieue de Sydney. Installée dans la chambre de son grand frère – alors en charge de son éducation musicale – la jeune Courtney Barnett découvre le rock à travers les albums de Jimi Hendrix, No Doubt et Nirvana. Elle mimera d’ailleurs Kurt Cobain en jouant de la guitare à gauche, mais singularisera ce choix en adoptant la technique du picking [plus traditionnellement répandue dans le blues et la country, ndlr].
Une caractéristique qui attisera notamment l’attention de la presse internationale en 2013, tombée sous le charme du son garage et mélancolique de ses EP, puis de son ode aux 90’s Sometimes I Sit and Think, and Sometimes I Just Sit (2015). Avec Tell Me How You Really Feel, deuxième opus au style brut où elle se livre à vif, Courtney Barnett s’impose comme la digne héritière du rock… à l’heure où s’y frotter est presque un parti pris.
L’humilité comme vertu
Quand on lui demande si son mode de vie est aussi rock’n’roll que sa musique, l’artiste sourit. “Pas vraiment ! Je suis même de plus en plus chill. Il faut dire que je suis une grande fille maintenant… Enfin, en quelque sorte [rires].” À presque 30 ans aujourd’hui, Courtney Barnett continue de ponctuer chacune de ses phrases par un “I don’t know…” prudent. Entrecoupées d’hésitations, ses réponses laissent entrevoir la difficulté de la chanteuse à trouver ses mots, et au-delà, la finesse de ceux qui se remettent perpétuellement en question.
“Grandir, c’est un processus d’apprentissage constant. Même si j’imagine savoir plus et mieux qu’hier, j’ai toujours l’impression de ne rien savoir vraiment…”, avoue-t-elle.
Femme-enfant désarmante, l’autrice-compositrice-interprète conserve la discrétion – pour ne pas dire “timidité” – des habitués de l’ombre. Aux prises de “crippling self doubt and a general lack of confidence” [“doutes paralysants et un manque de confiance généralisé”], décrit sur la chanson du même nom, elle appréhende sa musique comme le moyen de s’ouvrir à “ces autres” qui l’impressionnent et surmonter ainsi sa phobie sociale.
“Avant, l’essentiel de mon énergie était dépensé en stress. Mon seul objectif était de réussir à monter sur scène et aller au bout du concert… Aujourd’hui, j’arrive enfin à apprécier l’exercice. J’ose même regarder les gens dans la foule. C’est cool de les voir ressentir quelque chose… ou rien du tout d’ailleurs ! [Rires]. J’aime aussi l’idée qu’ils oublient simplement leur routine.”
L’écriture comme thérapie
En mélomane invétérée, Courtney Barnett considère les concerts comme “le meilleur moyen de se changer les idées”… mais rappelle que l’exutoire ne doit pas devenir le complice d’une fuite plus grande.
“L’idée est de trouver un équilibre entre le ressenti et l’oubli”, préconise la jeune femme, elle-même souvent rattrapée par les coups de blues. “Mais pour oublier ses problèmes, il d’abord faut les affronter. Écrire cet album m’y a contrainte : j’ai dû faire face à ce que je ressentais et que je n’osais pas m’avouer.”
Tell Me How You Really Feel se révèle ainsi le fruit d’un exorcisme particulier que la regrettée Carrie Fisher préconisait ainsi : “Take your broken art, turn it into art” [ses mots résonnent d’ailleurs sur le titre “Hopefulessness”, ndlr]. Œuvre introspective d’une rare honnêteté, ce deuxième album pose une parole libérée — parfois enragée — sur des lignes de guitare électrique.
Si ses mots sont personnels, ses maux, eux, ont une résonance universelle. Quand on lui demande ce qui peut atteindre son moral, Courtney Barnett trahit un altruisme sincère. “Être conscient de la souffrance et de l’inégalité dans le monde devrait suffire à nous déprimer, non ?” On ne peut qu’acquiescer.
Encouragée par le processus cathartique de l’écriture et bien décidée à dépasser le concept d’individualité, l’artiste melbournoise crée le projet participatif “Tell Me How You Really Feel” [comprendre, “Dis-moi ce que tu ressens vraiment”] en résonance avec son album éponyme : sur son site officiel, elle invite ainsi les internautes à répondre à cette question, rarement posée car injustement perçue comme trop intime.
