ONZE : Enchantée Julia et le pouvoir salvateur de l’amour

ONZE : Enchantée Julia et le pouvoir salvateur de l’amour

Image :

© Fifou

photo de profil

Par Yasmine Mady

Publié le

On plonge dans l’océan émotionnel d’Enchantée Julia à travers les titres de son album ONZE.

ONZE, le premier album d’Enchantée Julia, est sorti. On y retrouve une artiste plus vulnérable et introspective que jamais, dans des titres puissants, enrobés par une sublime voix remplie d’intention et de lumière. C’est un album qui bouleverse, qui groove, qui sauve et qui rayonne d’authenticité. Pour l’occasion, on a rencontré Julia autour d’un thé pour parler des chansons qui composent ce projet et des histoires derrière.

À voir aussi sur Konbini

Konbini | Quel a été l’appel du cœur, l’inspiration, pour commencer cet album ?

Enchantée Julia | Je l’ai commencé grâce à une résidence que j’ai faite en novembre 2023 avec TICES, LaBlue, Antonin Fresson, Prince Waly, Guillaume de mon label et Manu, mon manager. On est partis, justement, dans cette maison où tout a démarré pour moi au niveau de la créativité. On s’est retrouvés, on a juste fait de la musique avec nos cœurs et ça m’a donné un élan pour la suite, c’est-à-dire que ça m’a tellement débloquée, inspirée que du coup, après, c’était parti, j’étais sur l’album. 

Ndlr : Dans l’album, on retrouve un morceau titré “Les Santolines”. C’est le nom de la résidence dans laquelle Enchantée Julia et son équipe ont travaillé sur l’album. Vous pouvez retrouver un minidocu du même nom qui retrace en beauté le processus créatif de la réalisation de ce projet.

Il s’est passé deux ans entre le dernier projet et celui-là, presque trois ans, même. C’est un peu un déblocage de pas mal de thèmes que je n’avais jamais osé aborder. Il y a peut-être moins de pudeur et, du coup, des thèmes abordés sur la famille, sur ma sœur, sur ma meilleure amie, sur la maladie, sur des thèmes que je n’avais jamais vraiment abordés ; mais si tu lis entre les lignes, c’est quand même très clair, je crois. J’espère, en tout cas, que ça sera reçu comme ça. J’ai commencé en novembre 2023, il sort en novembre 2024, la boucle est bouclée.

Tu as dit ce mot, “pudeur”. C’est vrai que lorsque j’ai écouté, j’ai senti la dimension très introspective mais je sens quand même que, dans la vulnérabilité, il y a une forme de pudeur. Est-ce que poétiser ta musique, c’est une manière de te protéger ?

Bonne question. En fait, je crois que je n’arrive pas à faire de la musique trop frontale parce que ça serait trop “variété” pour moi, je pense. Je pense que ça correspond aussi à mes influences, à ce que j’ai écouté en français. C’est toujours très poétique, c’est ma manière de l’écrire, finalement, mais avec toujours de la poésie parce que j’adore ça, tout simplement. Écrire trop frontalement… Je l’ai un peu fait sur le morceau MOUSSA dans le projet LONGO MAÏ et sur cet album, je pense que dans le morceau sur ma sœur, “Go”, c’est aussi très clair. J’ai un peu tâté différentes façons d’aborder les thèmes. Dans l’écriture, j’ai essayé d’aller chercher des trucs que je n’étais pas allée chercher.

ONZE, c’est le titre de l’album. Pourquoi ?

Il y a plein de raisons. Il y a beaucoup de moments clés dans ma vie autour du nombre onze. C’est plus qu’un nombre porte bonheur. Déjà, c’est mon chemin de vie. Moi, je suis onze en numérologie et mon mari aussi. Et puis c’est un nombre miroir. C’est le nombre de l’intuition et je pense que ça résume bien cet album. C’est un album intuitif, instinctif et ça résume aussi la personne que je suis. J’ai une grande dimension spirituelle dans ma façon de penser, dans ma façon d’être et les gens qui me connaissent le savent très bien, mais le public, je crois qu’il ne le sait pas donc j’avais envie qu’on le ressente.

L’album Baduizm d’Erykah Badu, qui a changé ma vie, il est sorti le 11 février. Onze, c’est aussi la date de mon mariage et c’est vraiment mystique parce que ce n’est pas fait exprès, c’est-à-dire que je n’ai pas choisi mon mari parce qu’il était onze. Je suis onze, il est onze, on s’est marié le 11 mars, c’est la mairie qui a choisi la date. Il y a plein de trucs comme ça qui font que j’avais envie de pousser le curseur encore plus loin dans la spiritualité de cet album. C’est plein de symboles comme ça qui me donnent une espèce de force et de courage. L’album sort le 22.11, donc c’est quand même assez fort en vibrations.

