On a discuté avec Sho Shibuya, l’artiste qui crée des unes puissantes (et fictives) de magazines

On a discuté avec Sho Shibuya, l’artiste qui crée des unes puissantes (et fictives) de magazines

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©Sho Shibuya

Vous avez forcément vu ses unes inventées sur Instagram en pensant qu’il s’agissait d’une couverture officielle. Rencontre avec l’artiste qui repeint la presse.

C’est durant la pandémie que le graphiste Sho Shibuya a pris l’habitude de se lever religieusement tous les jours à 5 heures du matin pour immortaliser le lever du soleil depuis son téléphone. Submergé par les nouvelles angoissantes qui dominaient le monde au début de la crise sanitaire, Shibuya a eu l’idée de peindre ces couleurs matinales sur la une de New York Times, pour se souvenir de la beauté de la nature qui subsiste.

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Bien que la peinture ait toujours été présente dans sa vie, pendant la pandémie, elle est devenue sa thérapie. C’est à partir de là qu’est née la série Sunrise From a Small Window (“le lever du soleil depuis une petite fenêtre”). Progressivement, il s’est inspiré non seulement du ciel, mais de l’actualité pour en faire de l’art. Créer des unes (fictives) de journaux est désormais sa marque de fabrique, et il multiplie les collaborations avec d’autres publications comme Libération et Le Monde. Rencontre avec Sho Shibuya et son univers fascinant.

Konbini | Dans ton travail, dirais-tu que tu dessines plutôt un sentiment ou une illustration objective de l’actualité ?

Sho Shibuya | C’est très subjectif. Ça contient les émotions ressenties autour d’une actualité. J’essaye d’exprimer mes émotions à travers ces images. Ces peintures sont comme un journal intime visuel de mes émotions.

Comment l’idée de ta série Sunrise From a Small Window t’est venue ?

J’avais envie de créer quelque chose qui illustre la crise sanitaire que nous avons traversée et l’expérience du début de cette pandémie. Ce sentiment m’a poussé à faire la série Sunrise From a Small Window, que je continue à faire tous les jours. La première œuvre que j’ai faite était inspirée du mouvement Black Lives Matter, juste après l’assassinat de George Floyd par la police.

Cette œuvre parle également de la violence de la police envers les personnes noires-américaines. Tout s’est passé de façon très organique et ça a évolué avec le temps, ce qui fait que les peintures sont intrinsèquement en lien avec des circonstances spécifiques.

© Sho Shibuya

Quel est le message que tu souhaites faire passer à travers ce projet ?

Chaque pièce a un message particulier. Ce qui m’intéresse le plus, c’est le temps. Pour moi, le temps est le seul concept “équitable”, qui relie toutes les espèces sur Terre. Même si je réponds à vos questions dans le moment présent, dès le moment où je les aurai envoyées, ce sera du passé… Ce concept sans fin me pousse à essayer de le figer, et c’est ça que je fais à travers cette série.

Comment est-ce que la pandémie a impacté ton travail ?

Sans la pandémie, je ne pense pas que cette série existerait. Mon désir de peindre quelque chose qui capture le moment était en réaction à la pandémie.

Pourquoi avoir choisi initialement la une du New York Times ? As-tu un lien spécial à ce journal ?

Je suis abonné au New York Times et je le lis tous les jours. Je crois en leur journalisme. Le lever du soleil que je capture, c’est le lever de New York. Mais si je vais à un autre pays, je vais peindre sur le journal local. C’est ce que j’ai récemment fait à Milan et à Paris.

© Sho Shibuya

Quelles sont tes cinq œuvres préférées ? Et pourquoi ?

Black Lives Matter comme expliqué avant, parce que c’était la première fois que je peignais une interprétation abstraite d’une actualité, au lieu de faire un lever de soleil. Ensuite, l’œuvre It’s in Our Hands, que j’ai créé avec Patti Smith pour encourager les gens à voter pendant les élections de 2020. Le jeudi d’après, on a publié la série sur Instagram et j’ai reçu énormément de messages de gens qui disaient qu’ils étaient allés voter grâce à ça.

© Sho Shibuya

Sinon, la couverture la plus engageante est celle du drapeau de la Palestine. Je suis d’accord avec l’auteur Haruki Murakami lorsqu’il a dit : “Entre un mur haut et solide, et un œuf qui se casse, je serai toujours du côté de l’œuf.”

© Sho Shibuya

Toutes les œuvres qui relatent les fusillades de masse. J’ai créé tellement de trous sur les journaux, c’est impressionnant. Le droit à la possession d’armes est la raison principale pour laquelle je dessine ces trous. Venant du Japon, là où il est impossible de trouver une arme si facilement, je me sens très touché par cette cause. J’espère que les personnes au pouvoir vont trouver un moyen de réguler le droit aux armes de façon plus stricte, indépendamment du parti politique.

© Sho Shibuya

L’invasion russe actuelle en Ukraine. Je me sens toujours très touché de voir que d’autres personnes souffrent à cause d’autres humains, des ego. J’ai déjà créé beaucoup d’œuvres sur cette cause et j’espère un jour pouvoir dessiner quelque chose en rapport avec la paix en Ukraine.

© Sho Shibuya

Dans un monde chaque jour plus numérique, quelle est l’importance du journal papier ?

J’espère que l’histoire des objets physiques durera longtemps. Le retrait des cabines téléphoniques à New York était un moment émouvant pour moi et je voudrais que les journaux papier perdurent.

Dans quelle direction te diriges-tu artistiquement ? As-tu des projets à nous partager ?

Je ne suis que capable de penser au présent en illustrant le lever du soleil d’aujourd’hui et ma réaction émotionnelle aux nouvelles du jour. Personne ne me demande de le faire, mais c’est la mission la plus importante de ma vie.