La guerre à distance entre les rappeurs 404Billy et Benjamin Epps a réveillé une vieille tradition du rap, disparue depuis plusieurs années en France : le disstrack. Cette pratique vise à créer un morceau uniquement destiné au clash d’une, voire de plusieurs personnes et c’est aux USA qu’elle a pris racine et s’est largement exportée. On pense notamment à l’immense clash “Hit ‘Em Up” de 2Pac, morceau considéré comme LA référence en matière de disstrack ou diss song.
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404Billy et Benjamin Epps se réapproprient la pratique du disstrack à une époque où ce n’est clairement plus vraiment la mode. Les deux artistes avaient pourtant collaboré sur le morceau “88 %” en 2021. C’est après que les choses se sont envenimées, premièrement aux détours d’une phrase dans un morceau, puis sur Twitter/X, menant ensuite au projet de Benjamin Epps en décembre 2023, READY FOR WAR, dans lequel il lance plusieurs phrases pouvant être analysées comme des attaques cinglantes à 404Billy, notamment sur les morceaux “PICASSO” ou encore “BON VOYAGE”. À la suite de cet épisode, 404Billy rétorque avec un disstrack nommé “La Plus Grande Des Illusions”, en référence à l’album de Benjamin Epps.
Depuis plusieurs années, les réseaux sociaux se sont emparés du terrain des clashs dans le rap, laissant la musique au second, voire au troisième plan quand il s’agit de “s’attaquer”. Même si, dans les morceaux actuels, les clashs et piques sont toujours présents, c’est habituellement dans un texte rempli d’allusions et donc difficile à véritablement cerner ou au détour d’une phrase qu’ils sont évoqués. “Sport Billy”, dernier morceau de Booba, est un exemple de l’évolution des clashs musicaux. Le rappeur fait plusieurs fois référence à ses différends, avec Vald ou Damso par exemple, sans que cela soit central dans le titre.
Va-t-on voir plus de disstracks dans le rap français ?
Fini les clashs sur les réseaux ? Booba va sortir un son de 25 minutes pour revenir sur toutes ses embrouilles ? Alors non, on n’en est pas encore là et ça n’arrivera sûrement jamais. Même si 404Billy a bien lancé les hostilités, on a pu voir que du côté de Benjamin Epps, loin d’être avare en clash habituellement, le mood était plutôt sur la retenue. La cover utilisée par 404Billy pour illustrer le disstrack s’est rapidement vue enlever des réseaux sociaux tandis que le morceau a carrément été supprimé des plateformes de streaming. Une réaction pas vraiment à l’avantage de la multiplication de ce genre de contenu qui demande la participation active et consentante des deux parties pour réellement exister et avoir un impact.
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Mais qu’est-ce qui a changé depuis les derniers disstracks ? Beaucoup de choses. Cette mode est peut-être, pour beaucoup, passée, n’étant plus réellement du goût des artistes pour différentes raisons. L’arrivée massive des réseaux sociaux et la multiplication de ses acteurs ont également pu jouer un rôle dans le ralentissement du disstrack dans le rap.
Plus simple, moins contraignant qu’un morceau complet qui demande une énergie bien plus conséquente, clasher sur les réseaux sociaux règle pas mal de problèmes mais modifie largement la face du clash dans le rap français, pan symbolique de la culture du Hip-Hop (rap contenders…). Eh oui, l’opinion publique a pris de la place et les enjeux autour des clashs musicaux aussi, dissuadant certainement de rentrer dans ce jeu dangereux du diss song.
Si retour du disstrack il y a, disparition du clash interposé sur les réseaux sociaux il n’y a pas. En se penchant à nouveau sur l’exemple 404 VS Epps, on voit bien que le premier dévoile un disstrack, mais également un clash sur les réseaux puisqu’il a publié une vieille version d’un morceau où l’on entend Benjamin Epps chantonner sur du RnB, un registre inédit pour le rappeur qui a finalement plutôt plu aux internautes.
Même s’il est difficile d’analyser précisément le rôle joué par les réseaux, il est évident qu’ils ont été importants dans la disparition quasi totale des disstracks. La réponse, attendue par beaucoup, de Benjamin Epps pourrait venir bouleverser l’ordre établi, reste à savoir s’il souhaite, ou non, lancer la partie de son côté.