Du 18 au 28 novembre, sous l’égide du festival Chéries-Chéris, se sont racontés une multitude de récits queers ficelés par les nouvelles voix du cinéma dit “queer”, à travers des longs et courts métrages, mais également des documentaires, qui offrent à la communauté LGBTQIA+ des représentations toujours plus riches et diversifiées. Pour sa 29e édition, le festival a décidé de mettre les petits plats dans les grands avec une programmation remarquable, dont voici nos cinq coups de cœur, à découvrir bientôt en salle ou en VOD pour la plupart.
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Sans jamais nous connaître de Andrew Haigh
Le trailer de cette romance queer entre Paul Mescal et le hot priest de Fleabag, Andrew Scott, nous avait donné très chaud et le meilleur était encore à venir puisque le film est réalisé par Andrew Haigh, l’un des meilleurs lorsqu’il s’agit de parler d’amour gay.
Il y adapte très librement le roman Strangers de l’auteur japonais Taichi Yamada paru en 1987 et a fait appel aux deux acteurs les plus sexy du petit et du grand écran : Paul Mescal – acclamé pour ses performances mélancoliques et bouleversantes dans Normal People et Aftersun et future star du sequel de Gladiator – et Andrew Scott – surtout connu pour son incarnation du célèbre hot priest, le prêtre sans nom qui fait tourner la tête de Phoebe Waller-Bridge dans la série Fleabag.
Ils y incarnent Adam (Scott) et Harry (Mescal), deux voisins qui se rencontrent après s’être mutuellement épiés par la fenêtre de leurs appartements londoniens. À mesure que leur relation romantique grandit, Adam retourne de plus en plus régulièrement dans la maison de son enfance où il découvre que ses parents (Claire Foy et Jamie Bell) – décédés depuis longtemps dans un accident de voiture – sont tous deux vivants et semblent avoir le même âge que le jour de leur mort, il y a plus de trente ans.
Beaucoup de larmes ont été versées devant Sans jamais nous connaître, à la fois pour la beauté de l’alchimie entre les deux acteurs, mais aussi et surtout pour l’imbrication de thématiques douloureuses — l’enfance, le deuil et surtout l’extrême solitude — que le film superpose dans un mille-feuille de rêves qui tourne rapidement au cauchemar.
Sortie France : le 14 février 2024 en salle (mais ne vous attendez pas à une jolie romance de Saint-Valentin).
20 000 espèces d’abeilles de Estibaliz Urresola Solaguren
Il y a tellement de façons d’aborder la transidentité et tout autant de façons de se louper. Heureusement, 20 000 espèces d’abeilles ne fait pas partie de celles-là. Avec son tout premier film de fiction, la réalisatrice espagnole Estibaliz Urresola Solaguren offre à la jeunesse trans un récit rempli d’espoir et de lumière à travers l’histoire de Lucía, huit ans, qui découvre et affirme son identité de genre au cours d’un voyage en famille dans l’écrin de nature du Pays basque.
À la fois tendre sans être niais et sérieux sans être dramatique, le film couvre avec douceur l’éveil et l’affirmation de soi. La transidentité se raconte ici dans tout ce qu’elle peut avoir de vertigineux, surtout si jeune, mais aussi de léger et de profondément humain, à travers le personnage d’une mère à l’amour inconditionnel, mais aussi d’une tante apicultrice à la bienveillance bouleversante.
La présence des abeilles et de l’art sacralisé de l’apiculture tout au long du film offre une jolie toile de fond allégorique pleine de poésie, mais également des scènes mémorables qui démystifient les ruches dans les décors splendides du Nord de l’Espagne.
Au cœur de 20 000 espèces d’abeilles, on retrouve Sofía Otero, actrice de dix ans seulement, qui habite le personnage, au plus près d’elle-même, avec un naturel et une force qui ne laissent pas insensible. Son rôle dans le film lui a d’ailleurs valu de remporter l’Ours d’Argent dans la catégorie Meilleure performance dans un rôle principal à la Berlinale de 2022, faisant d’elle la plus jeune lauréate à remporter le précieux prix. C’est largement mérité.
