Entre le “non-dit” d’une époque où le viol était tabou et le “trop-dit”, Amélie Nothomb cherche et trouve sa voie dans son roman publié mercredi, qui pivote autour de cet épisode crucial dans sa vie. Psychopompe, aux éditions Albin Michel, est le 32e titre de la célèbre Belge. La routine ? Non, un traumatisme au contraire. “Je le mesure à mon angoisse. Nous sommes la veille du jour J et je n’ai jamais été aussi angoissée”, explique-t-elle à l’AFP. “Je mets beaucoup, beaucoup de mon intimité. J’ai l’impression de me mettre en danger.”
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Le viol a eu lieu quand elle avait 12 ans, à la fin des années 1970, dans l’océan Indien, au large de Cox’s Bazar, plage du Bangladesh où elle était partie nager. L’épisode est connu. Il est raconté une première fois, de manière assez elliptique, dans Biographie de la faim en 2004. Puis, à l’occasion de la rentrée littéraire d’août 2017, juste avant l’explosion du mouvement #MeToo à l’automne, Amélie Nothomb précise dans un entretien avec Le Monde : “J’ai été agressée sexuellement par quatre hommes. Je ne veux pas m’appesantir sur cet événement qu’il m’a fallu dépasser”.
Motif christique
Psychopompe retrace d’abord l’enfance cosmopolite de cette fille de diplomate. On y sent arriver le récit de l’épisode. Ce n’est plus par le biais de la faim et de la nourriture qu’il est abordé, mais par celui d’une passion pour les oiseaux, née à 11 ans et qui ne s’est jamais démentie. “Je pense que l’oiseau est venu juste à temps et que c’était une prophétie. Que le motif de l’oiseau avait prévu que je devrais passer du côté des Enfers et puis en revenir un jour”, confie l’écrivaine.
Ce motif christique était passé près de lui valoir le prix Goncourt 2019 pour Soif. Mais Amélie Nothomb n’est pas chrétienne : son syncrétisme mêle le shintoïsme de sa petite enfance japonaise, une connaissance extensive de la mythologie grecque et un attrait naturel pour de multiples cosmogonies – y compris celle de l’Occident, darwinienne, qui dit que les oiseaux descendent d’un dinosaure ayant fait le pari fou de battre des bras pour quitter le plancher. Écrire, pour elle, en était un aussi. “Mes parents considèrent les écrivains comme l’élite absolue de l’humanité”, souligne-t-elle. “Si les écrivains sont de tels dieux, au nom de quoi est-ce que j’oserais m’aventurer dans ces parages ?”
“Serré les dents”
La question ne l’a pas quittée. Amélie Nothomb compte que Psychopompe est le 105e roman qu’elle ait écrit, mais seulement le 32e qu’elle publie. Plus de 70, trop faibles à son goût, resteront dans les limbes. Celui qui paraît en cette rentrée a quelque chose d’aussi indispensable que certains de ses récits autobiographiques à succès, Stupeurs et tremblements (Grand Prix du roman de l’Académie française 1999), sur son retour manqué au Japon, ou Premier sang (Prix Renaudot 2021), sur son père.
Quand il s’est agi d’écrire la scène dramatique qui scinde le livre en deux, “c’est sorti d’un jet parce que je voulais en finir. Donc j’ai serré les dents et j’y suis allée”. Sa mère va chercher la jeune Fabienne (son véritable prénom) dans l’océan, la ramène à la plage et lâche : “Pauvre petite.” Puis plus personne n’en parle. “C’était une autre époque. Aujourd’hui, on est dans celle du trop-dit, qui n’est pas mieux”, commente-t-elle. “On était vraiment dans l’époque du non-dit. Donc ils ont vu, et tout ce qu’ils ont manifesté était une gêne colossale.” Au terme d’une grave anorexie et d’années sombres, elle revivra pourtant. Mais à ce moment-là, écrit la narratrice, “la morte, c’était la moi d’avant”.