Dans Bartu Ben, une dramédie turque dont on vous a dit du bien, Okan Urun campe Mercimek, un personnage queer extravagant et piquant. Rencontre.
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Willy Alliot | Okan, tu es comédien et performeur. Tu n’avais jamais travaillé dans une série. Qu’est-ce qui t’a convaincu de jouer dans Bartu Ben ?
Okan Urun | D’abord, je n’avais pas beaucoup de propositions. Depuis que j’ai quitté la France, j’ai travaillé avec mon collectif Biriken sur du théâtre. L’écriture, la mise en scène surtout. J’ai très vite été rangé dans cette case-là. On m’avait fait quelques propositions de tournage, mais je ne m’étais pas rendu aux auditions parce que j’avais peur de ne pas me sentir à ma place sur ces projets-là.
Et puis un jour, j’ai reçu un appel de Tolga, le réalisateur. Je connaissais son épouse avec laquelle j’avais déjà travaillé. Il m’a envoyé le scénario et m’a demandé de préparer deux scènes pour le lendemain. Quand j’ai lu le script, j’étais mort de rire. Je trouvais ça très réaliste.
Je me suis retrouvé dans cette histoire. C’est comme si mon meilleur ami l’avait écrite. Je me suis préparé et, avec mon copain, on a tourné les scènes sur mon iPhone. On les a envoyées à Tolga. Deux jours après, j’intégrais le tournage, les cheveux teints en blanc, les caméras braquées sur moi. C’était très impressionnant.
Tu as été choisi pour incarner un personnage gay. Est-ce parce que tu es reconnu comme artiste gay en Turquie ?
Je pense effectivement qu’ils m’ont choisi pour ça. Bartu a écrit un personnage homosexuel. Il ne voulait pas que ce soit un hétérosexuel qui essaie de jouer un personnage homo. Il voulait que ce soit authentique et surtout, qu’on ne tombe pas dans les travers des séries turques, où on se censure dans l’interprétation des personnages homosexuels. Il voulait un artiste homosexuel pour jouer un rôle homosexuel.
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Comment as-tu travaillé l’interprétation du personnage de Mercimek ?
Tous les personnages de la série sont inspirés par l’entourage de Bartu dans la vraie vie. Pour Mercimek, il s’agit d’un ami journaliste qui est aussi le mien. C’est une personne sincère et en même temps très violente. Il y a une partie de moi que j’ai reconnu dans ce personnage et que je savais interpréter. On a ensuite fait évoluer le personnage. J’y ai apporté mon travail. On a aussi inventé un physique en lui faisant porter une teinture blonde.
“Je peux jouer 10 000 personnages homosexuels. Ils auront tous des parcours et identités singuliers”
C’est également un personnage à la gestuelle plutôt féminine.
Les gays ont des identités de genre très différentes. Il y a des hommes virils, des hommes efféminés. Elles ont toutes une raison d’exister. Il n’y a pas de bonne manière de jouer un personnage gay. Mercimek est comme ça. C’est une réalité. C’est tout. Et il y en a d’autres. Mais jamais Tolga ni Bartu ne m’ont dit : “Il faut que tu le joues un peu plus maniéré.”
J’ai une anecdote personnelle à raconter à ce sujet. Après la diffusion de la série, j’ai rencontré une réalisatrice qui m’a dit : “C’est bien tu as joué une femme transgenre, maintenant un homme gay. C’était super ! Mais il faut passer à autre chose.” Sur le coup, j’ai trouvé ça juste et je partageais cette idée. Mais maintenant, j’ai honte d’avoir eu cette pensée. D’abord la question de l’identité de genre n’a rien à voir avec la question de l’identité sexuelle. Ensuite, demande-t-on aux hétérosexuels d’arrêter de jouer des hétérosexuels ? Non.
Je peux jouer 10 000 personnages homosexuels. Ils auront tous des parcours et identités singuliers. L’enjeu n’est pas que dans la sexualité. Il peut être ailleurs.
Oui, mais la série se concentre essentiellement sur l’identité de genre et à la sexualité de ton personnage.
C’est vrai que mon personnage manque parfois un peu de profondeur. On en a discuté avec Bartu, et il m’a demandé comment j’imaginais la suite, s’il y en avait une, pour Mercimek. J’ai dit que j’aimerais qu’on le voie davantage évoluer dans le quotidien, qu’on en sache un peu plus sur sa vie professionnelle, sur son rapport au sexe et à la relation de couple. Il a l’air de ne pas vouloir de relation amoureuse. Mais il faut que mon personnage l’explique. S’il n’a pas de copain, qu’il dise qu’il n’en veut pas si c’est son choix.
Ça me fait penser à Hervé dans Dix pour cent. Il a fallu attendre plusieurs saisons avant de sortir de la posture et des clichés. J’espère que Bartu Ben aura le même succès.
La première saison de Bartu Ben, composée de 10 épisodes, a été diffusée initialement en novembre 2018. Elle n’a pas encore de diffuseur français.