Sortie France : le 14 février 2024 en salle
Arturo à la trentaine de Martín Shanly
S’il y a une phrase qui résume le personnage d’Arturo, c’est celle de sa mère : “Où que tu passes, passe un tsunami”. Pour son premier long-métrage, le réalisateur argentin Martín Shanly se glisse dans la peau d’un protagoniste maladroit, totalement paumé et profondément attachant pour confronter ses propres crises existentielles et surtout celles qui s’invitent de façon inhérente dans la trentaine.
Quoi de mieux que le mariage de ses potes pour cristalliser les angoisses de la vie d’adulte ? Avec un récit fragmenté qui raconte autant le parcours cabossé d’Arturo que les vices de nos sociétés modernes, Arturo à la trentaine brille d’un esprit pop qui pousse régulièrement au rire, sans jamais rien enlever de l’esprit mélancolique de ce qui s’y raconte. Si on s’amuse à se reconnaître dans certaines scènes, on se retrouve parfois largué face à nos propres microdrames qui se jouent à l’écran avec intelligence.
Le film s’ancre dans le temps par des références humoristiques à la crise du Covid, mais également par un rythme et une structure qui s’inspirent des nouveaux classiques de la fiction “de trentenaire” que sont Fleabag et surtout Julie (en douze chapitres) de Joachim Trier, dont Martín Shanly semble ici offrir une réinterprétation gay et hispanophone. C’est la comédie dramatique idéale pour traverser la crise de la trentaine avec quelques larmes et un gros sourire.
Orlando, ma biographie politique de Paul B. Preciado
Alors qu’il réfléchit à une manière de se raconter au cinéma à travers sa biographie, Paul B. Preciado, écrivain et activiste transgenre, a une révélation : elle existe déjà, et c’est l’autrice britannique Virginia Woolf qui l’a écrite, il y a près d’un siècle. Plus précisément, Preciado fait référence au roman Orlando de l’écrivaine, sorti en 1928, dont l’histoire du protagoniste fait écho à son propre vécu, et qu’il s’essaie à faire converser avec la nouvelle génération trans.
Dans un film documentaire qui s’affranchit des codes du genre (dans tous les sens du terme), l’écrivain réunit 26 personnes trans et non binaires contemporaines, âgées de 8 à 70 ans, pour incarner l’Orlando de Virginia Woolf. Par la même occasion, il dresse un véritable manifeste de la transidentité moderne, et trouve en ces multiples voix des reliefs et des nuances qui déconstruisent le discours actuel sur la transidentité en privilégiant la poésie plutôt que la didactique. Et ça fait beaucoup de bien.
Répétition générale de Molly Gordon et Nick Lieberman
Répétition générale, dont le titre original Theater Camp est, comme souvent, bien plus à propos, nous plonge au cœur d’un été un peu hors du temps, dans une colonie de vacances américaine à thème, à Adirondacks dans l’État de New York. Mais à AdirondACTS, aucun bizutage ni romance adolescente ne sont de rigueur, l’endroit est avant tout un safe place très queer où la liberté et l’expression artistiques sont la priorité.
Cette année, les participants ont trois semaines pour apprendre la comédie musicale Joan Still, dédiée à la fondatrice bien-aimée du camp qu’un stroboscope un peu trop virulent a plongée dans le coma avant le début de l’été. C’est Troy, son fils vlogueur, immature et incompétent, qui sera chargé d’assurer la relève, aux côtés de professeurs très dévoués, d’enfants très motivés et sous la houlette de Rebecca-Diane (Molly Gordon, Claire dans la dernière saison de The Bear et également coréalisatrice du film) et Amos Klobuchar (Ben Platt).
Mockumentaire au cringe façon Parks and Recreation, à la croisée de Glee et High School Musical et à l’humour délicieusement absurde de Wet Hot American Summer, Répétition générale enchaîne les gags, les références et les effets de mise en scène dans une comédie salvatrice et surtout très drôle. À Sundance, le film a reçu le Dramatic Special Jury Award for Ensemble Cast pour son incroyable casting d’adolescents multitâches et c’est un immense coup de cœur.
Sortie France : le 6 décembre 2023 sur Disney+
Article coécrit par Flavio Sillitti et Manon Marcillat.