Il y a des invitations qui ne se refusent pas, et celles qui incluent les mots “hôtel hype parisien” et “session d’écoute exclusive du nouvel album de Doja Cat” font clairement partie du lot. En arrivant sur les lieux du rendez-vous, à savoir le Sinner Hotel dans le 3e arrondissement parisien, on sent directement que la soirée sera hantée par l’esprit diabolique amorcé par Doja depuis le début de la promo de ce nouveau disque, par l’esprit sexy et lubrique qui transcende son univers également — du moins à en croire les beaux portiers éphèbes qui nous accueillent à l’entrée.
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On est loin des ambiances acidulées, rose bonbon ou galactiques de ses trois premiers disques. Cette nouvelle ère de la chanteuse états-unienne veut nous faire peur. Et, croyez-nous, on a déjà peur — loin de se douter de ce qui nous attend dans les prochaines minutes. Car le prix à payer pour découvrir la nouvelle pépite de Doja est une expérience immersive et démoniaque dans les couloirs de l’hôtel le plus bresom de Paris. Cerise sur le gâteau : on n’a plus de réseau sur notre portable dès qu’on pénètre l’hôtel. On suspecte une présence fantomatique hackeuse de téléphone. C’est la panique.
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Un décor, t’as peur
Dès le hall d’entrée de l’hôtel, l’odeur d’encens, les lumières pourpres, les cocktails inquiétants et l’horizon enfumé annoncent la couleur, et elle sera rouge sang. Mais l’esthétique démoniaque n’est pas le seul virage que Doja Cat prend avec ce quatrième album, intitulé Scarlet. L’artiste veut également nous rappeler qu’elle sait rapper — élément qui a eu tendance à se perdre dans sa discographie récente, misant plutôt sur le mainstream et les sonorités pop, préférant inviter des figures rap pour assurer le côté hip-hop de ses sons à sa place.
Avec la promesse de renouer avec ses capacités de rappeuse avec un album sans featuring, Doja Cat est largement attendue au tournant. Mais pas le temps de ruminer sur nos attentes : on est rapidement invité·es à terminer nos succulents cocktails du même nom que les singles de la chanteuse (“Agora Hills” pour notre part, aux notes de litchi et de vodka) pour commencer l’expérience. Une fascinante créature nous accueille, mi-nymphe, mi-démon, proche de la diablesse campée par Doja Cat dans le clip de “Demons”. On est à la fois séduit·es et effrayé·es, même sentiment que face à une place libre dans un métro de la ligne 3.
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On embarque dans un ascenseur, l’ambiance est glauque, rouge, et le regard insistant et froid de la femme-démon n’aide pas. Ça y est : on craint pour notre vie. Mais notre éthique journalistique nous pousse à traverser tout cela pour vous, cher lectorat. L’ascenseur s’ouvre enfin, et on débarque dans un couloir à l’esprit à la fois BDSM et complètement horrifique. On ne peut s’empêcher de palpiter à chaque passage de porte, pensant que chacune d’elles peut s’ouvrir à tout moment. Qui pourrait se cacher derrière ? Un monstre à trois têtes ? Afida Turner ? La réforme des retraites ? Tous nos cauchemars se bousculent lors de cette longue traversée.
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Au bout du couloir, une porte rouge, qui nous entraîne dans la suite royale qui servira de décor à notre séance d’écoute. Et quelle suite, mesdames et messieurs : plongée dans l’obscurité la plus totale, la chambre et son extension salon-lounge donnent à la fois des airs de red room et de grenier hanté, avec la juste touche de décorum qui justifie son prix.
The Sinner a clairement du goût, et on n’est même pas rémunérés pour vous le dire — même si on ne refuserait pas de troquer nos minables mètres carrés parisiens pour une nuit dans cet écrin de luxe. Au mur sont projetées les toiles glauques peintes par Doja Cat lors de ses lives Instagram, histoire de replanter l’horreur dans tout ce luxe. La peur, pour les riches.
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Une écoute, t’as peur
On est invité·es à rejoindre le petit salon, à condition de se priver de son portable — sécurité oblige, ce serait dommage de faire fuiter l’album deux jours avant sa sortie. Une fois dépecé·es de notre appendice digital, on s’installe confortablement dans un des fauteuils de la pièce, en s’assurant de s’éloigner de toute surface susceptible de cacher une autre créature maléfique — on guette notamment la porte de la salle de bains, bien trop suspecte à notre goût (vous découvrirez par la suite qu’on avait raison).
