En 2021, le cinéma a retrouvé quelques couleurs, mais les bousculades de sorties ont fait défiler les films à toute vitesse, nous donnant presque une indigestion cinématographique. Mais, dans cette cohue, la qualité a été largement au rendez-vous. Si les grands festivals de cinéma – Cannes, Venise et Berlin – ont choisi de sacrer des réalisatrices, les cérémonies de prix semblent leur emboîter le pas en ce début d’année 2022.
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Les Golden Globes, qui ouvrent la saison des prix cinématographiques et font office d’antichambre des Oscars, ont choisi de récompenser The Power of the Dog et West Side Story, tandis que les Directors Guild of America Awards (DGA) puis les Bafta sont venus confirmer le règne de Jane Campion en lui décernant les prix du Meilleur film et de la Meilleure réalisatrice.
Si Dune et Belfast tirent leur épingle du jeu, c’est le film de la réalisatrice néo-zélandaise qui est une nouvelle fois grand favori de la cérémonie des Oscars, qui se tiendra le 27 mars prochain au théâtre Dolby de Hollywood, en empochant douze nominations dont Meilleur film et Meilleure réalisation, le record de cette édition. La réalisatrice entre dans l’histoire en tant que première femme à décrocher deux nominations pour l’Oscar de la Meilleure réalisation, vingt-huit ans après La Leçon de piano.
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Loin de toute prédiction objective, voici la sélection de cœur des films, acteurs et actrices que la rédaction de Konbini aimerait voir récompensés dimanche prochain à Los Angeles pour la plupart des catégories – celles pour lesquelles on se sentait légitimes de donner notre avis, en tout cas. Et en essayant de ne pas récompenser huit fois le même film, si possible.
Oscar du Meilleur film : The Power of the Dog
Le choix a été difficile pour cette catégorie. Si on avait été honnêtes, on aurait sûrement choisi Dune, film préféré de la rédac l’année dernière. Mais voir ce blockbuster repartir avec la statuette dorée ultime nous semble trop beau pour être vrai, trop peu réaliste, malheureusement. On a songé, pendant un moment, à un autre coup de cœur, comme Drive My Car ou Licorice Pizza. Mais ce choix nous semblait plus évident.
The Power of the Dog est le film qui, en plus d’avoir une chance de réellement remporter l’Oscar, le mérite le plus. Déjà parce que Jane Campion n’a eu qu’un seul Oscar, celui du Meilleur scénario original, pour La Leçon de piano en 1994, et devrait en avoir d’autres. Mais surtout parce que le film est une vraie leçon de cinéma, impressionnant en tout point, renversant les codes du western, et reste un long-métrage qui risque de laisser son empreinte dans l’histoire du septième art.
Oscar du Meilleur acteur : Andrew Garfield
Films à Oscars par excellence, les biopics musicaux nous laissent souvent de marbre. Mais lorsqu’un réalisateur talentueux (Lin-Manuel Miranda), passionné par son sujet (la comédie musicale), s’offre les services d’Andrew Garfield pour chausser les vieilles Converse de l’auteur-compositeur de génie Jonathan Larson, ils font ensemble des merveilles.
Dans une prestation tragicomique, l’ancien Spider-Man, cheveux en pétard et capital sympathie inégalé, nous transporte dans le tourbillon de ce personnage de trentenaire angoissé par son désir absolu de création. Passant du rire aux larmes et du chant à la danse avec une aisance qu’on aurait pu lui soupçonner, Andrew Garfield met toute son intensité au service de l’univers burlesque et fantaisiste du musical et signe l’une des meilleures performances de sa carrière, après Tu ne tueras point et Under the Silver Lake.
Oscar de la Meilleure actrice : Kristen Stewart
Encore un biopic sur la très médiatisée Lady Di ? Oui. Mais lorsqu’il est signé par l’un des meilleurs, le Chilien Pablo Larrain, habitué aux destins féminins tragiques, il mérite sa place dans cette sélection de cœur. Surtout son actrice principale, favorite à la fois sage et en dehors des cadres, qui incarne parfaitement cette princesse rebelle au grand cœur, faisant se succéder les humeurs au rythme de ses incessants changements de tenues.
Encore un biopic récompensé aux Oscars ? Oui. Mais la performance taiseuse et puissante dont l’actrice est désormais coutumière, métamorphosée et ornée d’un élégant accent britannique, justifierait, une fois n’est pas coutume, la statuette.
Oscar du Meilleur acteur dans un second rôle : Jesse Plemons
On le disait, on a tenu à ne pas récompenser trop souvent le même film. Le fait est que, face à Ciarán Hinds dans Belfast (le meilleur acteur et personnage du film de Kenneth Branagh), Troy Kotsur dans Coda ou J. K. Simmons dans Being the Ricardos, le jeu du casting de Power of the Dog est bien au-dessus. Reste alors la question : qui de Jesse Plemons ou de Kodi Smit-McPhee mériterait le plus la récompense ?