Des innombrables messages de solitude qui y défilent aujourd’hui, la jeune femme tire un constat alarmant : “Tout le monde devrait pouvoir parler, mais on oublie vite que tout le monde n’en a pas la capacité, ni même la possibilité”. En créant une communauté au-delà des frontières géographiques, Courtney Barnett porte un message nécessaire – presque politique – sur la dépression. Une maladie toujours minimisée dans de nombreuses sociétés, et ce malgré son étendue.
“En Australie, heureusement, on sent un véritable effort de normalisation sur la dépression. On évite d’appréhender les individus traversant cet état comme ‘faibles’. Mais il faut surtout une responsabilisation des proches des personnes atteintes, qui doivent être à l’écoute et faire preuve d’empathie.” Elle hésite.
“Un peu à l’image des agressions sexuelles : ce n’est pas aux femmes d’apprendre aux hommes à ne pas être violents. C’est la responsabilité de ces derniers.”
Le féminisme comme flambeau
Oubliée, la retenue du début de l’interview. À l’évocation de la cause féministe, qu’elle soutient sans retenue [elle a signé la lettre ouverte #meNOmore contre le harcèlement sexuel dans l’industrie musicale australienne, ndlr], la chanteuse s’anime.
Dans un milieu carnassier – où les pressions sont aussi nombreuses que les hommes mal intentionnés – Courtney Barnett persiste et signe : c’est elle qui donne le la. Elle le scande, même, sur l’explicite chanson “I’m Not Your Mother, I’m Not Your Bitch”. “Chaque homme avec qui je travaille sait que c’est mon projet et que je le fais comme je veux”, affirme l’artiste, codétentrice du label “Milk! Records” avec sa compagne [la musicienne Jen Cloher, ndlr].
Admirative des figures indépendantes, à l’image des très respectées Patti Smith et PJ Harvey, elle s’émancipe elle-même fièrement des diktats purement féminins du maquillage et de l’épilation. Une prise de position progressiste, qui ne l’a pourtant pas empêchée de tomber parfois dans les traditionnels écueils de la société patriarcale.
“Les dernières années, j’ai pris conscience de mon attitude et ça m’a rendue dingue, parce que j’avais l’impression d’aider les hommes à prendre leurs aises”, explique la musicienne, qui retranscrit cette culpabilité sur le morceau “Charity”. “J’ai appris à ne plus les excuser, à ne plus m’excuser. Mais j’apprends encore. Je n’ai probablement pas réalisé tout ce qu’il reste à changer. On a accepté tellement…”, se désole-t-elle.
Au cœur d’une lutte aussi considérable que celle enclenchée par #MeToo, l’art – en ce qu’il “permet d’aborder les sujets inconfortables, sans crainte ni concession” – devient une arme majeure. Vecteur d’histoires et de prise de conscience, il attribue à chaque artiste une responsabilité particulière : celle de dénoncer.
“Quand beaucoup considèrent encore les femmes comme des nuisances, ouvrir le dialogue est difficile… Particulièrement avec nos amis masculins, qui ne se reconnaissent pas dans les comportements déviants. Mais c’est cette récalcitrance à la communication qui retient toute avancée. Et après tout, existe-t-il vraiment meilleure nuisance ?! [Rires].”
Lorsque l’on s’enquiert enfin de l’avenir de sa carrière prometteuse, la guitariste ne déroge pas à la simplicité qui la caractérise.
“Le succès n’était même pas un rêve, puisque je n’osais même pas l’imaginer. Donc tout ce qui m’importe, c’est de continuer à faire des albums et des tournées, à expérimenter, apprendre, grandir et voyager. Je suis juste curieuse de voir ce qui va arriver.”
Difficile de lui en vouloir de naviguer à l’aveugle, elle qui n’a visiblement toujours pas réalisé ce qui lui arrive et s’étonne encore de voir des foules à ses concerts. Et si ce syndrome de l’imposteur fait qu’elle doute de l’intérêt qu’on lui porte, Courtney Barnett peut se rassurer : il est tout, sauf passager.
L’artiste australienne sera en concert au Casino de Paris le 7 novembre 2018. Son album Tell Me How You Really Feel est disponible depuis le 18 mai 2018.