À l’approche d’Halloween, les cinéphiles se font des marathons de franchises horrifiques culte ou des marathons de réalisateurs : Wes Craven, Tobe Hooper, George A. Romero, John Carpenter. Mais il y a un nom qu’on accole rarement à l’horreur, sous prétexte que c’est celui d’un réalisateur qui a une œuvre complexe, protéiforme, qui se contente rarement de faire peur, mais qui est pourtant indispensable : David Cronenberg.
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Alors que ressort en salle l’incroyable Faux-semblants, on s’est repenchés sur la filmographie de l’immense cinéaste canadien pour classer tous ses longs — en excluant donc ses deux premiers moyens-métrages.
#20. Fast Company (1979)
C’est celui que personne n’a vu. C’est le moins Cronenberg en substance, malgré l’amour certain du Canadien pour les voitures. C’est une anomalie que l’on mettra sur le dos d’un début de carrière. Démarrer n’est jamais simple : souvent, les cinéastes acceptent des projets non souhaités. Alors on lui pardonne. De toute façon, on pardonne tout à Cronenberg, d’accord ?
#19. M. Butterfly (1993)
C’est celui que personne n’a vu (bis). Ce n’est pas foncièrement mauvais, mais c’est trop éloigné de ce qui fait le cœur du cinéma de Cronenberg. Et puis, trop de maladresses d’écriture et de points de vue font qu’on ne croit jamais à l’intrigue — quand bien même elle se base sur une histoire vraie. Heureusement qu’il y a un réel propos politique, sinon on n’aurait pas grand-chose à sauver.
#18. A Dangerous Method (2011)
Celui-là fait un peu plus mal. C’est le film qu’on aurait aimé aimer. Malheureusement, malgré un casting solide qui y croit à fond, une première moitié plus réussie et un fond d’intrigue pas inintéressant, le long-métrage de Cronenberg sur la naissance de la psychanalyse tombe à plat. Knightley en fait vraiment des caisses, les personnages sont caricaturaux et le récit demeure, au final, trop superficiel. C’est la première vraie déception de ce classement.
#17. Cosmopolis (2012)
La promesse était incroyable : sortir Robert Pattinson de la franchise qui l’a rendu célèbre pour l’emmener pour la première fois vers le cinéma d’auteur, faire un huis clos sur un milliardaire bloqué dans sa limousine à cause des bouchons new-yorkais pour un sujet aussi futile qu’aller chez le coiffeur et le faire se confronter au monde, le tout avec un casting XXL (Juliette Binoche, Paul Giamatti et Mathieu Amalric). Problème : la mise en scène ne peut pas éviter la platitude d’un récit théâtral fade, mal construit, trop bavard, peu fluide. Ça reste une tentative de sortir de ce qu’on connaît de Cronenberg, d’une zone de confort.
#16. Rage (1977)
Dès son deuxième film, David Cronenberg réussit à mettre au clair ce qui sera les éléments fondateurs de son cinéma. De l’horreur graphique, du corps mutilé, des rapports sexuels. Ce n’est pas pour rien que pour incarner Rose et sa malformation buveuse de sang à l’aisselle (!), Cronenberg choisit l’actrice connue du monde de la pornographie Marilyn Chambers. Ce n’est pas le plus mémorable si on est honnêtes — une construction de récit trop peu fluide, des morts un peu trop semblables —, c’est malgré tout la promesse d’un futur grand nom du cinéma.
#15. Chromosome 3 (1979)
C’est plus classique, donc plus resserré et étrangement mieux construit. Cronenberg abandonne la sexualité le temps d’un film pour raconter un couple qui se déchire (le réalisateur expliquera s’être inspiré de son propre divorce), de la rage qui en découle et ça lui va bien. Ce n’est pas nécessairement subtil dans le sous-texte, mais diablement efficace dans certaines séquences gores à souhait — malgré quelques effets ayant vieilli.