ONZE, c’est aussi le titre du morceau de l’album en featuring avec Prince Waly, ton mari. Tu nous en parles ?

Moussa, c’est la première fois qu’il figure sur un de mes projets. On a quand même fait pas mal de chansons mais aucune n’a figuré sur l’un de mes projets. Qui de mieux que mon mari pour partager de la musique avec moi ? C’est une chanson qui raconte un peu notre rencontre. Notre rencontre, c’est quand même le concert de Daniel Caesar au Palais de Tokyo. C’est des moments qui sont tellement spéciaux et on avait envie de parler de ça.

Il y a un imaginaire qui dit que le R&B sonnerait mieux quand il est toxique, quand il parle de déceptions amoureuses, etc., mais en fait, toi, on aime ta musique parce que tu peux aussi parler d’un amour sain, un amour qui guérit et qui sauve. On le ressent dans ce titre-là, d’ailleurs. Toi, comment tu perçois ce truc-là ?

Est-ce que je fais vraiment du R&B, tu vois ? Je n’ai pas l’impression d’appartenir complètement au R&B, complètement à la soul, complètement à la chanson. Je pense qu’il y a plein d’ingrédients dans ma musique qui font partie de mes influences et je pense qu’on les ressent. De par la poésie, de par la façon dont je dis les choses, mes chansons vont peut-être être moins frontales que la variété ou le R&B au sens propre du terme. Je pense à Tayc, par exemple. Moi, je ne sais pas faire ça, je ne sais pas écrire comme ça. J’aimerais bien, mais je ne sais pas le faire. S’il veut m’écrire une chanson un jour, pas de problème [rires]. Je pense que ce qui compte dans la chanson, c’est l’émotion. Tant mieux si les gens se sentent enveloppés par ma musique. S’ils ressentent l’émotion du moment que j’ai voulu transmettre, c’est tout ce qui compte pour moi.

Comment as-tu pensé la musicalité du projet ?

Déjà, je ne l’ai pas fait seule parce que je travaille avec LaBlue qui a réalisé presque tout l’album et TICES qui a quand même produit beaucoup de chansons sur l’album. On l’a pensé ensemble. Je suis partie de boucles existantes : des prods que TICES m’avait envoyées, que LaBlue m’avait envoyées et c’est surtout la musique qui m’a donné le ton pour les thèmes. C’est ce que la musique m’a inspiré qui a donné ces chansons-là, donc je dirais que c’est plutôt eux qui ont donné le ton.

“Quand je suis en studio, je suis bloquée, je n’y arrive pas. C’est un peu ma frustration de l’album.”

On a beaucoup travaillé sur cet album, sur les arrangements, sur les textures. Je voulais vraiment le côté hyper-produit et en même temps hyper-organique pour retrouver cette chaleur, ce groove que j’adore. Après, le truc central pour moi, c’était quand même la voix, les harmonies, les arrangements. J’ai passé beaucoup de temps seule à travailler les harmonies. Les voix, je les ai faites toute seule pour la plupart. J’ai enregistré seule chez moi parce que j’ai besoin d’être dans mon petit cocon, d’avoir la bonne intention au bon moment. Souvent, quand je suis en studio, je suis bloquée, je n’y arrive pas. J’ai essayé, mais je n’y arrive pas. C’est dommage. C’est un peu ma frustration de l’album, mais je ne vais pas me forcer, tu vois. Il fallait qu’il y ait la bonne intention.

“Save Me”, c’est ma chanson préférée du projet personnellement et je me demande ce qu’elle représente pour toi et où tu trouves la guérison et le sauvetage.

C’est une sorte de noyade émotionnelle, cette chanson. Elle me correspond bien dans le sens où c’est clairement des états dans lesquels je peux m’engouffrer et me noyer dans l’émotion et dans ce que je peux ressentir parfois quand je doute ou quand c’est noir. Comment je m’en sors ? J’ai quelqu’un à côté de moi qui me tient la main. C’est mon mari et c’est clairement mon sauveur. Quand je parle de “mes ennemis”, ce sont mes propres ennemis en moi. Elle est très introspective, cette chanson. Il y a le symbole de l’anneau, de notre amour, de ce que peut apporter l’amour à quelqu’un qui est comme moi, aussi sensible, ultra-sensible, je dirais même méga-ultra-sensible. J’ai l’impression que j’ai été comme une sirène échouée au bord de l’eau et que Moussa est venu me sauver. C’est mon sauveur. Clairement.