Les clips de Doja Cat sont projetés au mur, à savoir ceux d'”Attention”, de “Paint the Town Red” et (à l’aide) de “Demons”, qu’on s’efforce de ne pas regarder de peur de vouloir quitter la pièce en panique. À l’ambiance oppressante de la pièce s’ajoute une foule d’autres invités, dont une flopée d’influenceurs beuglant, armés de leurs caméras de vlog. Le vrai cauchemar, on vous a dit. Non, on rigole, on les adore ces influenceur·euses. On les envie même un peu, parfois.
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L’écoute commence, et laissez-nous vous dire : on n’était pas prêt·es. Si on n’était pas forcément insensibles à la musique de Doja Cat par le passé, force est de constater qu’on la catégorisait plutôt comme une artiste “efficace” plutôt que “talentueuse” ou “surprenante”. La surprise, on la retrouve d’entrée de jeu sur des morceaux comme “Wet Vagina” ou “WYM Freestyle”, qui font forcément balancer de la tête sur une instru bien franche, trap et bouncy, totalement dans l’air du temps. Assez vite, la pièce entière le comprend : Doja Cat rappe, et son rap est totalement maîtrisé. Pari réussi.
Les sons s’enchaînent, et si certains s’approchent vachement de ce qu’on connaissait déjà d’elle (on pense à “Go Off”, “Gun”, “Agora Hills” ou le délicieux “Shutcho” proche de ses débuts), d’autres offrent à entendre une toute nouvelle facette de l’artiste. On s’étonne notamment du retour à un hip-hop old school intemporel sur l’ego trip “Ouchies”, le vaporeux “Skull and Bones” ou l’énervé “Fuck the Girls (FTG)”. On note finalement des sonorités sophistiquées inédites pour Doja, à l’instar du lumineux “Love Life” et de sa ligne de basse enivrante, ou de l’arrangement jazzy de “Often”, qui nous ramènerait presque à la musicalité pointue de Solange Knowles.
Doja signe tout les textes de l’album, et l’écriture est malicieuse, souvent salace, truffée de références à la pop culture contemporaine (OnlyFans, Shein, Billie Eilish) qui ancrent la sortie dans son époque. Les instrus sont au-dessus de ce que ses précédents albums proposaient, et on ne peut s’empêcher de s’exciter à l’écoute de pépites comme “97”, au rythme déstructurée et au flow le plus ciselé de l’opus. Même euphorie à l’écoute de “Can’t Wait”, titre romantique R&B mi-chanté, mi-rappé, et dont les percussions proches du “On & On” de Erykah Badu ou du “Consideration” de SZA et Rihanna nous font tout bonnement décoller de nos sièges. Coup de cœur immédiat.
Une invitée, t’as peur
L’écoute se clôture, l’ensemble des invité·es semble conquis par ce qui vient de passer, et on nous annonce dans la foulée qu’une invitée a envie de nous dire bonjour. On se dit que ça y est, Afida Turner va enfin débarquer. (Mal)heureusement, pas du tout : à la place, la fameuse porte qu’on toisait dubitativement au début de l’écoute s’ouvre, nous laissant entrevoir une salle de bains design et teintée de rouge, dans laquelle attendait patiemment Scarlet, l’alter ego maléfique de Doja Cat. Crise cardiaque, tachycardie et grosses sueurs : c’est la frayeur parfaite pour conclure cette folle soirée, après le petit bonbon musical qu’on vient de déguster.
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Ce qu’on retient de l’album Scarlet de Doja Cat
Les sons qui tirent leur épingle du jeu : “97”, “Can’t Wait”, “Paint the Town Red”, “Demons”.
Les principales qualités : les vrais skills de rap de Doja Cat, le parti pris de n’avoir aucun featuring, les références au rap old school, l’intégration intelligente de vieux samples.
Le principal défaut : balles perdues pour les Kardashian sur “Wet Vagina” et les femmes en général sur “Fuck the Girls (FTG)”. Dommage, on s’éloigne du message de sororité dont on a bien besoin sur la scène rap.
Des albums que vous aimerez si vous avez aimé : DAMN de Kendrick Lamar, Las Ruinas de Rico Nasty, she / her / black bitch de Doechii.
Article coécrit par Flavio Sillitti et Yasmine Mady