Appelez ça favoritisme, mais nous avons une préférence pour Plemons. Déjà parce qu’on adore cet acteur, qu’il mérite toutes les récompenses du monde. Même si le rôle de Kodi Smit-McPhee est plus marquant, plus important dans l’intrigue du film de Jane Campion, la performance de Plemons, dans sa pudeur et sa retenue, est plus mémorable. Rien que pour cette scène, on veut que Jesse Plemons ait cet Oscar.
Oscar de la Meilleure actrice dans un second rôle : Jessie Buckley
The Lost Daughter, la première réalisation très réussie de l’actrice Maggie Gyllenhaal, a récolté deux nominations, Meilleure actrice pour l’immense Olivia Colman, une nouvelle fois magistrale, et Meilleure actrice dans un second rôle pour Jessie Buckley, discrète mais grande comédienne en devenir. C’est cette seconde performance que nous aimerions saluer.
En parallèle de l’obsession pour une jeune mère que va développer Leda, incarnée par Colman, lors de vacances en Grèce, Jessie Buckley nous refait vivre la maternité ambivalente de celle-ci près de trente ans auparavant. Jeune mère dévouée mais débordée, elle se laisse envahir par la rancune envers ses filles, qui ne lui laissent aucun répit. En nous embarquant sur la corde raide de ses souvenirs de maternité, Jessie Buckley parvient à susciter en nous autant d’empathie que d’inquiétude.
Oscar de la Meilleure réalisation : Paul Thomas Anderson
Si l’on regrette de ne pas voir le nom d’Alana Haim figurer dans la liste des nommées pour l’Oscar de la Meilleure actrice tant son personnage, son physique et sa singularité sont pourtant inédits dans le paysage hollywoodien, la nouvelle réalisation ambitieuse de PTA mérite bel et bien la statuette de la meilleure réalisation.
Licorice Pizza virevolte dans les souvenirs du Los Angeles des années 1970 chers au cœur du réalisateur et nous embarque dans un tourbillon de nostalgie joyeuse, à travers cette étrange romance adolescente atypique, scellée dès la scène d’ouverture, inoubliable. Grâce à un plan-séquence de plusieurs minutes, la relation entre Gary et Alana se matérialise sous nos yeux, en même temps que leur personnalité, et pose le décor du film dans un rythme effréné qui ne s’arrêtera qu’au générique de fin, nous laissant perplexes mais persuadés d’avoir vu l’un des meilleurs films de l’année.
Oscar du Meilleur film d’animation : Les Mitchell contre les machines
Pixar a tendance à remporter de manière quasi systématique cette récompense depuis quelques années. Et c’est, la grande, grande partie du temps, absolument légitime. Les films Pixar sont parmi les plus beaux, et ils l’ont prouvé encore cette année avec Luca, d’une mignonnerie absolue. Disney a produit de son côté quelques pépites récemment, Encanto en tête.
Néanmoins, on aimerait voir Les Mitchell repartir avec l’Oscar, de la même manière que Spider-Man: New Generation l’avait remporté en 2019 face à L’Île aux chiens, Les Indestructibles 2 ou encore Miraï, ma petite sœur. Cette nouvelle production de Phil Lord et Chris Miller est un bijou d’animation, débordant de bonnes idées et étant un long-métrage différent de ce que nous offre habituellement la firme aux grandes oreilles.
Oscar du Meilleur scénario adapté : Dune
Trop de personnes se sont cassé les dents en tentant d’adapter le livre culte de Frank Herbert pour ne pas récompenser le travail d’Eric Roth, Jon Spaihts et Denis Villeneuve sur ce script. Le rendu est admirable, laissant son temps à l’action tout en décrivant une bonne partie de l’immense mythologie de cette œuvre culte de la SF, sans ajouter de voix off bavarde comme chez Lynch, et permettant, malgré l’opacité concrète du film, à l’émotion de débarquer par moments.
Évidemment que le travail d’adaptation sur Drive My Car, The Lost Daughter, The Power of the Dog, et même, si l’on était un peu chauvins, de Coda (remake américain de La Famille Bélier) mérite toute notre attention. Mais franchement, face à Dune, la concurrence existe-t-elle ? On en doute.
Oscar du Meilleur scénario original : Julie (en 12 chapitres)
Incarnée par la lumineuse Renate Reinsve, la Julie du titre a été couronnée du Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes. Cette comédie romantique moderne sublime les questionnements féminins des trentenaires d’aujourd’hui avec une justesse et une audace que l’on aimerait voir récompensées.
