Konbini| Vous avez une carrière qui est immense. Mais il y a quelque chose que vous n’avez pas énormément fait, c’est des films qui racontent des histoires vraies ou simplement des personnages vrais. J’étais curieux de savoir comment vous approchez ces rôles-là. Quand vous avez ce scénario qui vous tombe dans les mains, qu’est-ce qui vient d’abord ? Est-ce que c’est la peur de représenter quelqu’un et l’importance d’une histoire vraie ou en même temps un personnage qui est juste fort ?
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Isabelle Huppert | Moi, ça ne change rien du tout. Que ce soit une histoire vraie ou une histoire fausse. Absolument rien. Non, c’est vrai que des personnages, des histoires vraies, j’en ai joué quelques-uns, comme Violette Nozière, c’était une histoire vraie. Sinon j’ai joué des personnages qui pouvaient être inspirés de la vie des gens. Coup de foudre, par exemple, de Diane Kurys, qui est inspirée de mère de sa mère.
Mais que ça soit vrai ou faux, c’est toujours vrai de toute façon. C’est-à-dire que la fiction, on y croit. Peut-être même plus qu’une histoire. Parce qu’une histoire vraie, là, on se dit que c’est tellement invraisemblable qu’on n’y croit pas. Donc on y croit plus comme fiction puisque, comme on dit, la réalité dépasse la fiction, donc on n’y croit pas. Alors que, au cinéma, peut-être qu’on va y croire.
Et sur ce film-là ?
On a très vite décidé d’emprunter à la réalité l’aspect physique du personnage. Même si c’est une histoire vraie, comme on dit, souvent, on fait beaucoup d’efforts pour eux pour imaginer un personnage. On se dit qu’elle va être brune. Est-ce qu’elle va être blonde ? Est-ce qu’elle va s’habiller en pantalon ? Est-ce qu’elle va mettre des robes ? Est-ce qu’elle va mettre des talons, des chaussures ? Bref, là, en l’occurrence, on n’a fait aucun effort. On s’est dit qu’on allait s’inspirer exactement de ce qu’est Maureen Kearney qui, elle-même, par rapport à ce qu’elle est au monde qu’elle est censée représenter, représente une sorte de fiction. Elle ne ressemble pas du tout à l’idée qu’on se fait une syndicaliste.
Donc, on a énormément emprunté à cette réalité avec Jean-Paul Salomé et, à partir de là, mon imaginaire pouvait se déployer très librement. C’est au fond aussi par l’imaginaire qu’on rejoint le plus la vérité, parce que la vérité de cette histoire, c’est quoi ? C’est la double peine. C’est d’abord ce combat qu’elle décide de mener pour sauver l’emploi de 50 000 personnes dans la société pour laquelle elle travaille, qui est liée au nucléaire. Mais dans un deuxième temps, c’est la suspicion dont elle est victime puisqu’en gros, on ne la croit pas, on croit qu’elle a tout inventé et là, évidemment, ce qui est intéressant, c’est de faire croire un peu à ce mensonge dont elle est victime parce qu’il ne repose pas sur rien.
C’est intéressant ce que vous disiez sur “trouver l’allure de votre Maureen Kearney”. C’est important pour vous de savoir à quoi votre personnage va ressembler avant de pouvoir imaginer comment elle est, comment elle va pouvoir interagir avec les autres et parler ?
Oui, ce sont les premiers indices qu’on donne au spectateur, c’est essentiel. C’est pour ça que le travail d’un costumier ou d’un maquilleur, de tous les gens qui composent l’aspect extérieur du personnage, est vraiment très important. Bien sûr, ce n’est pas innocent. La manière dont vous vous habillez, ce que vous donnez à voir au spectateur, les couleurs que le personnage porte, le fait de porter un seul costume ou plusieurs… Enfin, il y a énormément de choses.
Après, ça se décline, évidemment. Chaque film a sa propre grammaire sur ce sujet, mais c’est essentiel, bien sûr. Là, c’était vraiment une aubaine, parce qu’elle est elle-même un personnage, très cinématographique. Du coup, ça devenait très, très facile.
Quand vous la rencontrez en vrai, ça change quelque chose sur votre approche du personnage ou pas ?
Non, pas du tout. Je l’ai rencontrée deux fois. Je l’ai rencontrée hier, de façon beaucoup plus approfondie, parce que nous avons fait un entretien ensemble. En fait, on ne s’est jamais autant parlé qu’hier. Mais sur le tournage, elle est venue deux fois et elle n’a jamais cherché à être plus présente. Ça n’a pas été un événement pour moi. J’étais heureuse de la rencontrer, mais ça ne m’a pas troublée plus que ça.
C’est intéressant parce que souvent, c’est ça qui fait le plus peur aux actrices et aux acteurs, de rencontrer la vraie personne, de se dire ‘Mince, est-ce que je ne vais pas être assez bon pour elle, est-ce que je vais la décevoir ou pas ?’. En fait, pour vous, c’est raconter une histoire et un personnage avant tout.
Il faut dire que cette histoire est tellement, encore une fois, invraisemblable. Surtout qu’on peut la tordre un peu dans beaucoup de sens. Et au fond, Jean-Paul Salomé ne s’en est pas privé, de sorte que le film n’est pas non plus résumé en un seul genre. On peut dire que c’est un thriller. On peut dire que c’est un portrait de femme. On peut dire que c’est un film politique. En tout cas, c’est ce que j’entends régulièrement. Désormais, on peut dire que c’est tiré d’une histoire vraie. On peut dire beaucoup de choses, mais c’est aussi cette multitude de définitions du film. C’est ce qui fait sa richesse, parce que c’est vrai que le film navigue entre le politique et l’intime. Il y a des tas de strates différentes.
À travers votre carrière, vous avez eu des personnages qui devaient être difficiles à incarner, plus difficile à saisir. Ce n’était pas le cas de celui-là ?
Oui, celui-là, non. Il n’a pas été plus difficile qu’un autre. Non parce qu’au fond, les choses sont plus difficiles quand elles sont plus monolithiques. Là, il y a tellement d’informations, il y a tellement d’ambiguïté, il y a tellement d’ombre et de lumière que ça en devient très facile, parce que ça permet justement une sorte de chose un peu insondable.
Au fond, c’est toute la puissance du cinéma que de donner un visage à quelque chose qui est un peu impalpable. C’est pour ça que le cinéma est ce qu’il est au fond et qu’il nous fascine tous, spectateurs et acteurs. C’est justement qu’il le parfait interprète, la caméra, le cinéma d’un certain mystère, au fond. Ce personnage, cette personne, elle incarne à elle toute seule un grand mystère.
Au fond, le cinéma est très propice à recueillir ce mystère et ça rend la chose assez facile pour l’interprète.