Il se passe quelque chose à chacun des morceaux de Girl in red – quelque chose de doux, de pénétrant, d’enveloppant. On est dans ce genre de films, Moonrise Kingdom, Virgin Suicides, Submarine, dont ses morceaux pourraient être dans la BO. Tu l’écoutes en fumant une cigarette sur un toit, ou sur ton lit, les yeux fixés au plafond. Les couleurs sont sépia, ça sent les feuilles mortes et une mélancolie grisante.
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Marie Ulven, Norvégienne née en 1999, est Girl in red. La fille en rouge qui compose ses morceaux dans sa chambre comme on écrit dans un journal intime. À ses pensées, à ses déclarations d’amour, à ses crises existentielles mises en lyrics sont ajoutées des mélodies dream pop, des guitares pleines d’écho, des refrains parfois plus rock et enjoués. Le rendu est viscéral : grandiose et intime à la fois.
“I don’t wanna be your friend, I wanna kiss your lips” : c’est avec ce refrain (tiré du titre “I wanna be your girlfriend”), qui atteint 30 millions de streams sur Spotify, que Girl in red gagne en notoriété en 2018. Par la même occasion, le ton est donné : Marie est lesbienne et c’est à des filles qu’elle s’adresse. Elle a tout d’une jeune icône rafraîchissante, grâce à laquelle l’indie rock peut se rassurer : il n’est pas près de rendre l’âme.
Nous avons eu l’occasion de parler amour, musique et crise existentielle avec Girl in red lors de son concert à la Gaîté Lyrique à Paris. Et ça tombe bien, on est pile dans la bonne période pour écouter ses titres.
Comment as-tu commencé la musique ?
Je pense que j’ai commencé la musique parce que je m’ennuyais beaucoup. Je vivais dans une petite ville, et je voulais juste faire quelque chose de mon temps. J’ai commencé après que mon grand-père m’a donné une guitare pour Noël, en 2012. Il n’était pas musicien, il jouait un peu de piano et de guitare pour s’amuser. Il ne m’a pas appris à en faire, mais m’a toujours supportée.
J’ai lu que tu faisais de la “bedroom music”. Qu’est-ce que c’est pour toi ?
Techniquement, j’ai tout fait dans ma chambre, donc c’est de la “bedroom music”. Mais je pense que c’est déterminé plutôt par une sensation, un truc dans le son, que par l’endroit où ça a été conçu. Aujourd’hui, je n’ai plus l’impression de faire partie de ce mouvement car mes morceaux se sont beaucoup développés, même s’ils sont toujours produits dans ma chambre.
Comment est-ce que tu décrirais ton univers ?
Je pense que je suis en train de créer un univers en ce moment même, et il s’appelle Girl in red. C’est un tout nouveau monde. En fait, j’ai le mot “universe” tatoué sur mon bras, juste là… [Elle lève sa manche.] Très mal fait, mais bon. Je suis en train de construire ce petit monde rempli de plein de choses, pas seulement de musique d’ailleurs, et les gens sont invités à en faire partie.
D’où vient ton nom ?
Je l’ai trouvé en 2017. J’ai rencontré cette fille, dont je parle dans mon titre “I wanna be your girlfriend“. On était à un festival, on s’était perdues et on s’écrivait des textos pour se retrouver. La foule s’est ouverte pendant une petite seconde, comme dans un film, et elle est passée à travers. Elle portait un sweat rouge. Je lui ai juste écrit “girl in red”, puis on s’est retrouvées et on a passé le festival ensemble.
“Je suis en train de créer un univers en ce moment même, et il s’appelle Girl in red”
Quelques mois plus tard, j’ai acheté un col roulé rouge, j’ai pris une photo que j’ai postée sur Instagram et j’ai écrit en légende “girl in red”. À cette période-là, j’étais en train d’écrire un peu de musique, et je n’avais pas de nom à mettre dessus. Girl in red m’est venu à l’esprit, et c’est resté. J’aime la façon dont il sonne.
Tu cherches des réponses dans ta musique ? Tu écris tes paroles comme on écrit dans un journal intime…
C’est une sorte de journal intime. Mais quand j’écris dans mon journal, c’est très spécifique, plus libre. Quand j’écris mes chansons, j’y mets tout mon cœur, mais je pense un peu plus à la forme, à comment ça peut fonctionner en paroles. Parfois, j’aimerais dire quelque chose, mais je ne le fais pas car ça ne fonctionnerait pas dans le morceau.
C’est thérapeutique pour moi d’écrire de la musique. Ça me maintient occupée, et je ne tourne pas en rond dans ma chambre genre : “Je vais mourir, rien ne sert à rien…” [Rires.] Écrire des paroles, c’est plus fun que d’écrire dans son journal. Ça me rend heureuse, alors que quand je lis mon journal, je vois mon reflet et ce qu’il se passe dans ma tête. Quand j’écris mes paroles, j’ai besoin de ne rien ressentir, pas d’émotion.
