Depuis quelques années, le cinéma québécois s’importe de plus en plus dans les salles obscures en France. Certes, il y avait déjà le cinéma de Xavier Dolan qui a pignon sur rue au Festival de Cannes ou celui du très regretté Jean-Marc Vallée. Celui de Denis Villeneuve qui s’est exporté aux USA et dans le monde. Il y avait également les rares exceptions comme Starbuck de Ken Scott, dont l’engouement a même engendré un remake sauce José Garcia.
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Mais depuis peu de temps, de nouvelles ambitions et de nouveaux noms traversent l’Atlantique pour arriver dans les salles obscures de l’hexagone. Certains de ces noms commencent doucement à avoir une résonance familière, ce sont ceux de Monia Chokri, de Sophie Deraspe, d’Anaïs Barbeau-Lavalette, de Sophie Dupuis ou encore de Charlotte Le Bon.
Majoritairement passés par le circuit des festivals de cinéma francophone, leurs longs-métrages trouvent des distributeurs français qui vont porter ces projets jusqu’aux réseaux de salles. La sortie de Noémie dit oui de Geneviève Albert est une belle occasion de se pencher sur l’émergence d’un nouveau cinéma québécois, fort et féminin.
Noémie dit oui est une œuvre douce-amère d’une extrême violence et d’une humanité foudroyante. On y suit le parcours de Noémie, une adolescente de quinze ans qui vit depuis quelques années en foyer pour jeunes. Elle entretient l’espoir illusoire que sa mère pourra enfin assumer ses devoirs parentaux et récupérer sa garde.
À la suite d’une énième déception de la part de sa génitrice, Noémie fuit le centre pour retrouver son amie Léa, installée dans un condo au centre de Montréal. Cette dernière mène un train de vie luxueux, composé de fêtes, de drogues et de sexe. Elle traîne avec des dealers, des hommes plus âgés, des posts adolescents perdus. Noémie adopte rapidement ce quotidien bien différent du sien. Elle rencontre un garçon tout aussi perdu qu’elle, détaché de toute forme de réalité, elle tombe amoureuse et prend goût à cette nouvelle existence.
Malheureusement, Noémie entraperçoit le revers de la médaille le jour où son amoureux lui demande de se prostituer pendant le Grand Prix de formule 1 de Montréal.
Sept ans de travail
L’élaboration de Noémie dit oui a pris sept années de travail à Geneviève Albert. Sans même compter les démarches de financements qui sont toujours plus ardues pour un premier long-métrage, la réalisatrice a avant tout concentré son labeur dans les recherches autour de ce sujet complexe.
“Ce n’est pas du tout un film autobiographique. Du coup, j’ai dû rencontrer des gens dans la prostitution, mais pas seulement des travailleuses et des travailleurs du sexe, j’ai rencontré des juges, des avocats, des travailleurs sociaux… Je voulais un film au plus près de la réalité.”
Lorsqu’un long-métrage a pour volonté de dépeindre une expérience de vie difficile avec le plus de réalité possible, cela demande beaucoup de travail d’investigation, mais cela demande également une rigueur spécifique. Noémie, le personnage, a quinze ans, et elle va être amenée à avoir des relations sexuelles de toutes sortes sur une très courte durée.
Geneviève Albert explique la difficulté que l’on rencontre quand on est une femme qui doit diriger une jeune actrice (Kelly Depeault a vingt ans), pour des scènes de prostitution juvénile :
“Ça se prépare très sérieusement ! Nous, sur Noémie dit oui, on a toutes pris ça très au sérieux, nous avions une coordinatrice d’intimité. Il faut que ces scènes d’intimité soient très bien chorégraphiées. À tout moment, les actrices ont le droit de dire que cela ne les tente plus de faire ces scènes. Il faut qu’elles soient à l’aise. Le plus important, c’est d’être toujours à l’écoute.”
Un female gaze québécois
Geneviève Albert confirme que Noémie dit oui s’inscrit dans “une mouvance du female gaze”, en offrant à ses spectateurs un point de vue féminin et unique sur la prostitution. Cette vague de réalisatrices québécoises a sans doute ce point commun : un female gaze prononcé dans leurs traitements cinématographiques.
Sophie Deraspe a présenté une adaptation moderne et politique d’Antigone en 2019, un long-métrage teinté d’un regard acide sur la masculinité oppressive et, au contraire, une vision très douce des combats féminins. Anaïs Barbeau-Lavalette quant à elle a su dépeindre la violence des adolescentes dans leur autodestruction dans son vertigineux La Déesse des mouches à feux, film dans lequel on retrouvait déjà Kelly Depeault, la jeune actrice incarnant Noémie.
Des portraits féminins importants, pour un cinéma québécois qui, depuis une dizaine d’années, parle beaucoup d’adolescence (Tu dors Nicole, Les Faux Tatouages, Jeune Juliette, Sarah préfère la course, Falcon Lake…). Mais c’est un hasard que Noémie dit oui se retrouve dans ce courant thématique :
“Je n’ai pas un intérêt particulier pour l’adolescence, je me suis intéressée d’abord à la prostitution et c’est ensuite que je me suis tournée vers la section des mineures. J’ai découvert que l’âge moyen d’entrée dans la prostitution au Canada c’était quatorze, quinze ans, cela m’a tellement choquée que j’ai décidé de concentrer mon attention sur un personnage de cet âge-là.”
Le cinéma québécois a donc majoritairement été représenté en Europe par des réalisateurs. Pourtant certaines réalisatrices ont été, dans les années 1970 et 1980, de véritables pionnières, et surtout de grandes inspirations pour cette nouvelle génération. Anne-Claire Poirier a présenté son film Mourir à tue-tête au festival de Cannes de 1979, elle a tenu à cette occasion des propos tristement d’actualité.
Entre documentaire et fiction, cette œuvre féministe violente a été un marqueur pour nombre des contemporaines :
“Mourir à tue-tête d’Anne-Claire Poirier — c’est un film majeur. C’est l’histoire d’un viol terrible, on est dans le point de vue de la victime et pas de l’agresseur. Ça a été une forte influence dans la mise en scène de la prostitution dans mon film. C’est une immense réalisatrice très importante pour moi.”