Je l’ai interviewé il y a quelques mois et il a dit la même chose de toi. Que tu l’avais sauvé !

C’est pour ça qu’on est mariés. On s’apporte tellement tous les deux, on est des âmes sœurs, donc forcément, moi, j’ai l’impression que c’est lui qui m’a sauvée et lui, il a l’impression que c’est moi. Finalement, c’est nous.

Dans ce morceau, tu chantes aussi : “La Terre brûle mais l’enfer, c’est les autres”.

C’est une référence à Sartre, c’est Moussa qui y a pensé. Il était présent quand j’ai écrit le son. Quand je dis que la Terre brûle, c’est à l’intérieur de moi, c’est que je brûle de l’intérieur. Quand tu brûles, c’est que tu suffoques, en fait, c’est que tu as trop d’émotions mélangées. Moi, mon problème dans ma vie, il est émotionnel.

On parlait de “La sève” plus tôt et tu me disais que c’est une chanson où tu abordes la maladie.

Oui, c’est une métaphore de la maladie, “La sève” et c’est une chanson que j’ai écrite pour Moussa. C’est vraiment pour dire que, dans la maladie d’amour, c’est plus fort que tout et il faut qu’on se tienne la main. Parfois, c’est hyper-difficile quand tu vis un truc pareil. Parfois, dans le couple, on ne se comprend plus, en fait, parce que la maladie prend toute la place et on n’est plus deux, on est trois. C’est une chanson très spéciale, pour moi. Il faut l’écouter.

Ndlr : Prince Waly, qui partage la vie d’Enchantée Julia, a appris en 2019 qu’il avait un cancer rare du thymus alors qu’il avait 27 ans. Après une rémission, il est revenu en 2022 avec son premier album intitulé Moussa puis un EP intitulé BO Y Z Vol.2 sorti en 2023.

Dans le titre “Ballade”, tu dis “Je n’ai plus le temps de crier au secours. La route est longue. Le temps m’a pris de court.”

Oui, c’est une chanson sur le temps et ma carrière de femme chanteuse dans ce game, en fait. Le chemin fut très long. Je suis là depuis longtemps et le temps passe. Quand je dis “Je n’ai plus le temps de crier au secours”, ce que je veux dire, c’est : “Je n’ai plus le temps, on y va ! J’ai envie de le faire, cet album, je le fais et je le fais comme je veux, avec ma vision”. Il n’y a personne pour me brider. Au contraire, tout le monde m’a portée vers le haut et m’a épaulée. “Le chemin est si long, j’avance à pas de géant.” C’est cette espèce de bond en avant.

Là, on en 2024, j’ai commencé en 2018, il s’en est passé des choses entre-temps. J’ai commencé, j’étais solo, il ne se passait rien, personne ne me calculait. Aujourd’hui, ça avance un peu. Encore une fois, je parle aussi de quelqu’un qui me tient la main à côté et, bien sûr, c’est Moussa parce qu’il m’a donné une telle confiance en moi. Quand je l’ai rencontré, Enchantée Julia, ça n’existait même pas. Il m’a dit “Tu as du talent, tu peux écrire seule, tu peux faire toutes les choses que tu as envie de faire”. Il m’a donné cet élan, mais ce n’était pas que lui. Il y a ma famille, les gens qui m’entourent, Manu, mon manager, mon label, plein de gens.

Et tu trouves que ce game, cette industrie musicale, est juste avec toi ?

Bonne question. Je trouve qu’il a été très injuste au début. Très, très injuste. Je me suis sentie très incomprise, mise sur le côté, pas respectée, etc. J’en parle dans le titre “Leitmotiv”. Je parle de comment, dans l’industrie, on peut te tourner autour puis te dégager en trois secondes, te faire miroiter des choses et puis au final, rien.

Mais oui, aujourd’hui j’ai l’impression qu’il est juste avec moi. Après, on verra parce que, pour l’instant, je suis encore toute petite. Je ne sais pas ce qu’il va se passer, mais je crois que je suis tellement bien entourée par les bonnes personnes : le bon label, le bon éditeur, le bon manager, etc., que du coup, je ne me pose pas trop de questions. Je me sens dans une petite bulle, je me sens portée et vraiment respectée. C’est pour ça que je me dis que ça y est, c’est le moment pour moi, tu vois ? J’ai l’impression qu’on s’approche du but. Après, je sais que ce n’est pas du tout une fin en soi, mais c’est juste le fait de cocher les étapes que j’avais envie de cocher depuis longtemps. Là, c’est en train de se réaliser parce que j’ai du monde qui croit en ce que je fais. J’ai de la chance.

