Célèbre pour ses “action paintings” et ses orgies, l’artiste et activiste viennois Hermann Nitsch (1938-2022) est actuellement exposé au musée de l’Orangerie, dans le jardin des Tuileries. Un an après sa mort, l’institution parisienne lui rend hommage jusqu’au 12 février 2024 avec l’une de ses œuvres restée inachevée, inspirée des Nymphéas de Monet. Retour sur la carrière du pape des performances ritualistes, et son travail aussi viscéral qu’impressionnant à travers cinq faits marquants.
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Il a orchestré des orgies artistiques sanguinolentes
En 1971, Hermann Nitsch s’offre le château de Prinzendorf en Basse-Autriche avec l’héritage qu’il touche au décès de sa seconde femme. Celui-ci devient son lieu de vie, son atelier et surtout, la scène de son iconique Orgien Mysterien Theatre (“Théâtre des Orgies et Mystères”). Désireux depuis ses 20 ans de créer une œuvre d’art totale et inspiré par Richard Wagner et Alexandre Scriabine, il débute ces performances en 1957 et sollicite toutes les formes d’art et tous les sens pour provoquer une décharge émotionnelle chez le public, qu’il veut pousser à une réflexion profonde sur son existence. Actions à base d’entrailles, d’intestins encore chauds déversés sur un corps, de fluides corporels éclaboussés et déversés, de crucifixions, d’animaux immolés et d’individus vêtus de blanc : régulièrement, le projet qu’est le Théâtre des Orgies et Mystères crée le scandale. Entre les années 1960 et 1990, la troupe donne jour à plus de cent performances.
Hermann Nitsch, Sans titre, 2021, Galerie RX, Paris. (© ADAGP, 2023, Paris/Photo : Théo Pitout)
Il a créé une performance de six jours et six nuits
L’œuvre d’Hermann Nitsch atteint son apogée à l’été 1998 avec 6-Tage-Spiel, une performance qui dure six jours et six nuits. Aboutissement de son Théâtre des Orgies et Mystères, l’œuvre mêle musique, architecture, peinture et se présente comme un “rituel esthétique de glorification de l’existence” sous la forme d’une fête folklorique. À la fin de sa carrière, l’artiste réalise une seconde version de la pièce de six jours, dont les deux premiers jours sont joués après sa mort, les 30 et 31 juillet 2022 sous l’impulsion de sa femme, Rita Nitsch. Le 28 mai 2023, le troisième jour intitulé “le Jour de Dionysos” est représenté.
Il a été arrêté à plusieurs reprises (et condamné)
Sans surprise, la nudité, le caractère ritualiste des œuvres et l’utilisation du sang et d’organes d’animaux comme matières premières ne font pas l’unanimité. Régulièrement, le fameux Théâtre des Orgies et Mystères de Nitsch fait l’objet de protestations : les défenseur·e·s de la cause animale montent au créneau, mais aussi les conservateur·rice·s et les forces de l’ordre. Il est arrêté à trois reprises pour son travail jugé blasphématoire et pornographique. “À l’époque, ça me rendait plutôt fier. Mon travail perturbait les gens, je me voyais dans la même lignée que d’autres grands artistes incompris”, se souvient-il dans un entretien accordé à Vice. En 1966, il est condamné à six mois de prison avec sursis pour une peinture, Die erste heilige Kommunion (“la première sainte communion”), représentant des menstruations. Il finit par quitter l’Autriche pour l’Allemagne.
Hermann Nitsch, Sans titre, 2020, Galerie RX, Paris. (© ADAGP, 2023, Paris)
Il porte les stigmates de la guerre
Hermann Nitsch naît en 1938 à Vienne, quelques mois seulement après l’annexion de l’Autriche par le Troisième Reich. Alors qu’il est encore en bas âge, son père est envoyé au front et y laisse la vie. Une poignée d’années plus tard, Vienne devient la cible de bombardements. “La guerre a fait de moi un être cosmopolite, ennemi de tous les nationalismes et de toutes les politiques dès l’école”, déclare-t-il dans sa biographie. Et à Vice : “J’ai plus l’impression d’être un homme qui a gravité autour de deux horribles Guerres mondiales. Mes parents et mes grands-parents ont vécu pendant la Première, j’ai vécu pendant la Seconde. Tout le monde fait face à une guerre d’une façon ou d’une autre, la guerre de Trente Ans, les guerres napoléoniennes… Mais pas nécessairement à deux guerres”.
À la fin de sa carrière, il peint des toiles colorées
À ce stade, vous l’aurez compris : Hermann Nitsch aime montrer le sang, les entrailles, ce qui vient de l’intérieur. “Ton corps est plein de sang, le sang coule dans nos veines. En peinture ou en art, on montre des fleurs, des paysages, des couchers de soleil, des levers de soleil. Je veux que mon œuvre montre aussi les organes internes. C’est absurde que les gens puissent dire : ‘Pourquoi le sang ?’ […] C’est comme si quelqu’un faisait un portrait et qu’on lui disait : ‘Pourquoi peignez-vous les yeux ?'”, répondait Hermann Nitsch à TRACKS sur la question de son utilisation récurrente du sang. À la fin de sa carrière pourtant, l’artiste délaisse les bains sanguinolents pour créer des toiles plus douces et colorées.
Fasciné par les Nymphéas de Monet, l’Autrichien engage un dialogue avec cette célèbre série de peintures, qui reste inachevé puisqu’il meurt le 18 avril 2022. “Dans mes performances, ma peinture expressive et religieuse est devenue un drame achevé, une dramaturgie analytique. Ce qui reste à voir, c’est une frénésie de couleurs et de formes qui se détachent bien au-delà du contenu, comme les extases de couleurs des Nymphéas de Monet”, expliquait-il à Sarah Imatte, conservatrice du patrimoine au musée de l’Orangerie. Rendez-vous à l’Orangerie pour découvrir le pionnier de l’activisme viennois comme vous ne l’avez jamais vu.
Hermann Nitsch, Sans titre, 2021, Galerie RX. (© ADAGP, 2023, Paris/Photo : Théo Pitout)
L’exposition “Hermann Nitsch. Hommage” est à voir au musée de l’Orangerie jusqu’au 12 février 2024.
Konbini, partenaire du musée de l’Orangerie.