Le Musée de la Citadelle se trouve dans un ancien dépôt de provisions d’une forteresse datant de la Renaissance, au cœur de la banlieue berlinoise de Spandau. Le but de l’établissement ? Examiner et recontextualiser les œuvres ayant un passé historique problématique et raciste.
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Le musée a choisi d’exposer ces objets en les remettant toujours dans leur contexte de l’époque. Il expose les réalités du passé, sans les nier, celles qui dérangent, mais toujours de manière éducative. Le directeur du musée explique la démarche d’un tel lieu à Atlas Obscura : “À l’intérieur du musée, les visiteurs se confrontent – à hauteur d’homme – à des statues et des monuments qui représentaient autrefois le pouvoir. […] Vous pouvez tout toucher. Rien n’est posé sur un piédestal.”
Autrement dit, les visiteur·se·s peuvent s’approprier les lieux comme bon leur semble, même si cela signifie grimper sur la tête de Lénine ou se reposer aux pieds de dirigeants prussiens… Rien n’est interdit, tout est désacralisé. L’argument du respect du “devoir de mémoire” et du passé historique n’est plus.
Deux jeunes soldats nazis posent avec une statue de Staline. (© Hulton Deutsch Collection/CORBIS/Corbis via Getty Images)
Le musée a rouvert en mai, après le confinement, et cette réouverture coïncidait avec les nombreuses statues déboulonnées en Europe et les manifestations Black Lives Matter déclenchées après le meurtre de George Floyd par un policier blanc de Minneapolis.
Faire des choix difficiles
Tout ce qui se retrouve dans les collections du musée a un lien étroit avec un passé sombre de l’Histoire : bustes de dirigeants militaristes prussiens, statues d’athlètes et de guerriers aryens, et une tête de granit de huit tonnes de Vladimir Lénine…
Faire des choix pour exposer certains objets dans ce musée n’est pas évident. Le directeur du Musée de la Citadelle, Urte Evert, a reçu par exemple une énorme cloche en bronze fabriquée en 1934 pour le régime nazi, alors en pleine expansion. Elle appartenait à l’église évangélique de la commune voisine… jusqu’en 2017.
Urte Evert a dû peser le pour et le contre de l’exposition d’un tel objet et de tous ceux qui composent les collections. Problème de taille : sur la cloche en question est inscrite une petite croix gammée. Le directeur craint que le musée puisse devenir une sorte de sanctuaire pour des groupes d’extrême droite, voire néonazis, comme l’a été par exemple la dépouille du dictateur Francisco Franco dans la Valle de los Caídos.
L’activiste allemand nazi Horst Wessel (1907-1930, à gauche) à la tête d’une parade de troupes nazies (Sturmabteilung) à Nuremberg, Allemagne, en 1929. L’image est extraite d’une série de photographies représentant des nazis, intitulée “Deutschland Erwacht” (“l’éveil allemand”). (© Hulton Archive/Getty Images)
Le message du musée est clair : “Un monument n’est pas un récit descriptif de l’histoire, mais plutôt un objet historique qui raconte une histoire sur le pouvoir”, rappelle Atlas Obscura. C’est aussi une façon de se rendre compte pour les visiteur·se·s de quelle manière le pouvoir a été utilisé, et de comprendre le poids du passé pour chaque statue déboulonnée et retirée.
Une résonance avec l’actualité
Certain·e·s Berlinois·es – comme beaucoup d’autres citoyen·ne·s européen·ne·s – critiquent les noms donnés aux rues et les places nommées en l’honneur de dirigeants coloniaux. Des Allemand·e·s appellent à la suppression des monuments en l’honneur d’Otto von Bismarck, le premier chancelier et organisateur de la conférence de Berlin de 1884. C’est lors de cette conférence que les dirigeants européens ont – littéralement – découpé le continent africain en établissant les frontières.
Dernièrement, les statues ont également été la cible d’activistes, qui réclament plus de transparence, d’éducation, de contextualisation et de justice, dans nos rues. Et ce, partout dans le monde. Par exemple, les statues d’Emmanuel Kant, grand philosophe des Lumières, semblent poser problème en Allemagne pour certains de ses propos.
D’autres statues, comme celle de Louis Faidherbe, ancien général et administrateur colonial français, a récemment soulevé des indignations à Lille, opposant les “pro-déboulonneurs et les identitaires” rappelle le Huffington Post.
Statue du général Faidherbe, Lille, France. (© Arterra/Universal Images Group via Getty Images)
De même pour la statue de Voltaire à Paris, dont la mairie a démenti son déboulonnage dans le VIe arrondissement. Le but du musée allemand est simple : ne pas encenser les objets et monuments au passé douloureux et offensant, souvent liés à l’antisémitisme, à l’oppression, à un passé esclavagiste et colonial. L’urgence est d’éduquer, et les musées ont cette vocation propre, comme le rappelle justement Louise Thurin dans sa lettre ouverte aux institutions culturelles françaises.
Des désaccords entre historien·ne·s
Le Musée de la Citadelle fait parler de lui, et certain·e·s historien·ne·s peinent à se mettre d’accord. Une partie de ces dernier·ère·s est catégorique : “Nous devons déshéroïser ces monuments pour supprimer l’attrait héroïque”, explique Jürgen Zimmerer, professeur d’histoire mondiale à l’université de Hambourg et spécialiste du passé colonial de l’Allemagne.
Son idée est simple : il ne veut pas ignorer ces monuments et œuvres, mais plutôt les utiliser pour examiner de manière critique l’histoire. “Cela peut être fait en les déposant ou en les plaçant à l’envers”, avance le professeur. Une façon, une fois encore, de ne pas encenser ces objets.