Tu dis que c’est une fille qui a inspiré 99 % de tes chansons…
Oh, oui… C’est mon ex-petite amie. Elle m’a beaucoup inspirée, car c’était la première fille que je pense avoir vraiment aimée. Je sais que je n’ai jamais aimé avant elle. Je pense qu’après ça, je ne pourrai plus jamais ressentir quelque chose d’aussi intense… Ce qui est plutôt triste. Je pense que beaucoup de gens trouvent leur premier grand amour, et ne sont plus sûrs de retrouver la même chose un jour.
Quel est le meilleur remède quand tu as le cœur brisé ?
Le temps ! Je ne pense pas que n’importe quelle quantité de crème glacée et de films tristes puisse venir à bout d’un cœur brisé. Ça prend énormément de temps. C’est comme si tu perdais un membre de ta famille, un ami… Ça heurte énormément. Et ça finit par aller mieux avec le temps. Je pense que chaque personne sur cette planète ressent ça de la même façon.
Quand tu dis “I’m not talking about boys, I’m talking about girls”, qu’est-ce que ça implique à ton sens ?
Quand quelqu’un dit : ‘Oh, elle est jolie’, on pense automatiquement que c’est un garçon qui parle d’une fille, car on vit dans une société très normative. “Tu es une fille, tu vas te marier à un garçon quand tu seras grande, chérie…” Ça m’ennuie énormément. J’avais besoin d’affirmer que je parle des filles, pas des garçons. Je pense que c’est important de dire : “Fuck ! Je parle d’une fille, et elle est plutôt sexy.”
Tu es plutôt enjouée et drôle, mais tu as ce côté très désabusé par rapport à la mort, à la dépression…
Je pense que je suis une personne très à l’écoute, je peux facilement papoter avec les gens et les faire rire. Je pense que c’est facile pour moi d’être enjouée, heureuse, de parler fort, de danser… On pourrait prendre ça pour de l’immaturité, ou de la stupidité. Mais j’ai aussi un côté très introspectif et de réflexion sur moi-même. Je pense à un tas de choses, à quel point elles peuvent être bizarres. À quel point c’est étrange d’être ici. Je pense que c’est normal, en tant que personne, de penser à la vie, à la mort.
Dans un de tes morceaux, tu dis “I am the dead girl in the pool”… Ça veut dire quoi ?
Ce morceau a été écrit comme un petit film. Comme si je regardais à travers une petite caméra. Le personnage principal, c’est moi. Elle marche simplement, elle est bourrée, elle descend les escaliers et voit, dehors, une fille morte dans la piscine. Ce que ça signifie, c’est très littéral : la personne voit une fille morte dans une piscine, et chacun doit y mettre la signification qu’il veut.
Quelle est la plus belle chanson d’amour que tu aies écrite ? Et ta chanson d’amour préférée ?
“We fell in love in october” et “Watch you sleep“. J’aime spécialement ces deux-là, surtout “Watch you sleep”, elle me fait presque pleurer à chaque fois. Ma chanson d’amour préférée, c’est “Leave this Behind” de Lovelier Other. Je l’ai découverte il y a deux, trois ans, pendant l’automne, et je l’ai écoutée de manière obsessionnelle. C’est sorti en 1996, mais ça sonne très actuel. Aussi, j’adore Beach House. Tous les morceaux me font penser à l’amour.
“Je pense que ma musique est pile entre Taylor Swift et The Smiths”
Tu as des influences ?
Je pense que ma première influence a été les Smiths. J’aime “Heaven Know I’m Miserable“, leurs paroles… Ils ont l’air tristes. C’est une partie de moi, mais j’ai aussi un côté où j’aime beaucoup Taylor Swift, du moins quand j’étais plus petite, et toutes ces pop queens. Ce sont deux mondes différents que j’aime, et je pense que ma musique est pile au milieu.
Lors de tes concerts, tu parles beaucoup à ton public. C’est important pour toi ?
Je pense que c’est très important d’avoir une bonne connexion avec les gens qui écoutent ta musique. En quelque sorte, ce sont ceux qui vont t’aider à continuer ta carrière et t’autoriser à continuer la musique. C’est important d’être respectueux de ça et de chérir les gens. Je pense que ça ne mène nulle part d’être centré sur soi, on a besoin d’être entouré, d’être supporté.
Quels sont tes futurs projets ?
J’ai un fichier sur mon Mac qui s’appelle “Album 2020”. Je serai bientôt prête à concocter un très bon album, dans sept mois peut-être. Je vais m’enfermer dans ma chambre, à froisser des feuilles et à les jeter par terre en m’arrachant les cheveux [rires]. J’espère que mon prochain projet sera mon album. Mais je pense que je vais aussi faire d’autres choses, car je suis trop impatiente. J’aime faire des choses tout le temps.
Girl in red a sorti son EP chapter 2 en septembre dernier.