Dix jours avant la sortie de son prochain album le vendredi 29 mars, Beyoncé a partagé sur Instagram la pochette de son nouveau disque, accompagnée d’infos retraçant la genèse de ce projet country et les obstacles racistes qui ont entravé son chemin, initié il y a plus de cinq ans. Tout comme pour l’acte I Renaissance, cet acte II, nommé Cowboy Carter, présente Beyoncé fièrement assise sur un cheval, le regard droit et fixe.
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Fini, l’immobilisme pailleté du destrier sculptural de l’album house de 2022. À l’époque, l’artiste remettait les points sur les i et les contre-cultures queers noires au centre de la scène dance. Deux ans plus tard, elle tient les rênes d’un cheval lancé au galop, venu bousculer la scène contemporaine de la country états-unienne qui aura presque réussi à faire croire à son pays que le genre était traditionnellement blanc.
La pochette en question présente une photo signée Blair Caldwell, artiste noir originaire du Texas et collaborateur privilégié de Bey. Grâce à plusieurs symboles, le duo s’attaque à la figure des cowboys et au mythe de la conquête de l’Ouest par des hommes blancs comme pierre angulaire de la légende états-unienne. Ici, c’est une femme noire qui se réinscrit dans une histoire dont elle a été évincée.
Vêtue d’un Stetson, de santiags blanches, d’une combinaison en cuir aux couleurs de son drapeau et d’une écharpe électorale annonçant le titre de son album, Beyoncé semble lancée dans une course au pouvoir – un clin d’œil certain à cette année d’élection présidentielle qui voit revenir au galop Donald Trump et un duel qui opposera deux hommes blancs dans leur deuxième moitié de vie.
Drapeau aimé, drapeau haï
Au cas où on n’aurait pas bien compris, Bey enfonce le clou des symboles nationalistes en brandissant un drapeau états-unien. Si elle se réapproprie ce symbole cher aux patriotes conservateur·rice·s, elle en cache tout de même une partie, située hors champ. Beyoncé est états-unienne donc forcément chauvine, sorry, mais ose tout de même une allusion directe aux parts d’ombre de sa nation.
Reine de la multifonction, l’artiste dirige un cheval au galop tout en faisant voler un lourd drapeau au vent. La scène est d’autant plus admirable que la chanteuse monte son cheval blanc les deux jambes du même côté. Rien à voir cependant avec les images qu’on connaît des femmes du XVIIIe siècle montant en amazone pour ne froisser ni leur jupon ni leur virginité.
Ici, Beyoncé rappelle plutôt les célèbres peintures équestres qui conféraient tout leur pouvoir à la royauté, de la mosaïque de La Bataille d’Alexandre retrouvée à Pompéi à Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard réalisé par Jacques-Louis David entre 1800 et 1803, en passant par Philippe IV à cheval de Diego Vélasquez, peint dans les années 1630. Sa position lui permet de frontalement se confronter à l’objectif de son photographe et au regard de son public.
Jacques-Louis David, Bonaparte franchissant les Alpes au Grand-Saint-Bernard, 1800-1803. (© Château de Malmaison)
Écrire le présent
Cette volonté de réinscrire des personnes noires au sein de représentations fortes, positives et aux échos historiques rappelle le travail d’artistes contemporain·e·s comme le célèbre Kehinde Wiley, note Artnet. En octobre 2019, l’auteur du portrait officiel de Barack Obama dévoilait à New York Rumors of War, une statue de plus de huit mètres de haut et cinq mètres de large représentant un jeune homme noir coiffé de dreadlocks rassemblées en une queue-de-cheval et vêtu d’un hoodie, d’un jean et de baskets.
Lors de l’inauguration de l’œuvre le 11 octobre 2019, le peintre s’était réjoui de “dire oui aujourd’hui à quelque chose qui nous ressemble”, rapportait alors le New York Times. “Nous disons oui à l’inclusion. Nous disons oui à des notions élargies de ce que signifie être Américain·e.” L’artiste ajoutait ainsi, à travers son art, sa pièce à l’édifice de l’histoire des États-Unis et de la construction de son identité.
Après New York, la statue a trouvé sa place définitive dans l’État de Virginie, à Richmond, près du musée des Beaux-Arts de la ville, non loin d’une de ces statues à la gloire de la guerre de Sécession qui sont légion outre-Atlantique qui avait fait ressentir “de l’effroi et de la peur” à Kehinde Wiley, en tant qu’“homme noir”. De la même façon, Beyoncé transforme ses expériences racistes en un corpus d’œuvres puissantes et expressives. Sur Instagram, elle rappelle notamment les réactions racistes survenues après son interprétation du superbe “Daddy Lessons” avec The Chicks aux bien conservateurs CMA Awards de 2016.
“C’est né d’une expérience que j’ai eue il y a des années où je ne me suis pas sentie la bienvenue. Il était très clair que je ne l’étais pas. Mais, à cause de cette expérience, j’ai plongé plus profondément dans l’histoire de la musique country et j’ai étudié nos riches archives musicales.
Les critiques auxquelles j’ai dû faire face lorsque j’ai abordé ce genre pour la première fois m’ont forcée à dépasser les limites qui m’avaient été imposées. Act II est le résultat du défi que je me suis lancé et du temps que j’ai pris pour plier et mélanger les genres afin de créer ce corpus d’œuvres.”
Au-delà de convoquer les monarques qui ont marqué l’histoire occidentale, les rodeo girls texanes et la mythologie autour de la country, n’oublions pas que la seule chose que fait Beyoncé, c’est avant tout faire du Beyoncé, et rien d’autre.