Dans “Doutes”, tu dis “J’ai l’impression de ne pas être à la hauteur”.

C’est toute ma vie, ça. Ma façon d’être, c’est trop une force contraire. Quand je fais une chanson, sur le moment, j’y crois à fond et après, quand je l’écoute, je me dis “Ah, mais c’est de la merde”. Toute ma vie, c’est ça : remettre en question tout ce que je fais, tout le temps. C’est une chanson assez centrale, assez importante parce que je n’ai jamais parlé de ça et il fallait que j’aborde ce sujet, il fallait que je le sorte.

Dans ce titre toujours, il y a un peu une vibe de gospel. C’était l’inspiration ?

Tu n’es pas la première personne à me le dire. Pour autant, je n’ai pas fait de gospel, je n’ai pas écouté de gospel, je ne pourrais jamais prétendre ça. Je pense que c’est dû à ma spiritualité, tout simplement. Ça ressort de cette manière-là. C’est aussi parce que le R&B découle du gospel et que, forcément, c’est ce que j’ai écouté, dans les harmonies, etc. Il y a du gospel partout dans ce qu’on écoute donc peut-être que c’est à cause de ça.

Tu parles de R&B, tu disais un peu plus tôt ne plus vouloir t’en revendiquer nécessairement. Qu’est ce qui fait qu’aujourd’hui, tu préfères t’émanciper de toutes étiquettes de genres musicaux ?

En 2018, quand j’ai commencé à dire que je faisais du R&B, trop de portes se sont fermées pour moi, c’était horrible. Personne ne comprenait ce que je faisais, c’était vraiment, vraiment très compliqué. Je me suis dit qu’il fallait que j’arrête de dire ça. J’ai commencé à dire que je faisais de la chanson qui groove et j’étais restée sur ça. Et puis aujourd’hui, je trouve que c’est trop difficile de se cantonner à un style, surtout dans un courant qui est émergent comme ça. Parce que ma musique, ce n’est pas exactement, de la soul, du R&B ou de la pop, je trouve ça trop dur de se mettre une étiquette. En tout cas, je laisse le public dire ce qu’il a envie de dire. Tant que le public aime, moi, ça me va.

Dans “Go” tu t’adresses à ta petite sœur et tu dis : “Prends soin de ton petit cœur, trop loin de ma petite sœur”. C’est quoi, l’histoire derrière ?

Ma petite sœur s’appelle Margot, son surnom, c’est Gogo et ça fait un jeu de mots avec “Go ! Go ! Go !”. Tout est dit dans la chanson, je ne peux rien te dire de plus sinon je vais pleurer. [rires]

Dans “Mystère”, tu dis “Tous les ans, tous les ans, je pleure quand c’est jour de pluie parce que ton cœur est au fond du puits”.

Je parle de ma meilleure amie. C’est quelqu’un de tellement solaire, tellement incroyable que j’avais envie de lui écrire une chanson. J’avais envie de lui donner de la force aussi, parce que c’est quelqu’un qui souffre vachement intérieurement et qui a vécu un deuil terrible.

C’est toujours très particulier de parvenir à écrire sur le deuil, mais en plus, raconter le deuil de quelqu’un d’autre, c’est puissant.

Oui, je crois qu’elle a vraiment capté ce que j’ai voulu lui dire dans la chanson et elle a été super touchée quand elle a écouté. Elle a carrément exorcisé ce qu’elle avait refoulé.

Je pense qu’il n’y aura jamais assez de chansons sur le deuil. Même si c’est une histoire qui est très personnelle pour ton amie, ça devient toujours universel. C’est un peu comme “Là où on dort heureux” de Tuerie. C’est toujours puissant et nécessaire.

“Là où on dort heureux”, quelle chanson incroyable. C’est un chef-d’œuvre, cette chanson. Tuerie a tout défoncé.

“Fleur de peau”, c’est une chanson importante dans ce projet avec un joli petit visualizer. C’est une chanson plus légère et solaire dans l’album !

C’est la première chanson qu’on a composée tous ensemble aux Santolines, dans la maison, lors de la résidence. “Fleur de peau”, c’est une chanson légère et solaire mais en même temps, je parle de chrysanthème dedans, il y a des mots qui ressortent comme ça. Ça parle de quand j’ai rencontré Moussa, je sortais d’une grosse peine de cœur et j’étais assez fébrile, j’avais peur de me lancer complètement dans la relation parce que c’était très, très fort et très intense. Ça m’a juste réconciliée avec l’amour en fait, cette rencontre avec Moussa. Cette chanson parle de ça.

ONZE, le premier album d’Enchantée Julia, est disponible sur toutes les plateformes.