#14. Spider (2002)
C’est le sous-coté de la bande. Sous prétexte qu’il est le premier film d’un nouveau cycle chez Cronenberg, où le cinéaste abandonne l’horreur graphique et la métamorphose du corps pour se plonger dans une ère d’étude de la psyché de ses personnages, on oublie Spider, thriller plutôt efficace sur la schizophrénie avec un Ralph Fiennes impressionnant.
#13. eXistenZ (1999)
La rencontre entre le body horror et la SF s’est très bien passée, merci de demander. La manière dont Cronenberg essaye de parler de nouvelles technologies et de son époque, avec un film sortant au même moment que Matrix, est brillante. Jennifer Jason Leigh et Jude Law s’infiltrent dans des jeux vidéo corporels, où tout n’est que chair, os et sang. Le film a certes pris un petit coup de vieux, mais franchement, eXistenZ demeure une belle tranche de régalade, encore aujourd’hui.
#12. Frissons (1975)
Franchement, faire un premier film pareil à 32 ans, qui relie le sexe et la violence au body horror, c’est déjà fort. Mais le long-métrage fauché, gore et malin, sur une contamination type zombie d’un parasite se transmettant par le coït est plus qu’un simple coup d’essai réussi. C’est un film poisseux dans une cité censée être moderne et presque idyllique, qui parle de son époque avec intelligence.
#11. Maps to the Stars (2014)
Il est injustement boudé parce que certaines performances seraient trop faussement intenses, parce que l’ampleur du récit ne serait pas assez conséquente, ou parce que la direction serait dans les choux. Il ne faudrait pas oublier ce que raconte le film sur Hollywood et la culture de la célébrité, son casting malgré tout plus que solide et certains moments d’une violence marquante — même pour Cronenberg, oui.
#10. Crash (1996)
C’est un grand film, méprisé à sa sortie, malgré son Prix du Jury à Cannes, enfin réhabilité avec sa ressortie chez Carlotta. Comment faire un film érotique aussi dérangeant ? Il n’y a guère que Cronenberg pour faire un film sur le kink d’accidents de voiture, sur l’envie de coucher avec une blessure, en filmant le tout avec une vraie sensibilité et en même temps de manière extrêmement crue, pour parler de tout autre chose — le lien entre l’homme et la technologie, la sensation d’adrénaline du sexe dangereux en pleine période du sida. Le tout avec de purs thèmes cronenbergiens (mutilation du corps, lien entre plaisir et douleur, critique de la bourgeoisie). Ce n’est pas son plus accessible, mais c’est le sommet d’une partie de la carrière du Canadien, très clairement.
#9. Dead Zone (1983)
C’est peut-être son plus accessible, justement. Ce n’est pas pour autant un film trop facile ou en deçà du reste. L’unique adaptation de Stephen King par le cinéaste canadien (on pourrait imaginer que les deux sont assez incompatibles) est une petite pépite du genre et est trop souvent reléguée aux Cronenberg moins bons. Produit par Dino de Laurentiis, on y suit un Christopher Walken ayant des dons de divination après un grave accident de voiture, dans un film à la tension montante et la réalisation solide. Ce n’est pas son meilleur, mais il vaut clairement le coup d’œil.
#8. Scanners (1981)
On commence à toucher du doigt le très bon. Tout ce qui va suivre, celui-ci compris, est d’une certaine façon un incroyable long. Scanners est fou. Sur le fond, cette intrigue quasi d’enquête et de poursuite entre l’armée et des personnes ayant un drôle de pouvoir télépathique capable de faire péter le crâne d’individus peut paraître classique. Elle l’est sans doute. Mais sur la forme, la puissance de l’image des crânes explosant, la beauté des effets spéciaux, l’ancrage dans nos esprits à tout jamais, est une des scènes les plus iconiques de l’histoire du cinéma d’horreur. On ne peut le mettre le plus bas, désolé.