De chapitre en chapitre, on voit Julie lutter contre ses désirs et ses pulsions, se rêvant médecin puis psychiatre ou encore photographe, passant d’un homme à un autre, le tout parsemé de séquences absurdes sous champignons hallucinogènes, de questionnements sur la fellation à l’ère #MeToo et de moments suspendus dans un Oslo figé dans le temps. On s’identifie, on se projette, on se souvient, on pleure, on rit, bref, on vit à travers cette Julie qui est le reflet d’un âge mais aussi d’une époque. Notre grand favori de 2021.
Oscar de la Meilleure photographie : The Tragedy of Macbeth
Cette fois, on est chauvins. Pas par orgueil, mais parce que le travail de Bruno Delbonnel mérite toute notre attention. Le commun des mortels n’est pas au courant que nous avons, ici en France, des directeurs de la photographie travaillant sur des films absolument ravissants, pas forcément qu’en Hexagone d’ailleurs. On pense aussi à Claire Mathon, bien sûr, qui méritait d’être nommée pour son travail sur Spencer.
Delbonnel, c’est Harry Potter et le Prince de sang-mêlé, c’est des films de Tim Burton (Dark Shadows, Miss Peregrine, Big Eyes), mais aussi des frères Coen (Inside Llewyn Davis, Buster Scruggs), dont le récent The Tragedy of Macbeth de Joel Coen. S’il peut, d’habitude, marquer la rétine avec des lumières intéressantes, son dernier long est, de très loin, son plus beau travail. Le jeu d’ombre et de lumière est déroutant de grâce.
La concurrence en face est rude, parce que la photo de Power of the Dog, de West Side Story, de Dune et de Nightmare Alley met la barre assez haut. Mais on y croit.
Oscar du Meilleur documentaire : Summer of Soul
Si on vous parle de l’été 1969, vous pensez logiquement à Woodstock, le festival qui a marqué les esprits de tous, climax du mouvement hippie et anti-guerre, accueillant des concerts légendaires. Vous ne penserez sans doute pas à la série de concerts gratuits qui se sont enchaînés dans le parc Mount Morris à Harlem, donnés par d’immenses artistes noirs. C’est malheureusement normal.
Il a fallu que Questlove, des Roots, découvre les vidéos de ce festival jamais diffusées et qu’il en fasse un documentaire pour qu’on se rende compte de l’ampleur d’un événement ayant rassemblé pas loin de 300 000 personnes devant Nina Simone, Sly and the Family Stone, BB King ou encore un jeune Stevie Wonder. Plus que de montrer les performances, le documentaire raconte une histoire de la musique noire et d’une population qu’on ne mettait jamais en avant. Un documentaire indispensable.
(Si vous avez aimé ce documentaire, sorti sur Disney+, on ne peut que vous conseiller Jazz on a Summer’s Day, documentaire sans voix off sorti en 1959 sur un festival de jazz avec les plus grands, ressorti récemment chez Carlotta.)
Oscar du Meilleur film étranger : Drive My Car
Évidemment que notre choix de cœur aurait été Julie (en 12 chapitres). On aurait pu faire un ex æquo, mais soyons fair-play. Trier repart avec le prix du Meilleur scénario original, c’est peut-être encore mieux. Le film de Hamaguchi n’a pas démérité – il est même nommé dans la catégorie Meilleur film. Ce n’est pas anodin, et le destin de Parasite est un marqueur suffisamment puissant pour que l’on récompense Drive My Car ici.
C’est mérité, oui. Trois heures durant, Ryusuke Hamaguchi construit son récit, après une très longue introduction qui déchire un peu le bide, dans l’intime, l’introspection, les silences. Le rythme est tenu tout du long, malgré une intrigue parfaitement limpide, et une fausse lenteur apparente. Un grand film, qui ne peut pas repartir bredouille, même dans nos Oscars rêvés. Ce n’est pas concevable.
Oscar de la Meilleure musique originale : The Power of the Dog
Tant pis pour notre consigne de ne pas trop récompenser le même film. Jonny Greenwood est une personne brillante, il transforme en or tout ce qu’il touche, compose, et a transformé, de la même manière que Jane Campion, la musique de western en tout autre chose, loin des musiques, des percussions rappelant le pas des chevaux et autres.
Alors oui, on a cette guitare acoustique propre au genre, et un harmonica pointe le bout de son nez ici et là. Sombre mais particulièrement gracieuse, exploitant un orchestre de chambre avec un son marqué temporellement fin du XIXe siècle (rappelant au passage son travail sur There Will Be Blood), cette BO n’est pas la plus accessible, mais c’est sans doute la plus intéressante.
Le choix de la facilité aurait été de récompenser Encanto, bien sûr. Le choix de la raison aurait été de récompenser Dune, car Hans Zimmer a encore innové et impressionné tout le monde, ou Don’t Look Up, car même si le film semble peu oscarisable, Nicholas Britell l’est. Le choix du cœur est et restera Greenwood. Toujours.
Article écrit par Arthur Cios et Manon Marcillat.