#7. Les Crimes du futur (2022)
Il est mal-aimé parce que trop âpre. Le dernier long de Cronenberg est bouleversant sur le fond. Cronenberg se raconte en artiste incarné par Viggo Mortensen, qui offre des œuvres charnelles et organiques en puisant dans son for intérieur et qui choque faussement les critiques, dans un long-métrage jonché de références à sa filmographie, tout en étant critique de l’industrie du spectacle, de la société, avec une vision féministe et presque queer. C’est un film testament, qui ne sera pas son dernier et qui est un fascinant objet d’analyse et sera réévalué à la hausse dans les années à venir.
#6. A History of Violence (2005)
C’est le moment où Cronenberg s’éloigne, plus encore que sur Spider, de la partie de sa carrière portée sur l’horreur graphique et corporelle. Pourtant, c’est l’un de ses meilleurs films, qui reprend les questionnements du réalisateur. Cronenberg dévoile l’envers du décor et démystifie la violence cinématographique et son impact sur la société. De la part de ce cinéaste, c’est brillant. Mais c’est, de surcroît, la mise en scène faussement classique est canon et intelligente et surtout, surtout, les prestations sont folles. C’est un grand film.
#5. Les Promesses de l’ombre (2007)
C’est l’autre partie de la pièce sur l’analyse de la violence, avec le film précédemment cité — mais on a une préférence pour cette histoire de mafia russe avec Viggo Mortensen, Naomi Watts et Vincent Cassel. Est-ce parce qu’il raconte le parfait inverse de A History of Violence ? Est-ce pour cette scène de combat nu où la physicalité de la mutilation du corps rappelle Cronenberg à fond les ballons ? Est-ce pour les performances folles ? Est-ce pour cette ambiance crasse et vulgaire ? Est-ce pour certains dialogues ? On ne saurait répondre. Mais c’est un de ses plus grands, très clairement.
#4. Vidéodrome (1983)
À partir de là, tout devient compliqué dans ce classement, car les places de tous les films qui suivent pourront être inversées (à part notre Top 1, mais bon). Il n’y a que des chefs-d’œuvre. Celui-ci est évidemment un brillant exercice scénaristiquement (sur le point de vue du personnage, sur ce que raconte Cronenberg sur la télévision et les dangers de la technologie), mais surtout, surtout, visuellement. On n’explique toujours pas certains effets spéciaux. Les images du lecteur de VHS dans l’abdomen sont de celles qui marquent à vie.
#3. La Mouche (1986)
Que des chefs-d’œuvre. La Mouche est le sommet du body horror de Cronenberg et de l’histoire du cinéma. Personne ne réussira à reproduire une bestialité aussi repoussante, immonde — et pourtant, d’une tragédie sans nom. Goldblum comprend qu’il ne sait plus s’il n’a pas toujours été un insecte rêvant d’être un homme. Cronenberg réussit à aussi bien écrire ses personnages et nous émouvoir avec la transformation la plus impressionnante de l’histoire du cinéma (avec The Thing de Carpenter, ex-aequo) ? Pfiou.
#2. Faux-semblants (1988)
Que des chefs-d’œuvre. Ce sont les frères jumeaux Jeremy Irons, gynécologues fascinés par la même femme. C’est cette manière qu’a Cronenberg de redoubler d’ingéniosité pour filmer un acteur deux fois dans le même film, bien avant qu’on puisse exploiter les ordinateurs pour le faire. C’est le point de rupture dans la filmographie du cinéaste sur les thèmes et la façon de les aborder — beaucoup moins gore que d’autres. C’est un film crucial, glaçant, déchirant, impressionnant. D’une finesse, d’écriture et de mise en scène, incroyable.
#1. Le Festin nu (1991)
Que des chefs-d’œuvre. Lui, on ne l’explique pas. Sans doute ne mérite-t-il pas la première place. Mais qu’importe. C’est la plus grande claque possible. C’est l’adaptation du livre fou du même nom de William S. Burroughs, ce bouquin réputé inadaptable, est hallucinant et hallucinatoire. Quand on croit qu’on est face à une œuvre typique de Cronenberg, débarque un insecte humanoïde géant. C’est la métaphore de l’addiction et la difficulté d’en sortir. C’est fou, foutraque, hypnotisant et immense.